droitdu.net

Un site utilisant Plateforme OpenUM.ca

Le régime de la numérisation des livres indisponibles du XXe siècle devra être revu

Source : https://pixabay.com/en/old-books-book-old-library-436498/

21 novembre 2016
Commentaires
Permalien

Le 16 novembre 2016, la Cour de Justice de l’Union Européenne s’est exprimée sur la compatibilité de la loi du 1er mars 2012 relative à l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle avec la directive 2001/29 sur le droit d’auteur et les droits voisins.

Cette loi de 2012 a pour objectif de faciliter la valorisation du patrimoine écrit devenu indisponible. Elle vise les livres qui ont été publié en France avant le 1er janvier 2001 et accorde le droit à la SOFIA, société de gestion collective, d’autoriser leur numérisation dès lors qu’ils ne font plus l’objet d’une diffusion commerciale par un éditeur ou d’une quelconque forme d’impression.

Le système établit par la loi française prévoit qu’après l’écoulement d’un délai de six mois, la SOFIA peut autoriser la reproduction ou la représentation de ces livres sous forme numérique. Ce délai commence à courir à partir de l’inscription des livres dans une base de données gérée par la bibliothèque nationale portant le nom de « Registre des livres indisponibles en réédition électronique » (ci-après « ReLire). Endéans les six mois, tant l’auteur que l’éditeur peuvent s’opposer à cette numérisation. Une fois le délai écoulé, l’auteur est le seul à pouvoir intervenir pour mettre fin à l’exercice du droit d’exploitation et uniquement s’il peut démontrer l’une des deux circonstances suivantes : soit que le livre nuit à sa réputation, soit qu’il nuit à son honneur. Une autre voie d’action lui est offerte dans la loi et prend la forme du retrait à la Société de perception et de répartition des droits (dénommé « SPRD ») du droit d’autoriser la numérisation du livre dans les conditions prévues par le Code de la propriété intellectuelle.

Le problème que pose la loi est que les œuvres sont recensées, listées et numérisées sans obtention du consentement de leur auteur. Elle se fonde sur un consentement tacite ou une présomption de consentement alors que la directive 2001/29 impose précisément « le consentement exprès et préalable de l’auteur pour toute reproduction ou toute communication au public de son œuvre, y compris sous forme numérique » ce qui constitue le droit exclusif de l’auteur. Il a été rappelé que ce droit n’est aucunement modifié suite à la non exploitation de l’œuvre par son auteur.

Bien que la directive, en son article 5, prévoit certaines exceptions et limitations à ce droit exclusif reconnu aux auteurs, on ne peut que constater l’absence du régime des livres indisponibles de cette liste.

Dans ce contexte, le Conseil d’Etat a posé la question suivante à la Cour de Justice de l’Union Européenne en date du 6 mai 2015 :

Les [articles 2 et 5] de la directive 2001/29 s’opposent-[ils] à ce qu’une réglementation, telle que celle qui a été [instituée par les articles L. 134-1 à L. 134-9 du code de la propriété intellectuelle], confie à des sociétés de perception et de répartition des droits agréées l’exercice du droit d’autoriser la reproduction et la représentation sous une forme numérique de “livres indisponibles”, tout en permettant aux auteurs ou ayants droit de ces livres de s’opposer ou de mettre fin à cet exercice, dans les conditions qu’elle définit ?

Dans un premier temps, la Cour a reconnu que la France avait ajouté une limitation au monopole des auteurs qui n’était pas prévu par la directive, ce qui est donc attentatoire aux intérêts des auteurs. Elle énonce à ce sujet que :

Il en découle que, sous réserve des exceptions et limitations prévues, de façon exhaustive, à l’article 5 de la directive 2001/29, toute utilisation d’une œuvre effectuée par un tiers sans un tel consentement préalable doit être regardée comme portant atteinte aux droits de l’auteur de cette œuvre. 

Ensuite, la Cour estime qu’on ne peut déduire le consentement implicite de l’auteur, découlant de son silence, à nourrir ReLire que si une information effective et individualisée lui a été fournie, ce qui fait défaut dans le cas d’espèce.

La Cour finit par conclure que :

L’article 2, sous a), et l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, confie à une société agréée de perception et de répartition de droits d’auteurs l’exercice du droit d’autoriser la reproduction et la communication au public, sous une forme numérique, de livres dits « indisponibles », à savoir des livres publiés en France avant le 1er janvier 2001 et ne faisant plus l’objet ni d’une diffusion commerciale ni d’une publication sous une forme imprimée ou numérique, tout en permettant aux auteurs ou ayants droit de ces livres de s’opposer ou de mettre fin à cet exercice dans les conditions que cette réglementation définit. 

La réglementation française devra donc être revue et modifiée pour se conformer à la décision de la Cour. Cela impliquera notamment la mise en place d’une information préalable auprès des auteurs ainsi qu’une facilitation des procédures pour mettre fin à l’exercice des droits d’exploitation.

Sur le même sujet

Derniers tweets