droitdu.net

Un site utilisant Plateforme OpenUM.ca

L’affaire Power/Rangers : un soulagement pour les fan films

Étudiante dans le cadre du cours DRT-6929O
19 mars 2015
Commentaires
Permalien

Le 26 février dernier, le fan film Power/Rangers mettant en vedette les personnages des Power Rangers dans un univers sombre de drogue, de violence et de sexe a été retiré de Vimeo et de YouTube dans les trois jours suivants sa publication, après plus de 12 millions de visionnements. Le court-métrage de 14 minutes, mis en scène par Joseph Kahn, un fan des Power Rangers, n’a pas du tout été apprécié de Haim Saban, le propriétaire de la licence des Power Rangers.

L’histoire a explosé sur Internet lorsque Kahn s’est adressé à ses followers sur Twitter en leur demandant d’écrire à Saban Entertainment pour qu’ils autorisent le retour de la vidéo sur YouTube et Vimeo, au nom de la liberté d’expression et du droit à la parodie et à la satire. Suite au retrait de la vidéo, tous s’attendaient à une poursuite judiciaire pour réclamation des droits d’auteur. Toutefois, l’affaire s’est conclue deux jours plus tard par un accord entre Saban et Joseph Kahn et le fan film est maintenant de retour sur les plateformes.

La réaction de Vimeo et de YouTube

Power/Rangers a d’abord été retiré de Vimeo le jour même où il a été publié. Le metteur en scène a immédiatement réagi sur Twitter: « @Vimeo Vimeo has to follow the DMCA and act on takedown notices from copyright owners. Please talk to legal@vimeo.com for more info. »

Au Canada, on parle plutôt d’un régime de notice et notice, où une notice est envoyée à l’utilisateur pour l’informer de sa violation des droits d’auteur. Cette nouvelle disposition de la Loi sur le droit d’auteur, qui est entrée en vigueur en janvier 2015, faisait partie du Projet de loi C-11.

Au Québec, un régime similaire au notice and takedown de la DMCA existe dans la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (LCCJTI). L’article 22 dispose que Vimeo, en tant qu’intermédiaire qui conserve des documents technologiques, peut engager sa responsabilité :

S’il a de fait connaissance que les documents conservés servent à la réalisation d’une activité à caractère illicite ou s’il a connaissance de circonstances qui la rendent apparente et qu’il n’agit pas promptement pour rendre l’accès aux documents impossible ou pour autrement empêcher la poursuite de cette activité.

Les deux plateformes qui hébergeaient le fan film n’ont pas voulu engager leur responsabilité. Elles ont rendu la vidéo inaccessible dès qu’elles ont reçu la plainte pour violation des droits d’auteur de la part de Saban Entertainment.

Le droit à la parodie

À plusieurs reprises sur Twitter, le metteur en scène du court-métrage Power/Rangers a invoqué son droit d’interpréter et de parodier une série en tant que fan, dans une utilisation équitable. Plusieurs pays, dont les États-Unis, reconnaissent la parodie et la satire comme une exception au droit d’auteur. Au Canada, cette exception a été ajoutée en 2012 à l’article 29 de la Loi sur le droit d’auteur.

L’étiquette de « parodie » reste une zone grise qui ne peut être jugée que par les tribunaux. Selon Joseph Kahn, il s’agissait bel et bien d’une parodie, car il a réinterprété les personnages iconiques qui ont marqué sa jeunesse. Il soutient sur Twitter que : « Every image in POWER/RANGERS is original footage. Nothing was pre-existing. There is no copyrighted footage in the short. »

De plus, il défend que la série originale des Power Rangers s’adresse à des enfants, alors que son court-métrage, vulgaire et violent, n’était clairement pas destiné au même public. Son œuvre n’entre pas en concurrence avec l’œuvre originale. Il ajoute que la vidéo n’a pas été tournée dans le but de faire de l’argent : « I am not making any money on and I refuse to accept any form anyone. It was not even kickstarted, I paid for it myself. »

De l’autre côté, Haim Saban, le propriétaire des droits avait peur que des gens confondent le fan film avec la série originale. Saban, qui prévoit un film Power Rangers pour 2016, ne voulait pas qu’on associe l’interprétation sombre de Kahn avec sa licence. Il faut comprendre que le court-métrage a été extrêmement bien réalisé et qu’il emploie des comédiens célèbres. Il est possible qu’un téléspectateur confonde cette version avec l’originale et qu’il croit que les deux soient de la même source.

