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TSN accusé d’avoir diffusé un tweet diffamatoire : une erreur de recrue ?

21 avril 2015
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Le 2 mars dernier, date limite des transactions dans la LNH, le réseau sportif TSN diffusait en direct, une émission spéciale couvrant les événements. L’émission spéciale a une audience importante puisque les amateurs de sports en général et de ceux de hockey en particulier suivent avec intérêt ces ultimes tractations entre les équipes.

Grâce à Twitter, les partisans pouvaient converser en temps réel sur les rumeurs et les échanges effectués. Toutefois, la diffusion sur un bandeau, au bas de l’écran, d’un tweet diffamatoire à caractère sexuel, en a surpris plus d’un. Ce tweet était clairement attentatoire pour la réputation de deux membres des Maple Leafs de Toronto soit, l’attaquant Joffrey Lupul et le défenseur Dion Phaneuf et de l’épouse de ce dernier, l’actrice Elisha Cuthbert.

Mais qu’est-ce qu’un propos diffamatoire ?

La jurisprudence a permis de définir le concept de diffamation. Premièrement, la Cour suprême du Canada, au paragraphe 33 du jugement Prud’homme c. Prud’homme, affirme que cela « consiste dans la communication de propos ou d’écrits qui font perdre l’estime ou la considération de quelqu’un ou qui, encore, suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables ». Pour qu’une personne soit victime de diffamation, elle doit donc être identifiable. Deuxièmement, l’arrêt Société Radio-Canada c. Radio Sept-Îles inc. introduit la notion de réputation. Une personne peut voir sa réputation entachée par « le mal que l’on dit d’elle ou la haine, le mépris ou le ridicule auxquels on l’expose ». Bien sûr, pour qu’une réputation soit salie, les propos doivent avoir été publicisés à au moins un tiers. Troisièmement, le cas Beaudouin c. La Presse relatait que pour être diffamatoire, une conduite fautive peut résulter d’un comportement malveillant (volontaire), mais aussi d’un comportement négligent (non volontaire). Finalement, Pierre Trudel, professeur à l’Université de Montréal allègue que «si les informations diffusées sont fausses ou qu’elles sont présentées de manière à semer le doute quant à l’honneur ou la réputation d’une personne », une faute est alors commise.

TSN présente ses excuses

Que l’auteur du tweet Anthony Adragna partage à ses abonnés un message faux et offensant envers des personnalités publiques identifiables est une faute, mais qu’une chaine télévisée diffuse cette information à un moment de grande écoute, en lui donnant par le fait même de la valeur, est une faute importante. Évidemment l’effet fut viral. Le réseau a rapidement reconnu sa culpabilité et quelques heures plus tard, un communiqué a été lu en ondes : « en dépit du protocole de TSN, un message Twitter faux et inapproprié a été diffusé. TSN présente ses plus sincères excuses à Joffrey Lupul, Dion Phaneuf et Elisha Cuthbert et regrette de les avoir humiliés de la sorte ».

Le droit à la réputation au Québec

Au Québec, la diffamation est une faute qui engage la responsabilité civile. Le droit à la réputation et à la dignité est protégé par l’article 1457 du Code civil du Québec (ci-après C.c.Q.) qui prescrit que toute personne a l’obligation de ne pas nuire aux autres. Les citoyens doivent respecter, avec prudence, les règles de conduite qui s’imposent au regard du contexte et des circonstances. Une personne qui contrevient à ce devoir pourrait être tenue responsable des dommages moraux, matériels et corporels encourus. Dans certains cas, s’il y a faute, elle pourrait aussi être contrainte de réparer financièrement le préjudice causé.

Toutefois, il est complexe d’évaluer la portée des dommages. Selon le document de référence Le droit à la dignité, à l’honneur et à la réputation, publié par la Chaire L.R. Wilson, les propos doivent être analysés d’un point de vue objectif. C’est-à-dire qu’il faut évaluer l’écart entre ce qu’aurait dit ou fait une personne raisonnable par opposition à ce qu’a dit ou fait la personne accusée de diffamation.

En outre, au Québec, toute vérité n’est pas bonne à dire. Un propos véridique doit être d’intérêt public pour être diffusé en toute légalité. À cet effet, l’article 35 du C.c.Q. stipule que « toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée ».

Qu’en est-il des dommages ?

Est-ce que les excuses de TSN étaient suffisantes pour réparer la faute ? Visiblement pas car, le lendemain, l’avocat représentant les trois plaintifs, Me Gall, envoyait une mise en demeure exigeant que des excuses formelles soient faites et qu’un montant significatif soit versé à chacun des plaignants. Selon ce dernier, « il y a déjà des gens qui passent leur temps à publier de l’information fausse et mal intentionnée sur les réseaux sociaux, c’est encore pire si des médias réputés comme TSN diffusent largement ces propos et leur donnent de la crédibilité ».

Un critère prépondérant pour évaluer les dommages causés par un propos diffamatoire, à l’ère de l’Internet et des médias sociaux, est l’ampleur de la diffusion. Dans le cas de TSN, l’audience était très grande (télévision, site Internet, tweet et retweet). Sans compter que, la publication sur les médias sociaux occasionne un risque de permanence des écrits, car bien qu’il soit possible d’effacer un tweet, il est impossible de supprimer un tweet qui a déjà été retweeter.

Évaluer les dommages matériels, corporels et moraux pour atteinte à la réputation est toutefois complexe. Pour les personnalités publiques l’effet peut être décuplé. Dans le cas de TSN, aucun montant n’a encore été publicisé. Les parties conviendront probablement d’une entente ou laisseront les tribunaux en décider.

Conclusion

Pour les médias de masse, il s’avère donc fondamental de prendre tous les moyens nécessaires pour éviter la diffusion accidentelle de micromessages inappropriés. C’est leur propre réputation qui est en jeu.

En définitive, il faut retenir qu’écrire sur les médias sociaux ou partager du contenu équivaut à publier dans un espace public et cela engage des responsabilités civiles. Vaut mieux se garder une petite gêne !

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