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Revenge Porn: de la candeur amoureuse à l’exhibition haineuse

19 juin 2014
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« La prudence et l’amour ne sont pas faits l’un pour l’autre ; à mesure que l’amour croit, la prudence diminue »
– François de La Rochefoucauld

 

Pratique qu’aucun adjectif convenable ne peut qualifier, le Revenge Porn (revanche pornographique) consiste à publier sur le Web des photos dénudées d’un ancien partenaire ou conjoint. Le motif justifiant une haine si singulière est variable : infidélité, divorce, argent, etc. Nous ferons ici l’économie d’un lien hypertexte en exemple, soucieux de ne pas faire de publicité à l’un de ces supports.

Sommes-nous protégés du Revenge Porn ?

Oui. C’est avant tout au nom du droit au respect de la vie privée, et plus spécifiquement du droit à l’image que cette pratique est incriminée. On ne peut diffuser ou communiquer l’image d’une personne (a fortiori ayant un contenu pornographique) sans le consentement explicite et non équivoque de cette dernière (avec des exceptions juridiques couvertes essentiellement par le droit à l’information). Le fait que la personne ait volontairement communiqué son image à un tiers ne saurait impliquer qu’elle cédait l’intégralité de son droit (voir pour exemple au Canada : Clavet c. Sourour, 2009 QCCQ 941). En résumé, ce n’est pas parce que l’on envoie une photo de soi-même dans le plus simple appareil à quelqu’un que l’on accepte de soumettre sa nudité à référendum.

D’emblée, on ne peut qu’être perplexe face à la création et la subsistance d’un site Internet dédié au Revenge Porn, dont la bannière encourage ouvertement à violer les droits de la personnalité d’un autre individu. Exemple de description de l’un de ces sites : « Get the dirt before you get hurt, submit your ex ».  Sans surprise, le tout premier support dédié à cette pratique fut rapidement supprimé, en avril 2012. On peut donc par exception évoquer cette source qui n’en est plus une : « isanyoneup.com », créé par Hunter Moore, connu depuis comme « l’homme le plus détesté d’Internet ». En attendant une probable condamnation (voir infra), cet « entrepreneur » a tout de même réalisé des profits considérables, et reste à l’origine de la création subséquente de nombreux sites dédiés au Revenge Porn.

Depuis lesdits sites ont fait peau neuve, et se dissimulent avec plus ou moins de réussite derrière le principe d’irresponsabilité des hébergeurs pour le contenu mis à disposition par des tiers, principe communément admis par les différentes législations, qu’elles soient française (et a fortiori européenne), québécoise, ou étasunienne.

La responsabilité de l’hébergeur est toutefois engagée lorsqu’il a été informé de la présence d’un contenu illicite, ou qu’il en a pris connaissance par lui-même. Face à l’immensité du Web, il n’est pas imprudent de supposer que la plupart des contenus illicites ne sont jamais signalés.

La plupart des systèmes juridiques protègent donc effectivement les individus contre le Revenge Porn, mais essentiellement au titre du droit à la protection de l’intimité de la vie privée, donc non explicitement.

Faut-il prévoir un régime juridique spécifique pour le Revenge Porn ?

Le Brésil, choqué par le suicide d’une jeune fille de 17 ans qui ne supportait plus de se voir nue sur Internet, a choisi de qualifier une responsabilité indirecte de l’hébergeur de ce type de contenu. L’état brésilien a intégré cela à son récent – et très commenté – « Marco civil da Internet »), article 21.

Aux Etats-Unis, l’ampleur du phénomène est telle que neufs états ont légiféré afin de prévoir un cadre spécifique pour l’infraction. D’autres Etats se sont également saisis de la question, comme l’Australie et Israël. La peine encourue est variable, mais comme on pouvait s’y attendre, l’indemnisation du préjudice moral atteint parfois des sommes conséquentes : 385 000 $ accordés à titres de dommages et intérêts par un jugement du Tribunal de l’Ohio.

En France, les dommages et intérêts perçus à l’issue d’une telle affaire sont bien moins importants. Le 3 avril 2014, le Tribunal correctionnel de Metz a condamné un homme à 12 mois de prison avec sursis (alors que le parquet en avait requis 6) et 5 000 € de dommages et intérêts à la victime. Le prévenu avait mis en ligne des photos et vidéos explicites de son ancienne compagne, en divulguant son nom, sa profession, ainsi que son adresse. Il avait pris également soin de l’insulter et d’inciter autrui à avoir des relations sexuelles plus ou moins consenties avec elle. La victime, enseignante, fut informée par un de ses élèves que des photos nues d’elle-même circulaient sur les réseaux sociaux. Notons qu’il ne s’agissait pas – contrairement à ce que la presse non spécialisée déclarait – des premiers cas de ce type en France.