L’exception de la parodie est nouvelle au Canada et les tribunaux n’ont pas encore déterminé le test. Dans un précédent blogue, nous avons pu souligner les trois critères qui devraient être pris en compte : le fait d’être une parodie, le fait de ne pas faire de concurrence à l’œuvre première mais aussi le fait de pas porter à confusion sur l’origine possible de la parodie. Il est fort probable que les juges ne retiennent pas l’exception de parodie/satire du fait d’une possible confusion.

Au delà du droit…

Adi Shankar, le producteur du court-métrage, était profondément déçu de la tournure des événements. Il a exprimé sa frustration sur sa page Facebook. Pour lui, il s’agissait d’une attaque à la liberté d’expression et à l’individualité :

Films like my Power/Rangers “Bootleg” are vital expressions of creativity in our troubled world. If we suppress this creativity and become passive PARTICIPANTS in the consumption of the culture we live in, we implicitly allow a dangerous precedent to be set for the future of the internet.

Il a argumenté que les fans désirent participer à la création de la culture populaire et s’amuser à la transformer pour créer quelque chose de nouveau.

Le retrait de la vidéo a été mal vu par la communauté des fans des Power Rangers et sur Internet. Plusieurs ont exprimé leur support et leur désir du retrait de la plainte et du visionnement de la vidéo. Joseph Kahn a déclaré dans une entrevue avec Deadline : « I think it’s a huge blow for fandom […] Instead of supporting the good will of the fans, they’ve turned it into a legal issue. »

L’affaire a fait beaucoup de bruit sur Internet. Elle a été rapportée par des dizaines de journaux et de blogues et partagée des milliers de fois. Malgré les droits que possédait Saban, il s’agissait d’une situation de David contre Goliath. D’un côté Joseph Kahn, qui met en scène le fan film Power/Rangers avec de bonnes intentions et sans faire de profit, et de l’autre, Haim Saban, le 172e homme le plus riche des États-Unis selon Forbes, qui demande le retrait de la vidéo pour contrefaçon. La réputation de Saban Entertainement risquait fort d’être entachée si l’affaire se rendait en Cour.

Un compromis pour le court-métrage

Grâce à Internet et au support de la communauté, les deux parties en sont venues à un accord pour que Power/Rangers soit de retour sur Vimeo et sur YouTube. Le message de mise en garde suivant a été rajouté avant le début de la vidéo :

Deboot of the Power Rangers. My take on the FAN FILM. Not a pilot, not a series, not for profit, strictly for exhibition. This is a bootleg experiment not affiliated or endorsed by Saban Entertainment or Lionsgate nor is it selling any product. I claim no rights to any of the characters (don’t send me any money, not kickstarted, this film is free). This is the NSFW version. An alternate safe version is on youtube.

Ce message vise à éviter toute confusion entre la licence originale des Power Rangers détenue par Saban Entertainment et l’interprétation sombre et violente du court-métrage. L’affaire s’est conclue par une victoire pour Joseph Kahn, qui s’est exprimé sur Twitter : « THANK YOU to everyone who fought for free speech. You made a différence. Your voice was heard. Kind of nuts, right? » « Internet changes things. New world, new rules. » La situation a aussi permis au metteur en scène de se faire connaître et au court-métrage d’avoir beaucoup de visibilité.

Cette victoire en est une pour tous les fan films. Une confrontation en Cour aurait pu remettre en question la légitimité des milliers de parodies et de vidéos de fans déjà présents sur Internet.

Sur le même sujet

Derniers tweets