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Témoins étrangers et litige civil : le gouvernement québécois tarde à agir

17 septembre 2014
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Au Québec, le commerce électronique est en plein essor alors que 70 % des Québécois ont fait au moins un achat en ligne en 2013. Toutefois, un maigre 28 % de ces achats ont été effectué sur des sites québécois. En tenant compte de ces statistiques, il est inévitable que des différends découlant de ces transactions surgissent à un moment ou un autre. Toutefois, les témoignages ainsi que la preuve située à l’extérieur du Québec peuvent s’avérer difficiles à obtenir.

Lorsqu’un litige civil se déroule au Québec, la législation provinciale encadre le processus entourant l’obtention de la preuve et des témoignages. Cependant, lorsque des témoins ou des éléments de preuves se retrouvent à l’extérieur de la province, la procédure se complique puisqu’il faut également prendre en considération la législation de l’autre province ou territoire.

En 1974, la Conférence sur l’harmonisation des lois du Canada a adopté une Loi uniforme sur les assignations interprovinciales de témoins. Toutes les provinces canadiennes, à l’exception du Québec, ont adopté une loi similaire à la Loi uniforme.

L’article 3 de cette loi prévoit que «[l]orsqu’une assignation enjoint à une personne de comparaître en personne dans une autre province ou un autre territoire, le greffier peut inscrire l’assignation aux termes de l’article 2 seulement si la loi de cet autre ressort contient une disposition semblable à l’article 7 offrant une immunité absolue au résident (du ressort adoptant la Loi) assigné à comparaître […]» (Je souligne). L’article 7, corollairement, offre l’immunité à «[t]oute personne contrainte de comparaître pour témoigner devant un tribunal, un tribunal administratif [ou une autre personne] (du ressort adoptant la Loi) en vertu d’une assignation homologuée par un tribunal de l’extérieur […] ».

Les dispositions pertinentes québécoises se retrouvent quant à elles aux articles 497 et 498 du  nouveau Code de procédure civile qui devrait entrer en vigueur intégralement en 2015. On retrouve également un article encadrant les relations spécifiques à l’Ontario à l’article 282 dans le Code de procédure civile actuel. Il est à noter que ces dispositions n’offrent pas l’immunité juridique aux témoins qui se déplace au Québec.

L’absence de clause de réciprocité d’immunité des témoins peut avoir de graves conséquences lors de litiges civils québécois. Par exemple, les données bancaires détenues à l’extérieur du Québec sont difficilement accessibles, les institutions financière les gardant généralement confidentielles, sauf lorsque contrainte par une ordonnance d’une cour de justice.

Une situation similaire s’est produite dans l’affaire Québec (Fédération des producteurs acéricoles) c. Caisse populaire de Restigouche Ltée. Dans ce cas précis, la Fédération des producteurs acéricoles du Québec, un organisme qui administre un plan de mise en marché du sirop d’érable, soupçonnait certains exportateurs de sirop d’érable néo-brunswickois d’en faire  l’acquisition de producteurs québécois en violation avec le plan en vigueur.

La Fédération a alors demandé à la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec, un tribunal administratif chargé d’administrer la loi québécoise de mise en marché, d’enquêter sur la question. Celle-ci a alors émis une assignation à témoigner à la Caisse Populaire ainsi qu’à la succursale de la Banque Nationale de Saint-Quentin. Un juge de la Cour supérieure du Québec a ensuite homologué les assignations. L’ordonnance devait ensuite être homologuées par une cour supérieure néo-brunswickoise, ce qui n’a toutefois pas eu lieu.

Dans sa décision, le juge Dionne de la Cour supérieure du Nouveau-Brunswick a indiqué que «[l]a Cour se déclare interdite par la Loi sur les subpoenas interprovinciaux de cette province d’accorder l’homologation du jugement de la Cour supérieure du Québec en question» (para. 112). Les témoins ainsi que les éléments de preuve ne seraient donc pas présentés à l’audience.

Il est à noter que la décision a été portée en appel par la Fédération. En rejetant l’appel, le juge Drapeau, J.C.N.-B., a également statué que l’homologation ne pouvait être accueillie, mais est parvenu à cette conclusion en concluant que le subpoena (l’assignation à témoigner) n’était pas conforme au sens de la Loi sur les subpoenas interprovinciaux du Nouveau-Brunswick (para. 59). Il n’a donc pas tranché la question d’immunité juridique abordée en première instance.

Le 13 mai dernier, le Barreau du Québec a écrit une lettre à la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, afin de dénoncer cette situation et de demander une modification du Code de procédure civile.  On peut y lire que «[l]e Barreau estime qu’il est important d’assurer une réciprocité avec les autres provinces en matière d’assignation de témoins étrangers». Il soutient d’ailleurs que le Code de procédure civile, dans sa version actuelle, ne répond pas aux exigences de la Loi sur les assignations interterritoriales, ce qui requiert, à leur avis, des modifications.

Cependant, au ministère de la Justice aucune action n’a été amorcée afin de corriger la situation. Contacté par téléphone, le conseiller en communication, Paul-Jean Charest, a maintenu que le ministère se penchait sur la question et que des développements seront à venir. Questionné sur les délais à prévoir dans le dossier, M. Charest s’est contenté de répondre qu’aucun échéancier n’avait été fixé et que le ministère allait analyser la situation.

Lorsqu’on considère qu’environ 7,3 milliards de dollars ont été dépensés en ligne l’an dernier au Québec, il va sans dire que les données de ces transactions peuvent s’avérer des éléments clé en cas de litige. Il est donc impératif que le Québec emboite le pas afin de protéger l’intégrité du processus judiciaire ainsi que l’intérêt des Québécoises et Québécois qui pourraient faire face à de graves injustices en cas de litige.

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