Si certains appellent déjà à légiférer immédiatement et explicitement sur le cas du Revenge Porn, la question posée nous semble être plutôt celle de l’estimation du préjudice moral. Une mesure qui ne relève pas d’une simple opportunité de participer à l’inflation textuelle (voir la doctrine de « L’Etat-spectacle » chez François OST, L’accélération du temps juridique, p. 447),).

Par ailleurs, c’est la rédaction de l’article 226-1 du Code pénal qui pourrait dévoiler très prochainement une brèche :

« 2° En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé »

Quid du voyeurisme dans les lieux publics diffusé sur Internet (notons que certains États ont, à ce titre, légiféré à propos des photos prises sous les jupes) ? Quid des ébats filmés ou des clichés capturés par des couples dans des lieux dit « publics », comme les décors naturels ? La loi pénale étant d’interprétation stricte, il sera tout à fait intéressant de suivre la qualification retenue par le juge lorsque ces questions viendront à lui.

Le problème ne devrait pas se poser au Québec, puisque la question a déjà été tranchée dans une décision Société Radio-Canada c. Courtemanche :

« L’image captée dans les lieux privés et,  a fortiori reproduite sans l’autorisation de la personne, constitue une violation de son droit à l’intimité. Mais le droit à l’image déborde le strict cadre de la vie privée, tout au moins dans l’intimité. Il exclut que, sans son consentement, l’image saisie dans des lieux publics ou qui, à tout le moins, n’ont rien d’intime, soit utilisée à d’autres fins que l’information légitime du public, notamment à des fins publicitaires, artistiques ou littéraires ».

Comment endiguer le Revenge Porn ?

1 – Signaler un contenu illégal

Que l’on tombe par hasard ou non sur ce type de contenu, il ne faut pas hésiter à le signaler à l’éditeur et/ou à l’hébergeur. Si cela peut paraitre vain sur un support dédié, c’est en revanche particulièrement nécessaire et utile sur les réseaux sociaux (pour les utilisateurs aussi malfaisants qu’ineptes, épinglant une double infraction sur leur profil). L’option « signaler un contenu illicite » est généralement présente sur un site Internet, un réseau social ou un moteur de recherche.

2 – Signaler un site illégal

Avec l’hébergement de contenu, il est souvent complexe de connaitre l’identité du fameux « dépositeur » sans enquête pénale. Et gageons, une fois encore, que notifier tous les contenus illicites à l’hébergeur d’une plate-forme dédiée au Revenge Porn est vain. Il est toutefois possible de signaler un site Internet comme étant illégal dans son ensemble. Par exemple, un site dédié à la pédophilie, ou dans le cas présent, à l’atteinte au droit à l’image et au droit à la vie privée d’autrui.

Au Canada, il s’agira de signaler un site à la Gendarmerie Royale du Canada. En France, une page est explicitement dédiée au signalement de sites Internet illégaux.

3 – Craindre le piratage et les failles de sécurité

Un exemple éloquent de « service de confiance » auquel il ne faut pas faire confiance : Snapchat, application de partage de média supposé s’autodétruire dans un temps défini après visualisation (entre une et dix secondes). Inutile de préciser que l’application connait une utilisation particulièrement assidue en matière de partage de photos intimes (« sexting »). Première erreur : si la photo disparait dans l’immédiat, elle laisse une trace dans les serveurs de l’éditeur. Deuxième erreur : l’impossibilité ou la limitation de capture d’écran fut facilement détournée dès la sortie de l’application (voir, entres autres, « Snapcrack »).

Mais ce qui est le plus à craindre, et qui est à notre avis la voie royale pour les sites de Revenge Porn, c’est le piratage. Plutôt que d’attendre que les revanchards se décident à publier des photos explicites de leurs anciens partenaires, les sites Internet peuvent acheter en masse ces photos à des pirates, ou pratiquer eux-mêmes la récolte de photos sauvegardées sur les téléphones intelligents, les ordinateurs et les disques durs connectés. Le fameux Hunter Moore, inventeur du Revenge Porn, illustre parfaitement cette pratique, et est poursuivi à ce titre depuis décembre 2013.

Il nous appartient d’insister tout particulièrement sur ce dernier point. Si l’échange de photos explicites est une pratique dépendant de l’autonomie de chacun, il faut souligner les risques de dissémination desdites images. Et si vous souhaitez tout de même partager ce genre de contenu en privé, assurez-vous d’avoir les connaissances techniques nécessaires pour les garder à l’abri des regards indiscrets.

Espérons enfin que François de La Rochefoucauld se trompait, car la prudence ne se scripte pas.

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