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La modification des taxes par le « paquet marques » : un frein à la croissance de l’entreprise ?

10 mai 2016
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La modification des taxes par le « paquet marques » : un frein à la croissance de l’entreprise ?

Par Kevin Ishac, étudiant du M1 PIDN (Faculté Jean Monnet, Université Paris-Sud, Paris-Saclay)

Le 16 décembre 2015, le Parlement Européen et le Conseil ont adopté la directive 2015/2436 rapprochant la législation des Etats membres sur le droit des marques. Ce projet de réforme du droit des marques, dit « paquet marques » correspond à une refonte de la directive 2008/95/CE et de la révision du règlement RMC[1]. L’objectif souhaité est clair : offrir une protection des marques plus accessible. La commission européenne évoque un nouveau système plus favorable aux petites et moyennes entreprises par la disparition d’une obligation de payer pour des classes qu’elles n’utiliseraient pas[2]. Ces modifications visent donc à favoriser l’accessibilité et l’efficacité du système actuel.

Il convient en premier lieu de préciser le régime actuel pour pouvoir se pencher sur les nouveautés apportées par cette réforme.

 

A l’heure actuelle, on parle de « forfait des trois classes »[3]. Il convient de rappeler que l’enregistrement d’une marque suppose son appartenance à des classes établies par rapport à la classification de Nice[4] (on décompte 47 classes différentes). En fonction du nombre de classes choisies par le déposant de la marque, une taxe sera versée au moment de l’enregistrement mais aussi au moment du renouvellement. Actuellement, on ne peut enregistrer une marque que pour trois classes au minimum, et le montant de la taxe s’élève à 900€ pour ces trois classes, puis 150€ par classe additionnelle. Pour le renouvellement, la taxe s’élève à 1350€ pour les trois classes, puis 400€ pour chaque classe supplémentaire.

 

La réforme va venir modifier ce système de taxes, l’article 42 de la directive [5] dispose en effet que « les Etats membres peuvent prévoir que la demande d’enregistrement et le renouvellement d’une marque donnent lieu au paiement d’une taxe supplémentaire pour chaque nouvelle classe de produits et de services au-delà de la première classe ».

Ainsi, la taxe à l’enregistrement pour une classe s’élèverait à 775€, 825€ pour deux classes, 900€ pour trois classes, puis 150€ par classe supplémentaire. Au niveau du renouvellement, la taxe s’élèverait à 1000€ pour une classe, 1100 € pour deux, 1250€ pour trois, puis 300€ par classe supplémentaire.

L’argument majoritaire consiste à soulever les effets bénéfiques que ce futur enregistrement par classe aurait vis-à-vis des petites et moyennes entreprises. En leur permettant de n’enregistrer leur marque que pour une classe, l’économie réalisée serait non négligeable mais par ailleurs l’enregistrement par classe s’adapterait mieux aux besoins réels de ces petites structures.

 

Cela est-il forcément vrai ? Certes, une économie semble être réalisable au niveau de ces entreprises. Mais cette économie serait-elle de nature à combler le manque à gagner qui pourrait éventuellement résulter d’un choix plus important de classes ?

Au niveau de l’enregistrement, la modification de la taxe va en effet permettre de réaliser des économies, mais uniquement à l’enregistrement d’une classe : si une entreprise souhaite enregistrer trois classes, la réforme n’emporte aucune modification sur le montant de la taxe à payer, à savoir 900€. En revanche, pour une classe, la taxe s’élève à 775€, soit une économie de 125€. Reste à savoir si cette économie en est vraiment une en pratique : en effet, l’enregistrement confère une protection de dix ans. Ainsi, les 125€ économisés représentent-ils vraiment une économie aussi considérable que la réforme le laisse entendre, même pour une structure de petite taille, sur cette décennie accordée par la protection ?

 

De plus, on peut éventuellement considérer – et là est tout le cœur du problème – que cet enregistrement par classe serait de nature à freiner la croissance de ces entreprises. Il est vrai qu’une économie est toujours la bienvenue, et ce, peu importe la taille de l’entreprise en question. Mais cette économie s’accompagne à la fois d’inconvénients : le système actuel des trois classes permettait à une entreprise de garder comme possibilité une éventuelle extension de ses produits vers un nouveau marché. La protection accordée l’est pour dix ans, pendant cette décennie, la taille de l’entreprise peut évoluer considérablement.

Dans cette optique, l’enregistrement pour trois classes constituerait une « roue de secours » pour l’entreprise qui souhaiterait se diversifier, sans avoir pensé à cette possibilité au moment de l’enregistrement. Et avec la réforme « paquet marques », cette « roue de secours » a désormais un prix : 125€. Ces 125€, qu’il serait possible à l’entreprise d’économiser avec l’entrée en vigueur de la réforme, n’auraient-ils pas vocation à offrir à l’entreprise d’éventuelles parts de marchés qui n’auraient pas été pris en compte au moment de l’enregistrement, mais qui arriveraient à point nommé par la suite ? Le point culminant consiste donc dans ces 125€ d’économies : en sont-ils vraiment une ? L’économie réalisée ne serait-elle pas contrebalancée par cette idée de « frein » qui se poserait à l’entreprise qui n’a enregistré son produit que pour une classe et qui, au vu de son évolution, aurait souhaité avoir ces classes supplémentaires, qui seraient désormais supprimées.

En effet, par l’ancien système d’enregistrement par trois classes, l’hypothèse de « manque » de classe pour un produit ne soulève pas trop de problèmes : en enregistrant pour trois classes, il est fort à parier que cela suffise pour l’entreprise en question. Cependant, avec un enregistrement possible pour une seule classe, l’entreprise pourrait se trouver dans une situation de blocage, situation dans laquelle elle souhaiterait étendre sa position et donc gagner des parts de marché, mais qu’en raison de cet enregistrement par classe elle n’en aurait pas la possibilité. Et ce « frein » à l’extension des parts de marché de l’entreprise aurait donc un prix : 125€, « l’économie » annoncée dans le cadre du « paquet marques ».

 

Pour certains auteurs, ce nouveau système d’une taxe par classe devrait permettre aux entreprises, notamment aux PME, de réaliser d’importantes économies en optant pour une ou deux classes seulement[6]. Au regard du montant de l’économie réalisée, il semble enthousiaste de la qualifier « d’importante ». A l’inverse, les possibilités perdues d’extension semblent, quant à elles, d’une importance non négligeable.

La réforme a donc bel et bien pour but de moderniser les procédures en droit des marques, en instaurant un système « plus favorable aux petites et moyennes entreprises »[7] ; mais la taxe d’enregistrement – et en aval de renouvellement – suit-elle réellement cette logique favorable aux petites structures, ou bien risque-t-elle à l’inverse de leur couper l’herbe sous le pied en les cantonnant à une classe choisie lors de l’enregistrement, sous prétexte d’une économie – qui paraît tout de même relativement minime – qu’elles pourraient réaliser ?

 

 

 

[1] Règlement n° 207/2009 du 26 février 2009 sur la marque communautaire

[2] Commission européenne : « Modernisation of the European Trade Mark System », 27 mars 2013.

[3] C. Dougnac, « La réforme du « paquet marque » européen », IP Talk Janv. 2016

[4] Arrangements de Nice du 15 juin 1957

[5] Directive 2015/2436 du Parlement Européen et du Conseil du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des états membres sur les marques

[6] Laure Marino, Droit de la propriété intellectuelle

[7] Rapport de la commission européenne du 27 mars 2013

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