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N’ayez crainte! Vous êtes surveillés et c’est constitutionnel…

28 juillet 2015
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Il n’aura pas fallu longtemps au Conseil constitutionnel français pour rendre sa décision sur la désormais célèbre Loi sur le renseignement. Le 23 juillet 2015, le Conseil a donc rendu la décision n° 2015-713 DC dans laquelle il procède à un contrôle de constitutionnalité quelque peu fragile, sans surprise néanmoins. C’est officiel! La loi sur le renseignement est non seulement adoptée mais déclarée constitutionnelle du moins pour une très grande partie de ses dispositions. Et pourtant…

Jetons un coup d’œil sur quelques dispositions générales de la loi contestées devant le Conseil en attendant le prochain billet porté sur la procédure et les techniques de renseignement. La 1ère disposition, et non la moindre, est celle listant les cas d’application de la loi. L’article L.811-3 prévoit en effet que :

«Pour le seul exercice de leurs missions respectives, les services spécialisés de renseignement peuvent recourir aux techniques mentionnées au titre V du présent livre pour le recueil des renseignements relatifs à la défense et à la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation suivants :

« 1° L’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et la défense nationale ;

« 2° Les intérêts majeurs de la politique étrangère, l’exécution des engagements européens et internationaux de la France et la prévention de toute forme d’ingérence étrangère ;

« 3° Les intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France ;

« 4° La prévention du terrorisme ;

« 5° La prévention :

« a) Des atteintes à la forme républicaine des institutions ;

« b) Des actions tendant au maintien ou à la reconstitution de groupements dissous en application de l’article L. 212-1 ;

« c) Des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique ;

« 6° La prévention de la criminalité et de la délinquance organisées ;

« 7° La prévention de la prolifération des armes de destruction massive.»

 

Vous remarquerez que la protection des intérêts économiques et industriels prévaut sur la prévention du terrorisme alors que la propagande promotionnelle offerte par le gouvernement français après les attentats de Charlie Hebdo autour du projet de loi laissait naïvement penser le contraire. Le 5° alinéa mérite également une seconde d’attention. Les monarchistes aguerris ont plutôt intérêt à se tenir à carreaux puisque la forme républicaine doit être apparemment préservée avant de s’intéresser à la prévention du trafic d’armes de destruction massive – les réminiscences de la révolution française probablement. Inutile également de s’attarder sur le 2° alinéa qui revient in fine à inclure dans la surveillance la protection des intérêts de nos alliés.

Or revenons-en à la décision constitutionnelle en tant que telle. La requête soutenait que ces cas de figure étaient bien trop larges et pas assez définis, portant donc atteinte de manière manifestement disproportionnée au respect de la vie privé et à la liberté d’expression. Sur ce point, la saisine a été en soi quelque peu timide puisque les atteintes sont bien plus diverses et conséquentes.

Pour autant, la réponse du Conseil est non seulement faible mais amplement contestable. Le Conseil considère que « le recueil de renseignements (…) relève de la seule police administrative; qu’il ne peut donc y avoir d’autre but que de préserver l’ordre public et de prévenir les infractions » (§9 et s.). Par ailleurs, il faut combiner cette disposition avec une autre disposition qui renvoie au Code pénal ce qui finalement apporterait nécessairement plus d’éclaircissement selon le Conseil. La garantie ultime est alors celle du bon vieux contrôle de proportionnalité entre «la décision de recourir aux techniques de renseignement et les techniques choisies (…) [avec] la finalité poursuivie et aux motifs invoqués» dont le Conseil d’État et la future Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement sont en charge.

L’argumentaire du Conseil est non seulement maigre mais sans fondement solide. Présumé garant de la Constitution et protecteur des droits et libertés, il aurait pu au moins faire un effort supplémentaire pour fournir de meilleurs arguments. Au lieu de ça, il s’est contenté d’offrir une prestation ratée de soutien à une loi qui défit bien plus que le respect de la vie privée et de la liberté d’expression. Se contenter de démontrer que la nature de la décision, à savoir de police administrative, suffit en elle-même pour garantir le respect de la Constitution puisque le seul but de la police administrative, certes honorable, est de préserver l’ordre public, relève non seulement d’une paresse troublante mais ne justifie pas tant la conformité de cette disposition à la Constitution. D’autre part, l’interprétation de la loi à la lumière des dispositions pertinentes du code pénal n’enlève en rien le caractère particulièrement large de ces cas de figure. D’autant que, comme le souligne le Conseil, ce sont des décisions de police administrative dont l’objectif n’est nullement de mener une enquête et de récolter les preuves d’une infraction.

Concernant le contrôle de proportionnalité, encore là le fait que ce contrôle existe et se trouve être entre les mains du Conseil d’État et d’une autorité administrative mixte spécialement créée pour l’occasion n’est toujours pas une caution de constitutionnalité.

Pour résumer, le Conseil a fondé son analyse sur une dichotomie police administrative et police judiciaire douteuse. Il s’ensuit une affirmation pour le moins utopique et contradictoire sur le rôle auto-suffisant des acteurs de contrôle. Pour finir, il valide une disposition qui recouvre presque de manière illimitée toutes les activités nationales et internationales – que les autorités nationales auront jugé en temps voulu menaçantes non pas seulement en terme de sécurité nationale, mais aussi et surtout de sécurité politique, économique, industrielle, républicaine, etc.

On peut appeler le but de cette loi comme on veut, mais c’est bien d’une surveillance massive voire généralisée dont on parle. Qu’on le veuille ou non, il semblerait que ce soit constitutionnel. Reste maintenant à analyser la position du Conseil sur l’aspect procédural et technique de cette loi…

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