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Les facettes technologiques du NCPC: le règlement en ligne des litiges (6/7)

31 août 2015
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Vous avez dit « ODR » ? Depuis une dizaine d’années, vous avez certainement croisé cet acronyme-anglicisme au détour de vos lectures sur Internet. ODR est en fait une contraction de Online Dispute Resolution. En français, on parlera plus volontiers de règlement (ou résolution) en ligne des litiges. En substance, cette expression réfère à l’utilisation des technologies pour la prévention et le règlement des différends tant sur le plan extrajudiciaire que judiciaire. Une telle définition couvre donc les modes alternatifs de résolution des conflits en ligne (négociation, médiation et arbitrage), mais également les solutions technologiques développées pour la justice étatique (dossiers électroniques, etc.). Les travaux duLaboratoire de cyberjustice apportent davantage de concret en dégageant trois critères pratico-pratiques :(1) l’utilisation d’une plateforme logicielle offrant une interface automatisée permettant d’exécuter l’ensemble des étapes d’une procédure et de prendre en charge le stockage et la gestion de la preuve ; (2) la possibilité pour les utilisateurs d’obtenir, en permanence, une assistance technique en ligne ; et (3) la présence d’un réseau de tierces parties neutres et reconnues pour leur expertise dans le domaine précis du droit en question.

Ce sixième volet du cycle de billets de blogue « Les facettes technologiques du NCPC » s’attaque donc à la question suivante : le nouveau Code de procédure civile (ci-après « NCPC ») favorise-t-il le règlement en ligne des litiges ? Comme les professeurs Benyekhlef et Vermeys l’ont déjà relevé, rien n’est moins sûr. En effet, tant dans les travaux préparatoires que dans les débats parlementaires, le règlement en ligne des litiges fait figure de grand oublié de la réforme du Code de procédure civile. Cette situation est surprenante et contrariante. Surprenante, car l’informatisation des MARC suscite la réflexion partout dans le monde. Le meilleur exemple étant la récente réglementation européenne sur sujet, mais également le Civil Resolution Tribunal en Colombie-Britannique. Contrariante, car le règlement en ligne des litiges est un véritable marché qui permet de stimuler l’économie – le Parlement européen parle d’ailleurs de « levier pour stimuler la croissance et renforcer la confiance dans le marché unique ».

Le règlement en ligne des litiges au Québec est donc pour le moment un non-sujet. Pourquoi donc en parler ? Cela reviendrait-il à souffler dans un violon ? La réponse est un non affirmatif. Le législateur n’a pas pu traiter cette question, il nous revient donc en tant que juriste de prendre le relais. C’est en ce sens que François Gény insiste sur le rôle créateur du juriste, en introduisant notamment l’idée de « libre recherche scientifique ». Or, la discipline juridique se rapproche à bien des endroits de celle culinaire : il s’agit dans les deux cas d’un art qui, pour ne pas s’abâtardir, a besoin de fantaisie, d’un petit grain de folie. Plus avant, on doit croiser trois ingrédients pour préparer efficacement le règlement en ligne des litiges à la « sauce québécoise ». Enfilons donc notre toque et examinons cette recette normative.

1ER INGRÉDIENT : LA JUSTICE PARTICIPATIVE COMME CADRE CULTUREL

La Disposition préliminaire du NCPC vient poser comme objectif « la prévention et le règlement des différends et des litiges, par des procédés adéquats, efficients, empreints d’esprit de justice et favorisant la participation des personnes » (alinéa 2). Il s’agit d’une référence explicite à la « justice participative », qui priorise notamment la justice privée sur la justice étatique. Soulignons à cet égard que le NCPC pose une définition ambivalente de la justice civile : d’une part, la justice civile privée, véhiculée par les modes privés, d’autre part, la justice civile publique que permettent la conférence de règlement à l’amiable et le procès. Plusieurs auteurs ont largement traité de ce « virage culturel », parmi lesquels les professeurs Piché etRoberge. Mais le NCPC ne s’arrête pas là ; l’article 1 alinéa 3 vient en effet disposer :

« Les parties doivent considérer le recours aux modes privés de prévention et de règlement de leur différend avant de s’adresser aux tribunaux. »

C’est donc dire que la négociation, la médiation et l’arbitrage doivent être considérés, et ce, quel que soit l’environnement qui soutient ces modes de résolution des litiges (papier ou numérique).

