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Google : Profession, journaliste

Étudiante dans le cadre du cours DRT-6903.
4 décembre 2015
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Le 25 novembre dernier, Google publiait son bilan portant sur les demandes de suppression de contenus liés à la vie privée dans les résultats de recherche qu’elle a reçues depuis la décision rendue par la Cour européenne dans l’arrêt Google Espagne c. Mario Costeja Gonzales il y a un an et demi :

« Nombre total d’URL que nous avons examinées suite à des demandes de suppression : 1 242 524 URL
Nombre total de demandes reçues par Google : 350 868 demandes
URL supprimées : 42.1%
URL non supprimées : 57.9% »

Bref rappel : Le 13 mai 2014, la Cour européenne ordonnait à Google de supprimer les résultats de recherche sur Monsieur Gonzales qui portaient sur la saisie de ses biens par le gouvernement espagnol pour vente aux enchères pour paiement de ses dettes de sécurité sociale, survenue il y avait plus de dix ans. Sur la base de la directive 95/46/CE, qui prévoit à toute personne physique le droit de demander au responsable du traitement la rectification, l’effacement ou le verrouillage des données dont le traitement n’est pas conforme à la présente directive, notamment en raison du caractère incomplet ou inexact des données – la Cour ordonne à Google d’accéder à la demande de Monsieur Gonzales.

Comme toutes décisions de la Cour de justice de l’union européenne interprétant une directive, cette dernière lie toutes les juridictions nationales de l’Union qui seraient confrontées à ce même type de litige et dépasse l’anecdote espagnole de M. Gonzales et ses dettes.

Un an et demi plus tard, à la lumière du deuxième bilan de Google sur la question, on constate qu’effectivement la décision de la Cour européenne était loin d’être anecdotique. En effet, plusieurs internautes européens (quelques centaines de milliers) se sont prévalu de ce « droit à l’oubli numérique ».

Il est fort heureux que la Cour ait jugé que les internautes devaient transmettre leur demande de suppression de références contenant de l’information à caractère privé à Google. En effet, si elle avait confié la tâche titanesque de recevoir et d’analyser les demandes d’internautes aux commissions nationales de la protection de la vie privée, les ressources publiques de ces commissions auraient vite été dépassées !

D’aucuns diront que la Cour a donné à Google un pouvoir de juge. J’avancerais plutôt que l’on exige de Google d’effectuer le même travail que fait une entreprise de presse. En effet, le journaliste a l’obligation de s’assurer que l’intérêt public justifie la diffusion de sa nouvelle et que cet intérêt public prime sur le respect à la vie privée. Au Québec, cette obligation repose sur la Charte des droits et libertés de la personne qui érige la liberté d’expression et le droit à la vie privée au titre de libertés et droits fondamentaux.

« Lorsque des faits, des évènements et des situations mettent en cause la vie privée de personnes, la presse doit bien soupeser et mettre en équilibre son devoir d’informer et le respect des droits de la personne (Conseil de presse du Québec à la page 23). »

Google a donc analysé 350 868 demandes en 18 mois, soit 640 demandes par jour ! Selon la presse, c’est un groupe d’avocats, techniciens juridiques et ingénieurs qui ont analysé chaque demande individuellement. Les cas les plus difficiles étaient référés à un groupe d’employés de niveau supérieur qui devait trancher. Le travail semble donc être effectué sans algorithme, à la mitaine. Fait intéressant, des discussions ont cours en Europe sur la pertinence d’élaborer pour tout le Web des algorithmes permettant de fixer des dates de péremption sur les informations diffusées: après un certain temps, certaines informations prédéterminées seraient automatiquement effacées du Web (P. S. Castellano, The Right to be forgotten under European Law: a Constitutional Debate). Bien entendu, toute la difficulté réside dans la détermination des informations qui relèvent, après un certain temps, uniquement de la sphère de la vie privée : le risque est grand d’effacer de notre mémoire collective virtuelle des pans de l’histoire de l’humanité…

Quoi qu’il en soit, pour le moment, Google semble utiliser une démarche des plus classique pour déterminer ce qui relève de l’intérêt public et de la vie privée : elle prend ses décisions sur la foi du jugement d’individus formés en la matière. C’est la démarche utilisée par l’entreprise de presse : lorsqu’un journaliste n’est pas certain du contenu de sa nouvelle, il réfère à son patron; dans les cas difficiles, ce sont les avocats de l’entreprise qui analysent la nouvelle et recommandent sa publication ou non.

Je dirais même que le rapport de Google pourrait être utilisé dans le cadre de formations journalistiques : Par vingt-trois exemples, il enseigne ce qui est d’intérêt public et ce qui relève uniquement de la vie privée :

« Un homme d’affaires célèbre nous a demandé de retirer des articles relatifs à son procès contre un journal. Nous n’avons pas supprimé les articles en question des résultats de recherche.

Une femme nous a demandé de retirer des résultats de recherche des pages comportant son adresse. Nous avons supprimé les pages en question des résultats de recherche correspondant à son nom.

Une victime de viol nous a demandé de supprimer un lien vers un article de journal relatif au crime. Nous avons supprimé des résultats de recherche la page comportant son nom. »

Notons que si le demandeur n’est pas satisfait de la décision de Google, il a un recours auprès de la commission nationale de la protection de la vie privée de son pays.

La décision de la Cour européenne a exigé de Google qu’il soit responsable, dans une certaine mesure, des listes de résultats de recherche qu’il publie. Son modèle d’affaires étant basé sur cette activité, il est normal qu’il assure une certaine responsabilité à l’égard du produit qu’il fournit.  Tout comme l’entreprise de presse qui profite financièrement de la diffusion de son journal est responsable de son contenu, Google, qui tire profit de ses listes de résultats de recherche, a maintenant le devoir de s’assurer que le « droit à l’oubli » des internautes européens soit respecté. Toute activité économique doit prendre en compte les risques inhérents à cette activité économique, même les économies basées sur les nouvelles technologies (acception entrepreneuriale).

 

 

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