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Les données d’objets connectés : nouvelles preuves dans les procès ?

25 novembre 2014
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Un cabinet d’avocats cherche à produire comme élément de preuve un bracelet électronique dans le cadre d’un procès civil à Calgary, au Canada. En effet, les avocats de la plaignante souhaitent faire analyser les résultats enregistrés sur le bracelet connecté Fitbit afin de prouver que leur cliente a perdu une partie de son autonomie suite à son accident de voiture et ainsi obtenir une compensation financière eu égard au préjudice subi.

Le Fitbit est un bracelet électronique qui enregistre « tous les déplacements effectués et totalise l’exercice effectué dans la journée ». Celui-ci identifie également « l’heure de coucher (…), l’heure de réveil et le temps effectivement passé à dormir » de l’utilisateur. L’ensemble de ces données est ensuite communiqué au compte internet de la personne lorsque le bracelet « passe à proximité du socle branché » sur son ordinateur.

Les avocats de la victime, un ancien « coach » sportif, veulent donc faire examiner le bracelet électronique Fitbit que leur cliente portait au moment des faits.

Afin d’ « appuyer leur dossier et gagner des compensations financières de la part des assureurs, les avocats souhaitent faire analyser les données enregistrées sur le bracelet connecté de leur cliente, grâce à une plateforme baptisée Vivametrica qui compare les résultats au reste de la population du même âge, produit diverses statistiques et pourrait apporter des preuves de perte d’autonomie partielle de la plaignante suite à son accident de voiture ».

Les avocats ne comptent pas utiliser les données de « manière brute », celles-ci seront traitées par la société Vivametrica « spécialisée dans l’analyse d’informations récoltées par le biais d’appareils connectés ».

L’étude des habitudes de la plaignante va durer plusieurs mois, pour pouvoir avoir une base précise.

L’objectif poursuivi par le Cabinet est simple : démontrer que la plaignante « a perdu une partie de ses capacités physiques suite à son accident », en d’autres termes que son niveau d’activité« a été revu à la baisse et compromis suite à sa blessure » et ainsi « constituer un dossier à l’intention des juges pour que les assureurs compensent la perte d’autonomie » de la victime .

Ce processus est pour le moins inhabituel dans la mesure où les juges prennent, en règle générale, l’avis de médecins experts, c’est-à-dire l’appréciation de professionnels spécialement habilités à émettre une expertise médicale afin d’éclairer et d’aider le juge dans son travail.

Un récent rapport du groupe de travail sur la médecine d’expertise présenté par  le Collège des médecins du Québec et le barreau du Québec, établit que « la qualité de l’expertise médicale au service des tribunaux administratifs, civils et criminels doit être mieux encadrée» et prévoit ainsi la création « d’un programme d’inspection professionnelle » afin de « détecter les médecins qui acceptent de produire des rapports d’expertise complaisants dans le but d’aider des avocats à gagner une cause ». L’admission en preuve d’objets connectés tel que le bracelet électronique Fitbit pourrait très certainement contribuer à amoindrir le risque de « rapports complaisants » rédigés par les médecins experts, notamment dans le cadre d’accidents de la route ou d’accidents du travail, dans la mesure où la collecte des informations relative aux capacités physiques d’un individu par le biais d’un objet connecté se fait de manière objective et instantanée.

En l’espèce, la demande a « peu de chance d’aboutir, notamment parce qu’il n’existe pas de données Fitbit précédent l’accident qui s’est produit il y a quatre ans ». Il apparait donc difficile de faire « un avant et un après ». Cela ouvre toutefois « la voie à de nouvelles possibilités » en matière d’acceptation de preuves juridiques.

Cependant, une limite peut être soulevée quant à l’utilisation de ces objets connectés en tant que moyens de preuves lors d’un procès : il semble aujourd’hui difficile de démontrer qui portait vraiment l’appareil à un instant T. Néanmoins, cette situation « pourrait évoluer à l’avenir, avec le développement de systèmes biométriques plus performants, comme l’analyse de la sueur ou l’obligation d’utiliser une empreinte digitale pour activer un dispositif, par exemple ».

En France, l’article 230-32 du Code de procédure pénale créé par la loi relative à la géolocalisation du 28 mars 2014 prévoit la possibilité dans le cadre d’enquêtes policières de recourir « (…) à tout moyen technique destiné à la localisation en temps réel, sur l’ensemble du territoire national, d’une personne, à l’insu de celle-ci, d’un véhicule ou de tout autre objet, sans le consentement de son propriétaire ou de son possesseur (…) ». Dans le cadre de cette nouvelle loi, il parait donc tout à fait envisageable de « géolocaliser un objet connecté et de le « faire parler » afin d’obtenir diverses preuves ».

L’Association des services Internet communautaires (ASIC) avait d’ailleurs émis de virulentes critiques à l’égard de cette loi, trouvant invraisemblable qu’il soit dorénavant possible pour les autorités de « localiser un individu via sa « montre connectée », de sa « brosse à dents connectée » ou un simple « bracelet connecté » calculant le nombre de kilomètres réalisé en une journée (…) ».

Ainsi, l’acceptation en preuve par les juges canadiens d’objets connectés, et plus spécifiquement de bracelets électroniques Fitbit dans le cadre d’un procès permettrait de calculer de manière précise les compensations que les compagnies d’assurance doivent verser à leur client. Toutefois il est important que des données antérieures à l’accident existent afin de rendre compte de l’évolution de l’état de santé et plus particulièrement de la diminution des capacités physiques de la victime : en l’absence de ces données, l’admission en preuves des objets connectés parait compromise. D’autre part, il est important de s’assurer que le bracelet électronique est porté par la victime elle-même, avant et après son accident, et non pas par une autre personne…

Les fabricants de ces objets connectés sont réticents à l’idée de partager publiquement l’ensemble des données « santé » de leurs clients. Cependant, « ils pourraient bien se voir contraints par la justice de les délivrer, un peu à l’image de ce que Facebook ou Twitter ont été obligés de faire dans certains cas extrêmes… ».

Il semble donc tout à fait envisageable que les bracelets électroniques connectés ou tout autre type d’objets connectés soient à l’avenir « utilisés dans le cadre d’enquête et de recherche de preuves pour la justice ou les enquêteurs ».

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