2E INGRÉDIENT : LA PROPORTIONNALITÉ COMME PRINCIPE DIRECTEUR

Lors de la réforme du Code de procédure civile en 2003, le législateur a cherché à insuffler un vent de fraîcheur en codifiant un certain principe de « proportionnalité procédurale ». En substance, l’action des parties et des tribunaux doit désormais être inspirée par « une même préoccupation de proportionnalité entre, d’une part, les procédures prises, le temps employé et les coûts engagés et, d’autre part, la nature, la complexité et la finalité des recours. » Depuis ce jour, la proportionnalité s’est progressivement infiltrée dans tous les recoins de la procédure civile (transfert de dossier dans un autre district judiciaire, interprétation des règles de procédure, interrogatoires préalables, etc.). Le NCPC ne déroge pas à cette tendance. Lui aussi élève la proportionnalité au rang de « principe directeur ». Cette intention de principe est à la fois exprimée dans les notes explicatives et dans la Disposition préliminaire ; selon cette dernière, le NCPC vise « l’application juste, simple, proportionnée et économique de la procédure ». Par ailleurs, la proportionnalité est érigée en « principe de la procédure applicable devant les tribunaux de l’ordre judiciaire » (article 18 NCPC). Mais surtout, en ce qui nous concerne, la proportionnalité est également un « principe de la procédure applicable aux modes privés de prévention et de règlement des différends ». L’article 2 alinéa 2 NCPC dispose ainsi :

« [Les parties] doivent, de même que les tiers auxquels elles font appel, veiller à ce que les démarches qu’elles entreprennent demeurent proportionnelles quant à leur coût et au temps exigé, à la nature et à la complexité de leur différend. »

Ceci étant dit, le principe de proportionnalité et le recours aux technologies de l’information ont un dénominateur commun : diminuer les délais et réduire les coûts pour améliorer l’accès à la justice. À titre d’exemple, la visioconférence limite les coûts habituellement élevés du maintien d’un système de justice dans les régions éloignées, notamment parce que le décideur et les parties n’ont pas à se déplacer. En matière de modes privés de prévention et de règlement des différends, il ne serait donc pas farfelu d’invoquer l’obligation de proportionnalité pour justifier le recours aux technologies – ce qui a déjà été le cas devant les tribunaux de l’ordre judiciaire.

3E INGRÉDIENT : LA FAVEUR AUX TECHNOLOGIES COMME RÈGLE TECHNIQUE

Le NCPC porte une véritable volonté d’informatiser le procès civil, les débats parlementaires sont à cet égard révélateurs. Plus concrètement, les notes explicatives indiquent que ce nouveau texte « permet d’utiliser les technologies de l’information en matière de procédure civile » et l’article 26 alinéa 1 NCPC se lit comme suit :

« Dans l’application du Code, il y a lieu de privilégier l’utilisation de tout moyen technologique approprié qui est disponible tant pour les parties que pour le tribunal en tenant compte, pour ce dernier, de l’environnement technologique qui soutient l’activité des tribunaux. »

Cette disposition a été largement analysée dans un précédent billet de blogue ; « les facettes technologiques du NCPC : La faveur aux moyens technologiques (2/7) ». Malgré plusieurs faiblesses tant sur plan interprétatif que rédactionnel, l’article 26 NCPC est résolument « protechnologique ». Comme l’indiquait le ministre de la Justice Saint-Arnaud lors des débats parlementaires : « [c]et article marque l’intégration des technologies de l’information à la procédure civile. L’utilisation de ces technologies peut permettre d’accroître l’accessibilité des citoyens à la justice, d’augmenter la qualité des services offerts, de diminuer les délais ainsi que les coûts afférents. » On comprend assez facilement que le règlement en ligne des litiges, qui met précisément les technologies au service des MARC, s’inscrit dans la droite ligne de la volonté technophile du législateur.

LE MÉLANGE DES INGRÉDIENTS… EN ROUTE VERS LE RÈGLEMENT EN LIGNE DES LITIGES !

Les ingrédients sont sur la table. Il faut maintenant les mêler délicatement pour obtenir un résultat satisfaisant. La justice participative comme cadre culturel, la proportionnalité comme principe directeur, la faveur aux technologies comme règle technique… tout est là pour autoriser (voire même favoriser !) le règlement en ligne des litiges au Québec. Sur un plan strictement juridique, nous soutenons que la lecture combinée des articles 1, 2 et 26 NCPC milite largement pour la résolution en ligne des litiges – bien que le NCPC n’ait pas été conçu dans cette perspective. Le hasard fait bien les choses ou l’audace fait avancer les choses, à votre convenance. Dans le même sens, les professeurs Benyekhlef et Vermeys dégageaient la conclusion suivante :

« The new Code is giving us the legislative tools to put ODR at the very core of the dispute resolution process in Quebec. We can only hope that those who would benefit most from this change will take advantage of the situation… »

Faisons une dernière incursion dans un laboratoire de cuisine moléculaire, qui vous permettra de mieux saisir le potentiel du règlement en ligne des litiges au Québec. En effet, le Laboratoire de cyberjustice a développé la plateforme PARLe pour les conflits de faible intensité non complexes en droit et dont la valeur en litige ne justifie pas le recours aux tribunaux (veuillez cliquer ici pour une vidéo explicative). Il y a assurément un bel avenir au règlement en ligne des litiges au Québec et plus largement au Canada… à nous de ne pas rater le train !

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