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Le droit à la vie privée étendu aux biens fournis par l’employeur

Christopher Dicecca est étudiant dans le cadre du cours DRT6903
23 octobre 2012
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Dans sa décision la plus récente en date du vendredi 10 octobre 2012 la Cour Suprême du Canada balise la décision de la cour d’appel de l’Ontario entourant la vie privée, jugeant que la police ne pouvait, sans mandat de perquisition, sans contrevenir au droit au respect de la vie privée, accéder à des renseignements personnels que contenait l’ordinateur fourni par l’employeur, utilisé notamment à des fins professionnelles et personnelles.

Dans cette affaire, l’accusé, un enseignant d’une école secondaire a été accusé de possession de pornographie juvénile et d’utilisation non autorisée d’un ordinateur, en contravention des articles 163.1(4) et 342.1(1) du Code criminel, après qu’un technicien qui effectuait des travaux de maintenance ait découvert dans l’ordinateur portable de l’Accusé, un dossier caché contenant des photographies d’une élève nue ; cette élève étant mineure. Après avoir averti le directeur de l’école, le technicien a copié le contenu illégal sur un disque compact.L’ordinateur portable et disques ont été remis à la police qui, sans avoir obtenu un mandat de perquisition au préalable, a examiné leur contenu et a ensuite créé une image miroir du disque dur pour expertise judiciaire.

En première instance, le juge du procès a décidé de rejeter la preuve (matériel informatique) en vertu du par. 24 (2) de la charte canadienne des droits et libertés (CCDL ci-après) obtenue en contravention à l’Article 8 de la CCDL disposant : « Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. ». En effet, la police a examiné le contenu illégal après que le directeur de l’école ait remis volontairement et sans contrainte l’ordinateur et les disques, sans obtenir de mandat de perquisition au préalable. Dès lors la preuve obtenue a été jugée illégale par le juge du procès, de sorte qu’elle fut rejetée. La cour d’appel en matière de poursuites criminelles a infirmé la décision du juge du procès et conclu qu’il y n’y avait pas eu violation de l’article 8 CCDL et que la preuve ne devait pas être exclue. Enfin la cour d’appel de l’Ontario a annulée cette décision et a exclu de la preuve le disque comportant les fichiers Internet temporaires, l’ordinateur portatif et l’image miroir de son disque dur. Elle a conclu que le disque contenant les photographies de l’élève avait été obtenu légalement et qu’il était donc admissible.

Dès lors le pourvoi formé devant la Cour suprême du Canada a soulevé trois questions :

  • La Cour d’appel a-t-elle commis une erreur en concluant que l’Accusé pouvait s’attendre raisonnablement au respect de sa vie privée à l’égard de l’ordinateur que son employeur lui a fourni pour le travail ?
  • La Cour d’appel a-t-elle commis une erreur en concluant que la fouille et la saisie par la police de l’ordinateur portatif et du disque contenant les fichiers Internet étaient abusives au sens de l’article 8 de la Charte ?
  • La Cour d’appel a-t-elle commis une erreur en écartant les éléments de preuve en vertu de l’article 24(2) de la Charte ?

Pourquoi la CSC a étendu la notion de protection de la vie privée de l’article 8 CCDL : La Cour Suprême du Canada, dans cette décision précise la notion de vie privée et confirme que cette notion s’applique aussi bien sur du matériel dont les employés sont propriétaires, que sur du matériel fourni par l’employeur, et qui serait la propriété de cet employeur, tel un ordinateur professionnel. Selon la cour, l’exigence du mandat de perquisition énoncé à l’article 487 (1) du code criminel dans le but de fouiller l’ordinateur, s’applique sur tout bien que l’employé utilise notamment à des fins personnelles, qu’il lui appartienne ou non. La police ne pouvait ainsi pas se limiter à la permission du directeur de l’école pour saisir l’ordinateur, sans mandat à cet égard.

Selon la CSC, la propriété sur un bien est une considération pertinente mais pas déterminante. En effet, les ordinateurs qu’ils soient la propriété ou non de l’employé, lorsqu’ils sont notamment utilisés à des fins personnelles dans le milieu du travail, contiennent des renseignements qui peuvent revêtir la qualification de « renseignements personnels ». Dès lors, les individus peuvent raisonnablement s’attendre à la protection de leur vie privée relativement à ces renseignements personnels. La cour rappelle ainsi à cet égard, que bien que l’ordinateur ne fut pas la propriété de l’employé, les règles en vigueur au sein de l’établissement pouvaient réduire son droit au respect de sa vie privée à l’égard de son ordinateur, par rapport à un ordinateur purement personnel, mais ne l’anéantissait pas pour autant.

En confirmant le principe de vie privée s’appliquant sur du matériel informatique, la cour confirme par la même que ce matériel ne peut faire l’objet de saisie après perquisition, qu’à la condition que la police ait obtenue au préalable un mandat de perquisition en vertu de l’article 487 (1) du code criminel, dans le cas contraire cette fouille serait jugée abusive conformément à l’article 8 CCDL.

Acceptation de la preuve obtenue illégalement : du principe de vie privée dégagé par cette décision, tout élément de preuve obtenue en contravention à ce droit devrait être écarté conformément à l’article 24 (2) CCDL qui dispose : « Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s’il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. »

Pour autant, la CSC a retenu ces éléments de preuve obtenus en contravention au droit au respect de sa vie privée. Divers arguments retenus ont milité en faveur de cette entorse au principe posé par l’article 24 (2) CCDL.

Premièrement, le policier avait des motifs raisonnables et probables requis afin d’obtenir un mandat de perquisition puisque le contenu illégal avait été découvert par le technicien de l’école, de sorte que la preuve aurait été découverte, si mandat de perquisition il y avait eu. Dès lors l’exclusion de la preuve matérielle aurait eu des incidences très importantes sur le sort du procès, car en l’absence d’un plaidoyer de culpabilité, la poursuite aurait eu des difficultés à prouver hors de tout doute raisonnable, l’infraction commise.

Deuxièmement, l’atteinte au droit au respect de la vie privée était faible, comparativement au droit à la protection de la vie privée examiné dans l’arrêt Morelli de la Cour Suprême du Canada, dans lequel il était question d’un ordinateur personnel qui a fait l’objet d’une fouille et d’une saisie, contrairement à la présente affaire ou il s’agissait d’un ordinateur fourni par l’employeur.

Enfin, selon la CSC, il est important de ne pas écarter la preuve si le but du procès criminel est la recherche de la vérité quand bien même la preuve aurait été obtenue illégalement, considérant que l’atteinte aux droits est relative et est justifiée dans la mesure ou l’administration de la justice n’est pas déconsidérée et qu’elle est nécessaire dans la recherche de la vérité du procès criminel.

Dans cette décision, la CSC rappelle que le droit à la protection de la vie privée est un droit garanti mais n’est pas absolu, et peut s’effacer lorsqu’il en balance avec d’autres droits, d’autres intérêts. De sorte que la preuve bien qu’obtenue illégalement, n’est pas automatiquement rejetée.

De sorte que plus l’individu a de contrôle sur le bien, plus la cour penchera en faveur de l’individu et rejettera la preuve, et moins il a de contrôle sur le bien parce que le bien lui est prêté, plus la cour retiendra la preuve même obtenue illégalement.

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