Le Parlement européen a adopté le 27 novembre un projet de résolution proposant de « scinder » en deux la société Google afin que celle-ci respecte les règles européennes en matière de libre concurrence. En d’autres termes, il s’agirait de mettre d’un côté, les activités de moteur de recherche et de l’autre, les services de communication. Les institutions européennes n’en sont pas à leur première tentative de déstabilisation du géant américain de l’internet. En effet, dans son arrêt en date du 13 mai 2014 la Cour de Justice de l’Union européenne a accordé la possibilité aux personnes de demander aux moteurs de recherche, sous certaines conditions, le déréférencement de liens apparaissant dans les résultats de recherche effectués sur la base de leurs noms : il s’agit du fameux formulaire « droit à l’oubli ».
Le projet de résolution adopté par le Parlement européen n’a aucune valeur juridique contraignante : il s’agit avant tout d’un texte à vocation politique.
Bien que le nom de Google ne soit jamais cité, il ne fait aucun doute que la société est clairement visée dans la mesure où cette dernière détient un quasi-monopole en Europe, avec près de 90% des parts de marché.
Par ce projet, l’institution parlementaire européenne cherche à envoyer un signal fort à l’attention de la Commission européenne, organe compétent pour imposer des sanctions aux particuliers et aux entreprises pour non-respect du droit de l’Union, mais également à celle des sociétés américaines dont Google fait parti.
L’objectif visé par le Parlement est clair et précis : il s’agit avant tout de faire respecter la neutralité des résultats sur internet. Or pour atteindre ce but, une scission ou un démantèlement de l’entreprise est préconisé. Ce projet remet en cause la façon dont l’entreprise a construit son écosystème. En effet, ce qui est reproché à la société est le « favoritisme » que celle-ci accorde à ses propres services tels que YouTube, Google Maps ou encore Google Hotel Finder qui apparaissent de manière proéminente dans ses résultats de recherche et cela au détriment des services concurrents. De ce fait une séparation entre le moteur de recherche généraliste de ses autres activités sectorielles paraît nécessaire.
Depuis 2010, l’entreprise est dans le collimateur des institutions européennes qui la suspectent de ne pas respecter les règles relatives à la libre concurrence au sein de l’Union européenne. A la suite de plusieurs plaintes, la Commission européenne a ouvert une enquête en raison des soupçons d’abus de position dominante qui pèsent sur la société. Cette pratique est interdite par le Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) qui prévoit à son article 102 qu’ « Est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre Etats membres est susceptible d’être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci ».
Afin d’éviter une lourde sanction européenne, le moteur de recherche s’est dit prêt à prendre des engagements tels que afficher une signalétique claire, pour que les internautes identifient bien ses services ou encore à afficher trois services concurrents. Cependant, l’ensemble de ces propositions n’a pas jusqu’ici été jugé suffisant par la Commission européenne.
Ainsi par ce projet, les eurodéputés espèrent donner un nouvel élan à cette procédure engagée quatre ans auparavant, et ainsi inviter l’organe exécutif bruxellois à prendre à l’égard de Google une sanction exemplaire.
Aux Etats-Unis, cette proposition de scission irrite fortement. Un porte parole de la mission américaine auprès de l’Union européenne a déclaré :
Une autre institution européenne avait déjà « épinglé » Google quelques mois auparavant : en effet, la Cour de Justice de l’Union européenne a enclin la société à respecter le droit de la protection des données personnelles de ses utilisateurs tels que garantis par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne; et a considéré que la Directive 95/46/CE relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données s’appliquait également aux moteurs de recherche, ceux-ci étant qualifiés de « responsables des traitements » de données personnelles qu’ils opèrent dans le contexte des activités de leurs filiales établies sur le territoire de l’Union visant à promouvoir et vendre des espaces publicitaires sur la page des moteurs afin qu’ils soient économiquement rentables. C’est donc à l’issue de cet arrêt que la Cour a mis en ligne le formulaire « droit à l’oubli » qui permet non pas de supprimer l’article incriminé mais de le voir supprimer de la liste des résultats obtenus suite à une recherche sur le nom concerné.
Le mercredi 26 novembre, un jour avant l’adoption de la proposition de démantèlement de la société américaine par les parlementaires européens, le G29, regroupant l’ensemble des CNILS européennes, a établi les lignes directrices afin d’assurer une application harmonisée de l’arrêt de la Cour. D’autre part, à l’issue de cette réunion, le groupe a mis en avant son souhait d’élargir l’application du formulaire relatif au « droit à l’oubli » ayant jusqu’ici une portée nationale, à une application à l’extérieur du territoire de l’Union : en d’autres termes il s’agirait de passer du « google.fr » ou du « google.uk » au « google.com ». Le G29 a ainsi déclaré que : « limiter le retrait de ces liens aux domaines européens, en partant du principe que les utilisateurs tendent à utiliser les moteurs de recherche sur leurs domaines nationaux ne peut pas être considéré comme un moyen suffisant de garantir de façon satisfaisante les droits relatifs aux données individuelles.
Simple coïncidence ou théorie du complot, les institutions européennes semblent déterminer à faire respecter le droit de l’Union aux entreprises internationales, et en l’espèce américaines, installées au sein de l’espace européen.
La nouvelle Commissaire européen à la concurrence, Margrethe Vestager, a fait « part aux eurodéputés de sa volonté de recueillir les positions de plusieurs des parties impliquées dans ce dossier et de « vérifier les derniers développements dans le secteur » avant de prendre une décision sur la suite à donner ».
Afin de clore de façon définitive le dossier Google, la Commission dispose de deux options en vertu du règlement n°1/2003 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence en Europe: poursuivre les discussions autour des engagements du moteur de recherches afin d’arriver à un accord faisant notamment l’unanimité chez ses concurrents, ou infliger une lourde sanction d’ordre pécuniaire à l’encontre de la firme américaine. Affaire (encore) à suivre…