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Gregory v. Guthrie, les contours de la liberté d’expression et d’opinion sur les réseaux sociaux

Étudiant dans le cadre duc ours DRT-6929O.
29 février 2016
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Un artiste torontois, Gregory Allen Elliott, a connu une histoire inédite qui l’a plongé dans une longue bataille judiciaire.

Incarcéré en 2012 suite à un échange de tweets jugés injurieux dans le cadre d’un débat avec deux activistes féminines, l’artiste et père de 4 enfants n’avait pas anticipé l’ampleur des répercussions que pouvaient avoir des commentaires sur un réseau social, tant sur sa vie personnelle que professionnelle. Afin de retrouver sa liberté et défendre son innocence, Gregory a du suivre des conditions strictes le privant notamment d’utiliser un appareil avec accès à internet, ce qui l’empêcha de facto d’exercer son emploi pendant toute la durée de la procédure judiciaire.

L’affaire insolite commence lorsque l’accusé critique sur Twitter Mme Stéphanie Guthrie pour avoir dénoncé publiquement un homme qui a crée un jeu vidéo qui incitait à frapper au visage une féministe. S’en suivent alors des échanges récurrents, dans lesquels les plaignantes disent s’être sentit surveillées et inquiètes, notamment lorsque l’accusé a commenté sur un bar au moment ou elle s’y trouvait, malgré le fait qu’elle l’ait préalablement bloquée.

Le premier procès au Canada pour harcèlement criminel basé uniquement sur un échange de commentaires sur le réseau social Twitter aura donc duré 3 ans et 2 mois, et couté plus de 100,000$ au défendant en frais légaux.

Au Canada, le Code criminel stipule clairement, article 264 paragraphe (1), qu’il «est interdit, sauf autorisation légitime, d’agir à l’égard d’une personne sachant qu’elle se sent harcelée ou sans se soucier de ce qu’elle se sente harcelée si l’acte en question a pour effet de lui faire raisonnablement craindre – compte tenu du contexte – pour sa sécurité ou celle d’une de ses connaissances.” Code criminel (L.R.C. (1985), ch. C-46).

Toujours selon ce code, « Constitue un acte interdit aux termes du paragraphe (1), le fait, selon le cas, de :

  • a) suivre cette personne ou une de ses connaissances de façon répétée;
  • b) communiquer de façon répétée, même indirectement, avec cette personne ou une de ses connaissances;
  • c) cerner ou surveiller sa maison d’habitation ou le lieu où cette personne ou une de ses connaissances réside, travaille, exerce son activité professionnelle ou se trouve;
  • d) se comporter d’une manière menaçante à l’égard de cette personne ou d’un membre de sa famille.

Dans ce cas, Mr. Gregory est concerné par les points b) et c) du paragraphe (2) de par les accusations portées par les plaignantes concernant la teneur des commentaires et la ténacité du concerné. Si l’infraction est avérée, le code conclut au paragraphe (3) que l’accusé est alors considéré coupable d’un acte criminel et peut encourir une peine d’emprisonnement maximale de 10 ans.

Le verdict, qui était tant attendu, notamment par les utilisateurs férus de réseaux sociaux et les défendeurs de liberté d’expression qui craignaient qu’un tel précèdent ne fragilise la teneur des débats sur le web; a finalement débouché le 22 Janvier 2016 en un acquittement de Mr. Gregory, le juge n’ayant pu prouver hors de tout doute raisonnable l’intention de l’accusé de menacer la sécurité des plaignantes, ni certifier avec assurance que les tweets ont bien été envoyés par l’accusé.

Plusieurs réactions relayées via Twitter même ont ainsi salué la décision du juge et la victoire de la liberté d’expression au Canada, malgré l’engrenage subit par le principal concerné. La défense a pointé avec insistance l’absence de menaces ou de commentaire à caractère sexuel, contrairement à ce que clamaient les deux activistes à l’origine de la plainte.

Ce procès était suivi de près par plusieurs spécialistes du droit civil et criminel, qui y voyaient l’occasion de tracer et définir les limites de la liberté d’expression sur internet. Ainsi, interviewé par Radio Canada, David Grossman, un avocat en droit civil basé à Montréal et spécialiste des cas de diffamation, juge que “ce procès était important dans le but de faire un premier pas vers une meilleure définition de ce qui est considéré comme un comportement acceptable sur le web”. De son côté, Cara Zwibel de l’Association canadienne des libertés civiles a quand à elle jugé que “peu importe l’issue du procès, ce dernier avait déjà soulevé des inquiétudes sur le plan de la liberté d’expression”, craignant que les discussions sur des sujets controversés sur le web ne soient auto censurés par crainte de faire l’objet d’une poursuite criminelle.

La liberté d’expression ne peut être absolue. Elle doit certes avoir ces limites, mais ne doit pouvoir être transgressée sans fondement solide, afin de ne pas créer un précédent qui risquerait de figer tout débat au thème brulant, ou encore asphyxier les échanges d’opinions publiques qui enrichissent les réseaux sociaux. Le débat sur la légitimité de limitation de la liberté d’expression est vital pour l’avenir des droits fondamentaux et des promesses de libertés qu’offre Internet. Toutefois, un consensus reste difficile à atteindre, et plusieurs questions surgissent à l’ère du numérique. Quel seront donc le rôle et l’efficacité de la censure à une époque ou l’homme est plus libre que jamais de s’exprimer, mais surtout avons nous le pouvoir de l’appliquer efficacement malgré les contraintes et les doutes que pose la communication via internet, notamment quand à la possible usurpation d’identité des interlocuteurs ?

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