Depuis octobre 2011, le site ReDigi propose un service peu commun : une place de marché pour la revente de fichiers musicaux d’occasion. Comme il le ferait pour un vieux livre ou un DVD, l’internaute peut, par l’intermédiaire du site, revendre ses fichiers « usagés » acquis légalement sur Itunes (exclusivement).
Début 2012, Capitol Records, soutenu par la Recording Industry Association of America (RIAA) attaque ReDigi arguant que cette dernière, par son intermédiation, contribue à des activités de contrefaçon.
Le nœud de l’affaire en l’espèce repose sur l’applicabilité de la « first sale doctrine », c’est-à-dire l’épuisement des droits de distribution après la première vente, plaidée par Redigi en vertu de la Section 109, Title 17 US Code. Intrinsèquement liée à la notion d’exemplaire, la question de l’épuisement des droits devient plus épineuse s’agissant d’exemplaires dématérialisés, reproductibles à l’infini.
Philosophiquement, l’activité de Redigi semble respecter les conditions de l’épuisement des droits. Par un système de vérification, le site contrôle la bibliothèque musicale de l’utilisateur et télécharge le fichier voulu sur la plateforme en prenant le soin de vérifier que ce dernier ne conserve pas de copie sur son disque dur. De la sorte, un transfert complet du fichier s’opère sans laisser de trace dans la mémoire d’origine. Ainsi, de la même manière que la revente d’un livre d’occasion de main à main, l’utilisateur perd la possession de son fichier musical. Ce fichier est stocké provisoirement sur la plateforme jusqu’à ce qu’un autre utilisateur l’achète.
Juridiquement, ces conditions sont impossibles à respecter sur Internet.
C’est ce qu’indique le juge de la District Court du Southern District of New York dans la décision Capitol Records, LLC v. ReDigi Inc. du 30 mars 2013, invoquant « les lois de la physique ». Il entend par là souligner que par nature, il n’est pas concevable techniquement qu’un même fichier puisse transiter ainsi sur internet. Il s’agit nécessairement d’une duplication. Bien que Redigi tente habilement de maquiller l’évidence en procédant comme s’il s’agissait d’un seul et même exemplaire (suppression sur le disque dur de l’utilisateur) le passage de la mémoire de l’ordinateur du revendeur au serveur de Redigi est une copie. Il en sera de même pour le téléchargement descendant vers l’acheteur.
Le transfert d’un exemplaire sur un nouvel espace de stockage est une copie. Il y a bien un acte de reproduction au sens du Copyright Act qui nécessite l’autorisation des ayants droits.
L’exigence s’étend naturellement à tout objet culturel numérique (livre, film etc.) et condamne toute possibilité de création de marchés de l’occasion pour ces biens dont la circulation sur les réseaux est irrémédiablement synonyme de copie. La notion d’exemplaire devient inepte, l’épuisement des droits quasiment inexistant.
Ou plutôt, la revente de fichiers numériques d’occasion ne sera à l’avenir envisageable qu’avec l’accord des ayants droits. Il est à noter que l’entreprise Amazon a déposé au début de l’année un brevet pour une place de marché pour les fichiers numériques d’occasion.
Le service Redigi arrivera dans peu de temps en Europe et la question de sa conformité au droit européen finira par se poser.
La CJUE a admis l’épuisement du droit de distribution des copies de logiciels téléchargées définitivement à titre onéreux comme pour une copie vendue sur un support physique, dans la décision désormais très commentée UsedSoft GmbH contre Oracle International Corp du 3 juillet 2012. Malgré les particularités de la législation européenne concernant les programmes d’ordinateur et la spécificité de la décision du 3 juillet 2012, une extension aux autres œuvres numériques est-elle envisageable ?
Le débat est ouvert. Comme premier élément de réponse, il faut relever que le Parlement européen avait semblé entendre, dans les considérants la directive 2001/29/CE (considérant 29), que l’épuisement du droit de distribution ne devait s’appliquer que lorsque
la propriété incorporelle est incorporée à un support physique à savoir une marchandise, tout service en ligne constitue en fait un acte devant être soumis à autorisation dès lors que le droit d’auteur ou le droit voisin en dispose ainsi
Non reprise dans les dispositions de la directive, il reste à savoir si cette conception survivra ou si, dans une volonté de plus grande circulation de l’information, la Cour de Justice de l’Union Européenne passera outre.