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La LPC : une norme contractuelle pour les banques au Québec

8 octobre 2014
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Le 19 septembre dernier, la Cour suprême a finalement tranché dans 3 recours collectifs concomitants: Les banques opérant au Québec doivent accepter l’applicabilité de la Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., ch. P-40.1 (LPC). Cette nouvelle réalité, ouvre aujourd’hui la porte aux recours civils permis en vertu notamment des articles 12 et 272 de la LPC, incluant la possibilité d’obtenir des dommages-intérêts punitifs. En d’autres mots, l’alignement des pratiques bancaires avec cette loi deviendra donc une priorité pour ces institutions, car la facture salée de ces recours collectifs n’est peut-être pas la seule qu’on va essayer de leur faire payer. Mais commençons par le commencement,  afin de comprendre l’impact de ces décisions, une mise en contexte est essentielle.

n.b. Le but de ce billet n’est pas d’entrer dans les détails, mais d’offrir un survol afin d’en saisir l’impact.

Les Faits

Réal Marcotte détient une Visa de la BMO et il l’utilise lors de voyages à l’extérieur du pays pour faire des achats. En 2003, ses avocats déposent une requête en autorisation d’exercer un recours collectif contre les 9 banques canadiennes ainsi que contre Desjardins et ce, pour non conformité à la LPC en ce qui concerne les frais de conversion payés par le titulaire de la carte (le consommateur). Pour diverses raisons, ce recours collectif a été scindé en trois recours distincts, mais concomitants. Le recours collectif central est celui de Marcotte c. Banque de Montréal, 2009 QCCS 2764, où 8 des 9 banques sont poursuivies (v. 2012 QCCA 1396 et 2014 CSC 55). Les moyens de défense invoqués ont été multiples: procéduraux, constitutionnels (compétence exclusive du fédéral), de la non applicabilité de la LPC jusqu’à l’exception au principe de restitution. Bref, toute l’artillerie y est passée…

RATIO

Constitutionnellement, ni la doctrine de l’exclusivité des compétences ni celle de la prépondérance fédérale n’ont été retenues par la Cour suprême. Celle-ci rappelle que: « quoique l’exclusivité des compétences demeure une doctrine constitutionnelle valide, la Cour a dénoncé le recours exagéré à celle-ci. Une application élargie de cette doctrine est à contre-courant de la conception moderne du fédéralisme coopératif qui préconise l’application, dans la mesure du possible, des lois adoptées par les deux ordres de gouvernement. »

L’applicabilité de la LPC est juxtaposée à celle du régime fédéral en place depuis 2001 et créé par la  Loi sur l’Agence de la consommation en matière financière du Canada, L.C. 2001, ch. 9 (Loi sur l’ACFC). Les recoupements entre ces 2 régimes sont qualifiés par la cour d’appel d’évidents et nombreux,  mais ne sont pas inhabituels et, encore moins, inconstitutionnel s(v. par 97).

L’agence de l’ACFC et l‘Office de la protection du consommateur ont des missions similaires, mais un point additionnel est rajouté par LPC… le droit de poursuivre civilement en cas de non-respect des dispositions de sa loi. La même cour d’appel mentionne sur ce point:

Il demeure que les recours civils des consommateurs, faute de dispositions particulières dans le régime fédéral, comme le souligne le juge de première instance, continuent d’être régis par le droit provincial, dont la LPC et le Code civil du Québec. En somme, nous sommes actuellement en présence d’un régime fédéral incomplet qui n’exclut pas l’application de la LPC dans les situations appropriées. [par 110 et 111]  

A son niveau, la Cour suprême assimile le devoir d’information prévu à art. 12 de la LPC à une norme contractuelle pour le Québec. Partant de ce fondement, la BMO, la BNC, la Citibanque, la TD et Amex ont donc commis une faute en omettant de dévoiler à leurs titulaires de cartes de crédit le pourcentage ou le montant des frais de conversion payable (lorsque les achats faits étaient en devises étrangères).

QUANTUM

En vertu de l’art. 272 de la LPC la Cour suprême a ordonné au nom des membres du recours collectif l’annulation des frais et la restitution des frais perçus pendant toute la période de manquement au devoir d’information. Pour donner une idée de grandeur, la BMO a été condamnée a restituer 6 109 298$ plus intérêts depuis le début des procédures en avril 2003.

L’arrêt Richard c. Time Inc., 2012 CSC 8 (CanLII) a été abondamment citée, exposant la méthode d’analyse à adopter à l’égard des actions en dommages intérêts punitifs fondées sur l’art. 272 LPC, voici un extrait:

Les dommages‑intérêts punitifs prévus par l’art. 272 LPC seront octroyés en conformité avec l’art. 1621 CcQ, dans un objectif de prévention pour décourager la répétition de comportements indésirables;

Compte tenu de cet objectif et des objectifs de la LPC, les violations intentionnelles, malveillantes ou vexatoires, ainsi que la conduite marquée d’ignorance, d’insouciance ou de négligence sérieuse de la part des commerçants ou fabricants à l’égard de leurs obligations et des droits du consommateur sous le régime de la LPC peuvent entraîner l’octroi de dommages‑intérêts punitifs. Le tribunal doit toutefois étudier l’ensemble du comportement du commerçant lors de la violation et après celle‑ci avant d’accorder des dommages‑intérêts punitifs. [par. 180.]

Le juge du procès qualifie la violation comme sérieuse et il tire  les conclusions de fait, que la Cour suprême endossera (v. par 105), concernant l’octroi de dommages‑intérêts punitifs.

Or, aucune des cinq banques concernées ne fournit d’explications ou de justifications à cette absence de divulgation de ces frais de conversion. Voilà qui étonne. À la différence des violations des articles 72, 83, 91 et 92 LPC déjà traitées, l’on cherche en vain un fondement légitime à la pratique, que ce soit d’un point de vue d’affaires ou autrement.

À ce chapitre, le comportement décrié des cinq banques demeure répréhensible et inacceptable. L’insouciance à l’endroit des consommateurs est sérieuse. La sanction supplémentaire des dommages punitifs se justifie dans cette mesure. [par. 1258‑1260].

La Cour suprême se fondant sur le caractère d’ordre public de la loi, met l’accent sur l’importance de l’équilibre des relations entre consommateurs-commerçants et la nécessité pour les tribunaux de veiller à l’application stricte de cette loi. Une attitude laxiste, passive ou ignorante à l’égard des droits du consommateur ne sera pas tolérée, au contraire, une approche de grande diligence et les mesures raisonnables doivent avoir été mises en place pour en assurer le respect (v. par 105). La Cour suprême avertit que ce comportement pourra sinon être taxé comme étant un comportement d’ignorance, d’insouciance ou de négligence sérieuse à l’égard des droits du consommateur.

Dommages intérêts punitifs octroyés: 25$ par membre, plus intérêts.

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