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La régulation de l’utilisation des drones : quand vie privée rime avec robotique et aviation civile

(cc) cosmo flash

Anaïs Boquet est étudiante dans le cadre du cours DRT 6903 (UdeM)
1 novembre 2013
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S’il convient de se pencher sérieusement sur la question de l’utilisation des drones, c’est parce que le marché de ces robots volants est en pleine expansion, et ce, aussi bien aux Etats-Unis qu’en France. Sur le sol américain, on s’attendrait même à une explosion de l’utilisation commerciale des drones d’ici 2018. La particularité des drones est qu’ils se positionnent à la croisée de plusieurs domaines : robotique, aviation civile et vie privée. Or, c’est la banalisation de leur utilisation, tant par les entreprises que par les particuliers ou encore les forces de police, qui ont poussé les institutions régulatrices à s’intéresser de près au phénomène de l’avènement des drones.

De l’utilisation militaire à l’utilisation civile…

Les drones sont des aéronefs robotisés dans la mesure où ils ne nécessitent pas de présence humaine à bord pour les piloter. L’absence de pilote n’est néanmoins pas totale puisque l’aéronef est contrôlé à distance. Selon le modèle de drone concerné, le pilotage à distance varie ensuite de l’usage d’une simple télécommande ou d’un smartphone (pour la sphère civile particulièrement) à une panoplie d’équipement de haute technologie d’accès limité (caractérisant évidemment la sphère militaire).

Ces robots étaient donc au départ utilisés exclusivement par l’armée, et plus précisément par l’armée américaine. Nous parlerions d’ailleurs plus d’UAV pour Unmanned Aerial Vehicle si nous étions des puristes de la classification américaine. Progrès militaire oblige, les UAV ont ensuite été développés hors des frontières américaines et notamment en France, où ils ont pris le nom simplifié de « drone ». Mais laissons volontairement de côté la sphère militaire sur laquelle l’ONERA a publié un document dans lequelle les drones sont surtout utilisés pour les missions de surveillance en zone de combat et aux frontières et dont la dimension et le coût sont forts dissuasifs.

S’agissant des versions commercialisées dans la sphère civile, qui relèvent plus de l’aéromodélisme, la possibilité d’embarquer du matériel de surveillance n’en est pas pour autant limitée.

Dans le domaine scientifique les drones ont déjà prouvé leur utilité pour l’observation d’espèces animales difficiles d’accès, faisant usage d’appareils permettant de collecter des données aussi bien visuelles et sonores que thermiques.

En matière criminelle, après les attentats de Boston, s’est posée la question au sein des forces de police d’étendre l’utilisation des drones pour surveiller de manière plus efficace les évènements de grande ampleur afin d’accélérer les recherches en cas d’attaque. En matière civile au sens plus restrictif maintenant, l’utilisation des drones est plutôt récréative, les adeptes de l’aéromodélisme étant les principaux utilisateurs. Au niveau commercial par ailleurs, on commence à vraiment développer les perspectives économiques de ces aéronefs surtout dans les activités d’audiovisuel, de construction et d’agriculture.

Mais imaginons un instant que le monde « dérive » un peu et qu’on ait l’idée d’user des drones dans la sphère de la presse à scandale (où les litiges sont déjà fort nombreux),  à l’appui dans des litiges entre propriétaires/locataires s’agissant de l’utilisation normale des lieux, entre époux pour prouver une faute (on pensera aux infidélités), dans des investigations pour possession et trafic de drogue (l’exemple par excellence est la culture de marijuana). La possibilité de transformer les faits et gestes de tout un chacun en données numériques stockables et exploitables, dans un litige ou à des fins commerciales, sans même avoir à pénétrer sur la propriété d’autrui mais par le simple usage d’un aéronef télécommandé à proximité. Une hypothèse qui n’est pas si insensée puisque de nombreux avocats aux Etats-Unis se sont alarmés par rapport à cette ouverture à une collecte de données encore plus grande. Données, qui, par un moyen ou un autre, finiraient probablement entre les mains d’un service de renseignements.

Un mixing pot entre vie privée, robotique et aviation civile

En termes de vie privée, les drones constituent ce que l’on pourrait appeler une source primaire de la numérisation des données personnelles, en ce sens que grâce aux technologies dont ils sont équipés (prise d’image, de sons, de données thermiques etc.) ils matérialisent numériquement des données qui sont à la base physiques. En effet, les images et autres informations collectées par les drones sont ensuite transférées et traitées sur ordinateur, et peuvent se retrouver, à l’instar de n’importe quel contenu informatique, stockées sur une machine ou projetées sur le réseau. Par conséquent, une augmentation de l’utilisation des drones entrainerait a fortiori une collecte de données plus importante. La facilité de cette collecte étant d’autant plus grande puisque l’approche aérienne permet un balayage très large des zones survolées par ces aéronefs.

