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Délit d’initié dans le domaine du pari sportif en ligne : vers une réglementation uniforme aux États-Unis?

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15 octobre 2015
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La début des saison de sports – notamment la saison de hockey (NHL) qui débuta le 7 octobre et celle de football (NFL) qui est entamée depuis quatre semaines – annonce également le retour des paris sportifs en ligne.

En effet, on observe depuis plusieurs années l’émergence d’un nouveau phénomène en matière de paris sportifs, soit les jeux de pari en ligne de daily fantasy sports. Cette industrie qui a commencé par quelques admirateurs de sports se réunissant et pariant entre eux s’est transformée en industrie en ligne rapportant plusieurs milliards de dollars annuellement. Eilers Research estime même que près de 14,4 milliards de dollars devraient être dépensés mondialement par les parieurs sur ces sites d’ici 2020.

En quoi consiste le jeu de daily fantasy sports?

Le daily fantasy sports est un mode de pari en ligne où un participant parie en sélectionnant des joueurs professionnels d’un sport donné pour les matchs d’un jour donné, où certaines statistiques de ces joueurs sont transformées en points et où celui de tous les participants qui accumule le plus de points remporte la mise. Le tout est encadré par des sites de paris en ligne ayant leurs modes de fonctionnement particuliers. La sélection des meilleurs joueurs possibles afin de maximiser ses points passe par une connaissance poussée de chacune des ligues et de chacun des joueurs impliqués.

C’est dans ce contexte que s’inscrit le scandale rapporté par le prestigieux New York Times, touchant les deux géants incontestés des paris sportifs en ligne américains, DraftKings et FanDuel. Les deux concurrents ont été forcés d’émettre un communiqué le 5 octobre dernier afin de défendre l’intégrité de leurs entreprises respectives, après que des allégations s’analoguant à un délit d’initié, c’est-à-dire  « Acte illégal consistant à réaliser des opérations sur des titres en profitant d’informations privilégiées inconnues du public«  aient fusé dans les médias.

Ironiquement, le cofondateur et CEO de DraftKing, M. Jason Robins, a lui-même comparé le jeu de daily fantasy sports au fait de jouer à la bourse : les participants y font d’importantes recherches pour maximiser leurs choix et doivent considérer une pluralité de facteurs pour optimiser leurs profits.

Comment un délit d’initié peut-il s’articuler dans le contexte des paris sportifs en ligne?

Il appert qu’un employé de DraftKings, M. Ethan Haskell, a misé sur le site rival FanDuel en prévision de la troisième semaine d’activité dans la NFL, en utilisant des données confidentielles qu’il aurait obtenues dans le cadre de ses fonctions. Ces données n’auraient été communiquées qu’aux employés de DraftKings et ne devaient être diffusées à tous les participants qu’au moment où les alignements pour les paris ne pourraient plus être modifiés. Les données, s’apparentant à du Big Data, portaient sur l’identité des joueurs les plus populaires auprès des participants, permettant ainsi à M. Haskell de miser sur des joueurs moins populaires. Les joueurs moins populaires rapportant un meilleur retour sur pari, ces données conféraient donc un avantage indu à l’employé de DraftKings. Évidemment, les joueurs qu’il avait sélectionnés devaient bien performer afin qu’il obtienne le plus de points possibles, mais bénéficiant prétendument de ces données, M. Haskell aura finalement terminé deuxième du jeu de pari, empochant 350 000,00 $ US en une fin de semaine !

DraftKings a précisé dans un de ses communiqués à Fortune que suite à une enquête interne, M. Haskell n’aurait pas eu accès à ces données privilégiées au moment d’enregistrer sa sélection, laquelle devait être complétée avant 13 heures, ces données confidentielles ayant été diffusées à l’interne de l’entreprise à 13 heures 40. Il ne s’agirait que d’une coïncidence que ces deux évènements soient intervenus la même journée. Il n’empêche que pour les participants aux jeux de daily fantasy sports, il n’y a aucune garantie ni aucun moyen de le confirmer.

Sports Business Daily a publié une étude au sujet des jeux de daily fantasy sports pour la première moitié de la saison de baseball (MLB). Durant cette période 91 % des gains ont été remportés par un maigre 1,3 % des participants.

Cette situation soulève ainsi plusieurs questionnements :

  • Comment se fait-il que 1,3 % des participants se partagent 91 % des gains ?
  • Quelle est la politique des deux entreprises concernant le pari sportif de leurs employés?
  • Combien d’employés ont eu accès à des informations privilégiées?
  • Comment est assuré le traitement de ces données confidentielles?
  • Combien de fois les paris de ces deux entreprises ont-ils été faussés par le pari d’employés bénéficiant d’information privilégiée?

Depuis, FanDuel et DraftKings ont modifié leur politique interne et il est désormais interdit à leurs employés de participer à des jeux de pari en ligne de daily fantasy sports de leur entreprise rivale. Les quatre autres questions demeurent toutefois sans réponse.

