Pour les sites de notation de commerces en ligne tels que Yelp, véracité et qualité des commentaires et notations sont les maître-mots d’un service intègre, impartial et crédible. Sans cela, les sites du genre ne seraient que des « répertoires de spam » et n’apporteraient aucune valeur ni au commerçant ni au particulier. Même si cette objectivité n’est pas de l’avis de tous, elle n’en reste pas moins la philosophie de l’entreprise qui tente de la défendre corps et âme jusqu’en cour.
C’est ainsi qu’après plusieurs mises en garde à l’attention de Yelp Director, Yelp a finalement porté plainte le 13 Février dernier contre cette entreprise qui opère également deux autres sites internet sous les noms de Revpley et RevLeap. Les motifs avancés sont notamment l’enfreinte à leurs termes d’utilisation, infraction aux marques de commerce, cybersquatting, compétition injuste, interférence de contrat ainsi que fausse publicité.
Ces trois sites internet ont émergé suite au succès de la plateforme et proposent, entre autre, de payer pour obtenir uniquement des notations 4 ou 5 étoiles et faire apparaître leur établissement en haut de la liste sur Yelp ainsi que de supprimer les mauvaises notations. Ces services fonctionnent sur le concept de gamification, c’est à dire qu’on « spamme » des consommateurs par courriel avec des questionnaires auxquels le fait de répondre fait automatiquement entrer dans différents concours pour obtenir des cartes-cadeaux. On se doute ainsi bien que ces évaluations sont pour la plupart fausses et motivées par l’appât du gain.
Réactions des défendants
Très rapidement après l’annonce du procès, les gérants de Yelp Director ont publiquement annoncé qu’ils se plieraient aux volontés du poursuivant en arrêtant d’utiliser le nom « Yelp ».
Ils ont également réagi sur les réseaux sociaux et notamment twitter avec un tweet annonçant le lancement d’une campagne de levée de fond pour financer la bataille juridique. À noter que cette campagne a seulement récolté 2175$ sur les 100’000$ escomptés au 6 Avril (sans avoir augmenté depuis le 22 Mars).
Des commerçants ont également réagi après l’annonce du procès, ce dont nous discuterons plus loin dans ce billet.
Conditions d’utilisation et contrat
Lorsque l’on s’intéresse aux conditions d’utilisation de Yelp, on y retrouve les clauses déclarées violées par les sites internet exploités par Yelp Directory.
Lorsque l’on s’intéresse de plus près aux conditions d’utilisation de Yelp, on remarque très vite que l’on est en présence d’un contrat de type browse-wrap avec la mention
En accédant au Site ou en l’utilisant, vous acceptez les présentes Conditions d’utilisation et passez un contrat qui vous lie juridiquement à Yelp Ireland Ltd. […]. N’accédez pas au Site et ne l’utilisez pas si vous ne souhaitez pas être lié par les Conditions d’utilisation.
De plus, les conditions d’utilisation mentionnent clairement et directement qu’il est interdit de rédiger un avis pour lequel on peut reçevoir une rétribution indirecte, comme le propose Yelp Director.
La clause 6 A sur les restrictions stipule que
Vous consentez à ne pas utiliser le Site et à ne pas aider ni permettre à d’autres d’utiliser le Site pour : violer nos Directives de contenu, par exemple en rédigeant un avis faux ou diffamatoire, en négociant des avis avec d’autres commerces ou en rédigeant un avis pour lequel vous avez été payé directement ou indirectement par le commerce faisant l’objet de l’avis ;
Qu’en disent les lois au Canada
Au delà des faits, il est particulièrement intéressant d’étudier ce cas sous le prisme du droit canadien. Ainsi, pour cette partie, nous nous projetterons dans le cas où ces actes auraient pris place au Canada.