L’intérêt récent du législateur français

Bien que l’intérêt porté aux drones par le législateur français soit encore très récent et se manifeste de manière éclatée, la CNIL a signalé en octobre 2012 la volonté de développer « un cadre juridique et éthique clair et rassurant pour tous » en débutant une réflexion prospective sur la question de l’utilisation des drones dans le ciel français. A l’heure actuelle, une personne qui souhaite collecter des données à l’aide d’un drone doit se conformer à plusieurs textes, la règlementation étant découpée selon chaque stade d’opérations effectuées : usage d’un aéronef télécommandé, collecte de données par voie aérienne et stockage des données collectées.

Dans un premier temps, l’usage des drones dans la sphère civile est règlementé par deux arrêtés ministériels du 11 avril 2012. Le premier concernant la conception des drones, les conditions de leur emploi et les capacités requises des personnes qui les utilisent, et le second l’utilisation de l’espace aérien par les drones. Ces arrêtés sont des textes techniques qui déterminent plutôt les caractéristiques et conditions de vol des aéronefs télécommandés.

Ensuite, la collecte de données par voie aérienne, techniquement parlant l’acte de survoler le territoire français pour collecter des données, est régie par l’article D.133-10 du Code de l’aviation civile. A ce titre, des autorisations doivent être obtenues auprès des autorités compétentes pour pouvoir survoler les contrées françaises à des fins de prises de vue aérienne. En outre, ces données étant numériques, la collecte d’informations numériques (et à un troisième stade leur utilisation et leur conservation) est également régie par la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, dite Loi informatique et libertés. L’article 1er de ladite loi protège clairement la vie privée mais dès lors que la collecte de données est aérienne, il semble bien difficile de tracer une limite claire entre ce qui peut être licitement vu et entendu ou pas et ce qui peut faire partie de la vie privée d’un point de vue aérien.

La controverse grandissante aux Etats-Unis

Aux Etats-Unis par ailleurs, les avocats et associations se sont largement fait entendre sur la question de l’utilisation à outrance des drones. Et pour cause, le 4e amendement de la Constitution américaine constitue un solide rempart contre les atteintes à la vie privée, mais la carence législative en matière de protection des données personnelles ne demande qu’à être comblée et l’utilisation des drones constitue un élément déclencheur de taille.

L’institution compétente au niveau fédéral pour la régulation de l’utilisation des UAVs est la Federal Aviation Administration (FAA), qui émet les autorisations de commercialisation des modèles de drones et les licences pour leur utilisation. Or il y a une demande croissante de licences d’utilisation des UAVs par les services de police américains, ce qui inquiète bon nombre d’organisations de protection de la vie privée.

Au cours des dernières années et particulièrement durant les derniers mois, une majorité d’états s’est penchée sur le problème de la régulation de l’utilisation des drones dans le ciel américain. La plupart des législations qui ont été adoptées et qui vont l’être requièrent l’obtention d’un mandat pour faire usage de drones à des fins de collecte de données personnelles mais peu d’entre elles sont pour l’instant en vigueur.

Pour l’heure, la collecte de données personnelles qui découlerait d’une violation de  la vie privée des citoyens est débattue devant les juges à la lumière des précédents. Dans Katz v. United States (1969), où il était question de déterminer les notions de « droit à la vie privée » et de « recherches », la Cour suprême des Etats-Unis avait jugé que dès lors qu’une personne peut s’attendre raisonnablement à un certain degré d’intimité, quand bien même elle se trouverait dans un lieu public, les écoutes téléphoniques doivent être réalisées sur la base d’un mandat de recherches. Un raisonnement sur lequel il serait possible de se fonder pour exiger que toute collecte de données sonores par des UAVs de la police américaine soit appuyée par un mandat.

Dans California v. Ciraolo (1986) cependant, la Cour suprême avait établi que le survol, par un policier non détenteur d’un mandat, d’une propriété au moyen d’un aéronef privé pour vérifier des suspicions de culture de marijuana ne constituait pas une violation du 4e amendement. Ce raisonnement, basé sur la possibilité pour le policier de voir la plantation à l’œil nu de l’ « espace aérien public » où il se trouvait, a été réitéré dans Florida v. Riley (1989). La Cour avait en effet considéré dans les deux affaires que l’on n’était pas en présence d’une « recherche » au sens du 4e amendement et que dès lors, un mandat n’était pas requis pour mener les activités d’observation en cause. Cette position, concernant l’utilisation des drones et compte tenu de la plus grande facilité de collecte de données qu’ils permettent, est une position bien fâcheuse pour la protection de la vie privée des citoyens.

Finalement dans Kyllo v. United States (2001), où était en cause l’utilisation d’appareils impliquant un système d’imagerie thermique, la Cour suprême avait considéré que l’imagerie thermique de la maison d’un citoyen constituait une recherche au sens du 4e amendement et devait donc être réalisée sur la base d’un mandat. Mais avec le développement fulgurant de la technologie depuis 2001, quid d’une imagerie thermique qui serait réalisée par un UAV survolant la propriété d’un citoyen ?

Bien au-delà de l’adoption de nouvelles législations, c’est peut être l’acception de la notion de vie privée toute entière qu’il faut reconsidérer et adapter à l’évolution fulgurante des nouvelles technologies de surveillance et de collecte des données personnelles, afin de protéger au mieux l’intimité de tout un chacun face aux intrusions aériennes d’autrui.

 

 

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