Qu’en est-il de la législation américaine?

Aux États-Unis, l’industrie du daily fantasy sports n’est pas réglementée par le gouvernement fédéral. En fait, elle est expressément exclue à la section 101, paragraphe 6D)ix) du Unlawful Internet Gambling Enforcement Act (UIGEA) de 2006, lequel rend notamment illégal les transactions en ligne de banques vers des sites de paris en ligne.

Ainsi, selon l’UIGEA, les sites de daily fantasy sports sont exclus principalement en raison du fait que le résultat du pari reflète davantage la connaissance des participants plutôt que l’unique chance de ces derniers.

Au niveau des États américains, quarante-cinq d’entre eux permettent les paris de daily fantasy sports quotidiens, tandis que cinq sont des territoires hostiles pour DraftKings et FanDuel (Arizona, Iowa, Louisiane, Montana et Washington). Évidemment, il va de soi que ces derniers n’opèrent pas dans ces cinq États.

La législation de l’État de Washington est très claire quant à l’interdiction des paris en ligne :

Whoever knowingly transmits or receives gambling information by telephone, telegraph, radio, semaphore, the internet, a telecommunications transmission system, or similar means, or knowingly installs or maintains equipment for the transmission or receipt of gambling information shall be guilty of a class C felony subject to the penalty set forth in RCW 9A.20.021

Certains sont également d’opinion que les États de New York, du Tennessee et de l’Arkansas pourraient devenir le théâtre de poursuites contre DraftKings et FanDuel en raison de la potentielle invalidité de leurs activités selon les lois étatiques. À ce titre, les législations du Tennessee et de l’Arkansas prévoient que tout concours ne doit impliquer aucune chance, ce qui contrevient au concept de daily fantasy sports, lequel dépend certes des connaissances des participants, mais où la chance (blessures, contre-performances ou même les performances étincelantes de joueurs de l’équipe adverse) a également son mot à dire.

Une forme d’autorégulation a été mise en place par les principaux acteurs dans le cadre de la Fantasy Sports Trade Association (FSTA), laquelle est née en 1997. Le Paid Entry Contest Operator Charter qui autorégule l’industrie est toutefois muet quant à l’utilisation de données privilégiées par les employés des entreprises membres de la FSTA.

Et au Québec?

Au Québec, l’industrie des jeux de hasard et d’argent est encadrée par Loto-Québec depuis 1969. En matière de daily fantasy sports légal, la filiale de Loto-Québec Mise-O-Jeu est la plus populaire de la province.

Loto-Québec est régie par plusieurs lois et règlements, dont la Loi sur la régie des alcools, des courses et des jeux qui interdit la participation des employés à des paris ou systèmes de loteries :

11.Les régisseurs, les membres du personnel de la Régie, les personnes mandatées ou désignées par elle ou son président et les personnes autorisées à faire une vérification, une inspection, une enquête ou à certifier des appareils, en application des lois dont l’administration est confiée à la Régie, ne peuvent, eux-mêmes ou par l’entremise d’un tiers, participer à un pari sur des courses, un système de loterie, un concours publicitaire, un jeu ou une autre activité régie par ces lois.

Ces interdictions ne s’appliquent toutefois pas à un système de loterie, conduit et administré par la Société des loteries du Québec, autre qu’un système de loterie de casino ou qu’une loterie vidéo.

Par conséquent, le vide juridique constaté aux États-Unis au pallier fédéral ne caractérise pas le système de jeu de paris du Québec, lequel est fortement réglementé.

Ceci étant, les sites de paris DraftKings et FanDuel sont également accessibles au Québec, mais sont considérés comme des sites de paris illégaux puisqu’ils ne sont pas autorisés sous licence ou gérés par l’État. Aucune poursuite n’a été engagée à ce sujet au Canada à ce jour.

Perspectives d’avenir aux États-Unis

En raison du tollé provoqué par ce scandale autant dans le milieu du sport que dans celui des affaires, il sera intéressant de suivre l’évolution d’une possible législation chez nos voisins du sud en matière de pari sportif en ligne. Le Congrès américain pourrait par ailleurs être tenté de modifier l’UIGEA afin de baliser clairement les jeux de daily fantasy sports, ainsi que les modalités s’appliquant à cette industrie, lesquelles sont présentement entièrement dictées par des entreprises privées. La prochaine législation devra fournir suffisamment de garanties aux participants pour minimiser les risques de tricherie et d’utilisation douteuse du Big Data dans une perspective de profits.Cette industrie représentant une somme substantielle échappant au fisc américain, il serait surprenant qu’elle continue de se développer éternellement sans l’intervention du gouvernement.Il sera également intéressant de voir si des États interdisant actuellement les paris sportifs en ligne seront tentés de modifier leur législation afin de participer au « pool » et récupérer leur part du gâteau.

Une chose est sûre : le daily fantasy sports est là pour rester.

 

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