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La consécration du droit à la mort numérique en droit français

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10 novembre 2016
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La loi française sur la république numérique a récemment été définitivement adoptée. La deuxième partie du texte est consacrée à la protection des données personnelles. Parmi les différentes mesures de modernisation, un  véritable droit à la mort numérique a été consacré.   

Le droit à la mort numérique vise à permettre à tout un chacun d’organiser les modalités de conservation et de communication de ses données personnelles après son décès. Le nouvel article 40-1 de la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, en son deuxième paragraphe, définit ce droit :

« Toute personne peut définir des directives relatives à la conservation, à l’effacement et à la communication de ses données à caractère personnel après son décès ».

Dans l’exercice de ce droit, la personne est libre de définir des directives générales qui seront transmises à un « tiers de confiance numérique » certifié par la commission. Les directives particulières, quant à elles, seront transférées au responsable de traitement concerné (l’opérateur). La désignation d’une personne qui prendra connaissance des directives au décès et qui sera responsable de leur exécution est aussi rendue possible. La loi insiste sur le fait que le consentement est primordial pour l’exercice du droit à la mort numérique. Il ne pourrait ressortir de la seule acceptation des conditions générales d’utilisation. Ces dernières ne peuvent pas plus limiter l’exercice de ce droit.

Suite à un amendement au texte originel, les héritiers se sont vus reconnaitre certaines prérogatives en l’absence de directives données par le défunt. Un droit de suppression des comptes sur les réseaux sociaux ainsi qu’un droit d’accès pour des raisons successorales sont ainsi consacrés. Cette solution tranche avec la position de la CNIL, qui dans une fiche pratique, rappelait que :

« Par principe, un profil sur un réseau social ou un compte de messagerie est strictement personnel et soumis au secret des correspondances. À ce titre, le droit d’accès n’est pas transmissible aux héritiers. C’est la raison pour laquelle il n’est pas possible pour la famille d’avoir accès aux données du défunt »

Désormais, les données ne sont plus caractérisées par une indisponibilité suite au décès. C’est du reste suivre une tendance déjà amorcée par les géants des réseaux sociaux. Ainsi, Facebook proposait déjà depuis plusieurs années de transformer, à la demande des proches, le profil d’une personne décédée en mur de commémoration. Les héritiers pourront désormais aller plus loin en se subrogeant dans les droits de la personne décédée pour clôturer le compte en cause. Google anticipait encore plus la démarche de la loi. La société californienne propose à l’internaute de gérer le sort des données personnelles qu’elle détient. Il est ainsi possible de décider que nos données seront soit complétement détruites, soit transférées automatiquement à nos proches par Google. Par ailleurs, diverses sociétés proposent même des services des coffres-forts numériques qui ne pourront être ouverts qu’au décès du titulaire.

L’idée d’une maitrise « post mortem » des données personnelles n’est donc pas nouvelle dans le monde des technologies. Cependant, la Loi vient, en quelque sorte, consacrer un véritable « testament numérique » en droit français. On peut d’ailleurs s’interroger sur la possible intervention du milieu juridique dans la mise en œuvre de ce droit. Si l’intervention d’un notaire n’est pas nécessaire pour la réalisation d’un testament classique, elle n’est ici même pas envisagée. C’est pourtant ce professionnel qui est souvent le mieux placé pour faire prendre conscience des enjeux relatifs à l’expression des derniers volontés.

Comme l’a soulignée la secrétaire d’état chargée du numérique :

« Cela (le droit à la mort numérique) ne concerne ni le droit au déréférencement, ni le droit à l’oubli, c’est simplement l’idée de lier la mort physique à la mort numérique. »

Au-delà de la congruence bienvenue entre mort matériel et numérique, la consécration de la libre-disposition des données personnelles ne fait que suivre un mouvement général qui traverse depuis plusieurs années le droit de la Personne en Europe. Les individus cherchent à obtenir de plus en plus de contrôle sur leurs prérogatives extrapatrimoniales. Face à ce besoin, il semblait nécessaire de consacrer un véritable droit à une mort numérique afin de ne pas laisser indisponible ce qui constitue une partie grandissante du patrimoine personnel.

 

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