Au Canada, il est interdit par l’article 10 de la loi sur les marques de commerce (LMC) pour une pratique commerciale d’ « adopter comme marque de commerce en liaison avec ces produits ou services ou autres de la même catégorie générale, ou l’employer d’une manière susceptible d’induire en erreur, et nul ne peut ainsi adopter ou employer une marque dont la ressemblance avec la marque en question est telle qu’on pourrait vraisemblablement les confondre. » Dans notre cas, Yelp Director va jusqu’à utiliser la marque enregistrée « Yelp » dans son nom.
Or, l’article 19 de la LMC s’attaque directement aux contrefaçons directes en mentionnant que “l’enregistrement d’une marque de commerce à l’égard de produits ou services, sauf si son invalidité est démontrée, donne au propriétaire le droit exclusif à l’emploi de celle-ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne ces produits ou services.” L’utilisation du mot Yelp serait donc prohibé au Canada.
En outre, cette entreprise et ses sites affiliés sont réputés envoyer des courriels de type « spam » (avec un emploi du branding de Yelp au sens de la LMC) aux commerces répertoriés sur Yelp afin de faire la promotion des services cités précédemment. Une fois que le défendant compte un commerce comme client, on apprend qu’il spammerait en plus leurs clients pour leur proposer d’évaluer le même commerce en l’échange de l’entrée dans un concours.
Or le Canada s’est doté à partir du 1er Juillet dernier d’une la loi anti-pourriel très claire à ce sujet avec notamment son article 6 disposant qu’ « Il est interdit d’envoyer à une adresse électronique un message électronique commercial, de l’y faire envoyer ou de permettre qu’il y soit envoyé, sauf si : a) la personne à qui le message est envoyé a consenti expressément ou tacitement à le recevoir; […] ». On comprend donc bien ici que Yelp Director, démarchant des commerçant, puis spammant ensuite leurs clients enfreindrait au Canada la loi anti-pourriel.
En répondant aux sondages contenus dans les pourriels de Yelp Director, les particuliers entrent dans divers concours. Or, au Canada les concours sont régulés très étroitement aussi bien au niveau fédéral que provincial.
Au fédéral, on s’assurera pour respecter l’article 74.06 de La Loi sur la Concurrence de préciser la valeur des prix, les lieux où le concours a lieu ainsi que les facteurs pouvant faire varier les chances de gain. Au Québec avec la Loi sur les loteries , les concours publicitaires et les appareils d’amusement on fait la distinction de trois catégories selon le montant total des prix. Au dessous de 100$, c’est la Loi sur la Concurrence qui s’applique puis jusqu’à 2000$, il faut effectuer un dépôt légal et enfin au delà de 2000$ de nombreuses conditions et formalités s’appliquent. Au vu des pratiques de Yelp Directory mentionnées précédemment, tout porte à croire que les concours auraient été utilisés dans l’illégalité la plus totale si l’on avait été au Canada.
Des pistes pour un Yelp davantage digne de confiance
Si Yelp redouble d’effort pour préserver l’intégrité de sa plateforme avec des procès de ce genre, il serait à mon avis bon de commencer par améliorer son fonctionnement en premier lieu. En effet, en 2014 une cour d’appel fédéral américaine à mit fin à un recours collectif mené par plusieurs propriétaires d’établissement soutenant que Yelp les extorquerait avec son offre du publicité et en ayant le pouvoir de manipuler l’affichage des offres. Ces pratiques n’étonneraient pas de la part d’une startup qui se cherche, mais pour un géant comme Yelp (qui existe depuis 2004) qui comptabilise par exemple 135 million de visites mensuels uniques, cela en devient alarmant.
Des commerçant réagissant à la poursuite traitée dans ce billet de blogue ont également soulevé un point intéressant en parlant des implications de l’anonymat des internautes sur Yelp.com. Selon la clause 4.D. des termes d’utilisation du site, un internaute ayant crée un compte utilisateur sur le site (obligatoire pour poster des évaluations) peut y agir sous un pseudonyme.