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Affaire Mosley: les juges français font de la résistance sur le « notice and stay down »

(cc) Michael Foley

7 novembre 2013
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Dans un jugement rendu le 6 novembre, le Tribunal de Grande Instance de Paris a ordonné un stay down à Google dans une affaire relative à son service Google Images.

Dans cette affaire, Max Mosley poursuivait Google pour des images de ses ébats indexées par son service Google Images. À la demande de Max Mosley, Google avait retiré de son index les images mentionnées. Par ailleurs, les tribunaux s’étaient déjà prononcés sur le caractère effectivement illicite de ces photographies portant atteinte à sa vie privée. Malgré la désindexation, ces photographies, étant reprises un peu partout sur Internet, n’ont cessé de réapparaitre dans les résultats de Google Images. Lasse, Max Mosley demande à Google de retirer définitivement lesdites images. La société californienne avait toujours retiré les images incriminées lorsque les adresses correspondantes lui avaient été signalées mais indique qu’il refuse de « faire la police sur Internet » et qu’il n’a pas d’obligation générale de « surveillance a priori des contenus qu’il indexe ».

Max Mosley se tourne alors vers les juridictions française, qui font ici droit à sa demande ! Dans un jugement du 6 novembre 2013, le TGI de Paris ordonne à Google « de retirer et de cesser, pendant une durée de cinq années […], l’affichage sur le moteur de recherche Google Images qu’elle exploite, des neuf images dont Max Mosley a demandé l’interdiction ».

Mais comment donc Google a-t-il pu être condamné ?

Google Images est un « prestataire intermédiaire technique » relevant des dispositions de l’article L. 32-3-4 du Code des postes et des communications électroniques  :

Toute personne assurant dans le seul but de rendre plus efficace leur transmission ultérieure, une activité de stockage automatique, intermédiaire et temporaire des contenus qu’un prestataire transmet ne peut voir sa responsabilité civile ou pénale engagée à raison de ces contenus que dans l’un des cas suivants :
1° Elle a modifié ces contenus, ne s’est pas conformée à leurs conditions d’accès et aux règles usuelles concernant leur mise à jour ou a entravé l’utilisation licite et usuelle de la technologie utilisée pour obtenir des données ;
2° Elle n’a pas agi avec promptitude pour retirer les contenus qu’elle a stockés ou pour en rendre l’accès impossible, dès qu’elle a effectivement eu connaissance, soit du fait que les contenus transmis initialement ont été retirés du réseau, soit du fait que l’accès aux contenus transmis initialement a été rendu impossible, soit du fait que les autorités judiciaires ont ordonné de retirer du réseau les contenus transmis initialement ou d’en rendre l’accès impossible.

Cette procédure du notice and take down est d’un aménagement de la responsabilité de ces prestataires, cohérente avec la réalité d’Internet. Le service n’est pas responsable des contenus qu’il indexe, sauf dans le cas où il n’a pas agi avec promptitude pour retirer les contenus illicites dès qu’il en a effectivement eu connaissance. La loi prévoit alors que leur obligation est de supprimer l’accès audit contenu.

Mais certains voudraient augmenter la responsabilité des hébergeurs et des prestataires d’indexation en les obligeant non seulement à retirer les contenus illicites mais également à permettre toute nouvelle mise en ligne, c’est ce que l’on appelle le notice and stay down. Le moteur de recherche ne devrait pas simplement supprimer l’accès au fichier indiqué, mais devrait aussi faire en sorte que ce fichier ne soit plus jamais accessible par une autre adresse. C’est cette seconde voie qui a été choisie par le tribunal… Pour cela, le tribunal s’appuie notamment sur l’impératif de protection de la vie privée.

Pourtant, dans un arrêt du 12 juillet 2012, dans une affaire elle aussi relative à Google Images, la Cour de cassation avait très clairement écarté ce principe de notice and stay down en indiquant que le service n’avait pas d’obligation générale de surveillance sur les contenus stockés ou indexée. Bien que contestée par certains, cette décision de la haute juridiction était pleine de bon sens et dans l’esprit de la Loi de confiance dans l’économie numérique qui a institué les régimes de responsabilité des acteurs du numérique. Les éditeurs ont une obligation de surveillance des contenus mis en ligne et en son responsable, tandis que les hébergeurs (et prestataires assimilés) ne peuvent voir leur responsabilité engagée que dans le cas où ils n’auraient pas retiré un contenu illicite qui leur aurait été signifié. Comme souligné il y a peu sur ce site, cette position de la Cour de cassation est par ailleurs en totale adéquation avec la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (notamment Scarlet c. SABAM et Netlog c. SABAM).

La décision du TGI de Paris dans l’affaire Mosley va ainsi à l’encontre de la loi et de la jurisprudence des plus hautes juridictions. Cela montre aussi une nouvelle fois l’incompréhension du monde numérique par une certaine partie des magistrats français, pour ne pas dire l’incompétence. En outre, la décision du TGI Paris demande in fine à Google de mettre en place un processus de censure automatisé a priori, attentatoire aux libertés individuelles. Il revient au juge, le cas échéant, de trancher sur la balance des intérêts, non à un algorithme.

Google a très justement décidé de faire appel. Il y a fort à parier que les magistrats de la Cour d’appel de Paris reviendront sur cette condamnation. Du moins, il convient de l’espérer.

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