Dans son discours sur le budget du 26 Mars 2015, le gouvernement québécois proposait une modification législative ayant comme objet de forcer les fournisseurs de services Internet à bloquer l’accès aux sites de jeux en ligne qui rivalisent avec le site de Loto-Québec, Espacejeux.com.
En Novembre dernier le gouvernement a introduit son Projet de loi n0 74 (Loi concernant principalement la mise en œuvre de certaines dispositions du discours sur le budget du 26 mars 2015) modifiant, entre autres, la Loi sur la protection du consommateur pour interdire les jeux d’argent en ligne non règlementés.
Pour le gouvernement québécois, ce projet de loi représente une solution aux pertes fiscales, estimées à plus de 200M $ de revenus à Loto-Québec l’an dernier, qu’entraînent les sites de jeu d’argent non réglementés. Avec ces mesures, le gouvernement espère récupérer 13.5M $ l’an prochain et 27M $ supplémentaires pour les années successives.
C’est ainsi que le projet de loi prévoit ajouter l’article 260.34 à la Loi sur la protection du consommateur énonçant qu’un
« fournisseur de services Internet ne peut permettre l’accès à un site de jeu d’argent en ligne dont l’exploitation n’est pas autorisée par une loi du Québec. »
L’article 260.35 précisera que la Société des loteries du Québec sera en charge d’établir la liste des sites non autorisés de jeu d’argent en ligne et de la fournir à la Régie des alcools, des courses et des jeux afin qu’elle la transmette aux fournisseurs de services Internet.
Et l’article 260.36 stipulera que
« le fournisseur de services Internet qui reçoit la liste des sites non autorisés de jeu d’argent en ligne conformément à l’article 260.35 doit, dans les 30 jours suivant sa réception, bloquer l’accès à ces sites. »
D’après Michael Geist, professeur de droit à l’université d’Ottawa, ces mesures seraient un affront à la neutralité du net qui est le principe que les fournisseurs de services Internet et les gouvernements ne discriminent pas le contenu du web.
Au Canada, on retrouve ce principe dans la Loi sur les télécommunications qui stipule à l’article 36 qu’il « est interdit à l’entreprise canadienne, sauf avec l’approbation du Conseil, de régir le contenu ou d’influencer le sens ou l’objet des télécommunications qu’elle achemine pour le public. » Toutefois, aucune loi n’empêche le gouvernement canadien de limiter l’accès au web.
Le point chaud du sujet : les mesures du gouvernement québécois seraient-elles légales?
Selon le professeur Geist, la cause sera inévitablement débattue devant les tribunaux compte tenu que les télécommunications relèvent exclusivement de la compétence fédérale et que la loi violerait le droit à la liberté d’expression.
Selon la division des compétences, le gouvernement fédéral est effectivement exclusivement responsable des télécommunications en vertu de son pouvoir résiduel conféré à l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867. Toutefois, l’exclusivité des compétences législative n’est que le principe de base et peut être limité par la possibilité qu’ont le fédéral et les provinces d’affecter incidemment des matières relevant de la compétence exclusive de l’autre ordre de gouvernement.
Une loi ou une disposition de la loi n’est invalidée que lorsqu’elle n’est pas à l’intérieur des pouvoirs du parlement qui l’a adopté. Selon l’arrêt Québec c. Lacombe l’examen de la validité de la mesure législative requiert d’étudier le caractère véritable d’une loi ou de sa disposition et donc à identifier la matière sur laquelle porte essentiellement la législation. On recherche ainsi l’objectif poursuivi par la mesure législative. L’analyse peut aussi porter sur les effets à la fois juridiques et des conséquences pratique qui découlent de son application.
De simples répercussions superficielles sur des matières relevant de l’autre ordre de gouvernement ne suffiront pas à entrainer l’invalidation. On se souviendra par exemple de l’arrêt Québec c. Kellogs où la majorité de la Cour Suprême a jugé que la Loi sur la protection du consommateur pouvait valablement toucher de manière incidente la télévision qui relève de la compétence fédérale exclusive.
Dans l’arrêt Siemens c. Manitoba , la Cour Suprême a aussi déjà établi que la réglementation des activités de jeu et loterie a un aspect provincial manifeste en vertu de l’article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867, mais aussi un aspect fédéral. Il s’agirait donc d’une matière à double aspect dont les deux ordres de gouvernement peuvent légiférer dans leur champ de compétence respectif. Dans cette affaire, les appelants faisaient valoir que la loi et ses dispositions attaquées s’agissaient d’une tentative déguisée de légiférer en matière criminelle, soit une compétence fédérale. Pour la cour, cependant, la mesure législative portait sur les accords d’exploitation d’établissement de loterie, qui sont de nature contractuelle et de ce fait relèvent de la propriété et des droits civils, une compétence provinciale. Il n’y avait donc pas d’empiètement dans la compétence fédérale.
Mais, comme l’arrêt Québec c. Lacombe est venu le démontrer, même lorsque le caractère véritable de la législation excède la compétence de l’organisme qui les adopte, la loi peut être maintenue en vertu de l’application de la doctrine des pouvoirs accessoires. Cette dernière est déclarée valide lorsque la mesure attaquée est liée rationnellement et fonctionnellement à une compétence donnée. Un certain chevauchement des compétences serait donc permis si les dispositions contestées apportent un complément à l’objectif général du régime législatif.
Qu’en est-il alors de l’objet réel de la loi proposée par le gouvernement québécois?
D’après les notes explicatives du Projet de loi n0 74, le but des mesures serait de contrôler l’offre de jeux d’argent en ligne. Le caractère véritable serait-il ainsi la réglementation de l’industrie des jeux de hasard ou la réglementation de l’Internet ? À quel champ de compétence législative provinciale se rattacherait cette matière? Certainement il y aurait empiètement sur la compétence du fédéral en matière de télécommunication, mais l’empiètement serait-il superficiel, ou s’agirait-il d’un cas excédant la compétence du provincial pouvant être maintenue ou pas en vertu des pouvoirs accessoires?
Le point saillant qui se dégage de cette saga-en-devenir est toutefois de savoir à quel point le gouvernement devrait-il être autorisé à bloquer l’accès au web, peu importe l’objectif recherché. Cette loi ouvrirais peut-être ainsi la porte à toutes sortes d’autres interdiction, surtout en ce qui trait au commerce électronique qui pourrait certainement être la prochaine cible en raison des d’achats en ligne qui se font sans qu’aucune taxe de vente ne soit facturée. Afin de préserver la neutralité du net, des mesures autres que la restriction d’accès au web devraient être privilégiées dans ces cas-ci. Peut-être que le gouvernement devrait suivre les recommandations de son propre Groupe de travail sur le jeu en ligne et qu’il serait préférable de travailler avec le gouvernement fédéral pour amender le Code criminel et instaurer un système de licences aux exploitants privés de jeux en ligne au lieu de leur bloquer l’accès au web.