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Un site américain fait usage de sa “marque” au Canada, s’il s’adresse au public canadien

Pat Scullion (cc)

11 mars 2013
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Dans une décision du 12 décembre dernier (HomeAway.com Inc. c. Hrdlicka, 2012 CF 1467), le Juge Hughes avait à se prononcer sur la validité d’une marque de commerce (“VRBO”) enregistrée auprès de l’office canadien. En effet, une société américaine estimait avoir un droit antérieur sur le signe du fait d’un usage sur son site Internet, avec une activité économique au Canada. Pour le titulaire de la marque, le site étant opéré depuis les États-Unis, il ne s’agissait pas d’un usage au sens de la Loi sur les marques de commerce.

Pour certains, le Juge Hughes aurait consacré en droit canadien la théorie de l’accessibilité. Selon cette théorie, particulièrement développée par les juridictions françaises, dès lors qu’un site Internet est accessible depuis le territoire sur lequel un tribunal a juridiction, alors celui-ci est compétent pour connaître des faits regardant ledit site Internet. Fort heureusement, la Cour de justice de l’Union européenne est, depuis, venue corriger cette jurisprudence (CJCE, L’Oréal SA c. eBay International, C-324/09).

Les commentateurs ont cru comprendre cette consécration, qui aurait été regrettable, j’en conviens, dans les mots du Juge Hughes au paragraphe 22 de sa décision :

[22] J’estime donc qu’une marque de commerce qui figure sur le site Web d’un écran d’ordinateur au Canada constitue, pour l’application de la Loi sur les marques de commerce, un emploi et une annonce faits au Canada, et ce, indépendamment de la provenance des renseignements ou du lieu où ils sont stockés.

Si ce paragraphe avait été le dernier relatif à la question, j’aurais acquiescé, mais il n’en est rien. En effet, il faut lire ce paragraphe 22 avec le paragraphe 20 dans lequel il indique :

[20] […] la loi doit être interprétée d’une façon qui tienne compte des réalités du monde moderne de sorte que les données informatiques conservées dans un pays peuvent être considérées comme existant dans un autre, en l’occurrence, le Canada.

Au paragraphe 21, il rappelle que la Cour fédérale a déjà estimé que l’usage d’une marque sur un site Internet pouvait constituer un usage au sens de la Loi (Hayes c Sim & McBurney, 2010 CF 924). Au paragraphe 22, il fait simplement sien ce précédent en retenant que le fait de l’hébergement “physique” (sic) des données en territoire américain ne saurait être pris en compte pour rejeter la qualification d’usage sur le sol canadien.

L’intérêt de la décision se trouve ailleurs, et notamment aux paragraphes 28 à 31. En effet, après avoir écarté le détail technique de la localisation géographique, le juge Hughes met en oeuvre la théorie de l’activité économique, encore appelée du public cible, afin de connaître d’un quelconque usage antérieur du signe sur le sol canadien.

Cette approche du “public cible” pour la compétence des tribunaux canadiens a été rappelée par la Cour suprême dernièrement dans l’arrêt Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Association canadienne des fournisseurs Internet [2004] 2 R.C.S. 427, au paragraphe :

[61] En ce qui concerne l’Internet, le facteur de rattachement pertinent est le situs du fournisseur de contenu, du serveur hôte, des intermédiaires et de l’utilisateur final. L’importance à accorder au situs de l’un d’eux en particulier varie selon les circonstances de l’affaire et la nature du litige.

La jurisprudence est relativement constante : si les données ne sont pas physiquement hébergées ou opérées sur sa juridiction, alors une Cour sera compétence si le site a une activité sur le territoire, c’est-à-dire auprès des personnes résidant sur ce territoire. Ainsi, dans l’affaire Express File v. HRB Royalty (2005 FC 542), la Cour fédérale a estimé qu’il n’y avait pas eu d’usage fait au Canada de la marque car, bien que le site Internet soit accessible depuis le Canada, les consommateurs ne pouvaient qu’entrer un code postal américain ; le public canadien n’était donc pas ciblé par le site.

Aussi, dans l’arrêt présenté, le Juge Hughes a recherché l’existence ou non d’une activité sur le sol canadien afin de qualifier l’existence d’un usage antérieur au sens de la Loi sur les marques de commerce :

[27] Il est toutefois important de savoir quel emploi HomeAway a fait de la marque de commerce au Canada avant la date à laquelle le défendeur Hrdlicka a déposé sa demande d’enregistrement de la marque de commerce VRBO en son nom personnel. Cette date est le 2 septembre 2009.

[28] J’estime, sur la foi de l’affidavit souscrit par Me Dickey, qu’avant le 2 septembre 2009, HomeAway faisait de la publicité auprès de Canadiens avec lesquels elle avait signé des contrats en vue d’annoncer ses appartements et ses maisons sur le site Web de VRBO et qu’elle annonçait ses maisons et ses appartements canadiens en question sur son propre site Web. Ce site Web affichait la marque de commerce VRBO aux Canadiens ainsi qu’aux personnes de tout autre pays qui souhaitaient visiter le site Web en question.

[29] J’estime donc qu’avant le 2 septembre 2009, HomeAway employait la marque de commerce VRBO en annonçant et en utilisant cette marque sur son site Web en liaison avec un registre des fiches descriptives d’immeubles pour les vacances.

Ce n’est donc pas le simple fait d’un site accessible au Canada qui permet de connaître de l’usage de la marque, mais bien le fait que celle-ci soit utilisée à destination du public canadien. Certes, l’affichage sur un écran d’ordinateur au Canada constitue un emploi au sens de la Loi sur les marques de commerce, le Juge Hughes vient ici mettre en oeuvre dans le monde numérique “les dispositions de la Loi sur les marques de commerce [qui] sont pour le moins, ésotériques, en plus d’avoir besoin d’une sérieuse mise à jour” (§30). Mais, comme pour l’usage sur les supports non numériques, encore faut-il un usage à titre de marque, pour les produits et services enregistrés, et sur le territoire de la protection. Une position inverse serait par ailleurs contraire au principe de territorialité des marques de commerce.

 

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