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Le projet de loi Lemaire : la mort numérique de nouveau en question en France

Étudiante dans le cadre du cours DRT-6903.
2 octobre 2015
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Identité numérique et mort numérique : deux concepts porteurs d’interrogation

La mort a toujours été source d’interrogation pour les juristes qui s’efforcent d’en appréhender les effets. Appréhender la mort numérique, nous amène en premier lieu à nous questionner sur l’existence d’une identité numérique. À ce propos, la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale a déjà tenté d’apporter un éclairage en proposant, dans un rapport d’information sur le «développement de l’économie numérique française» du 14 mai 2014, d’analyser ce concept comme

 Regroupant l’ensemble des traces laissées par un individu (adresses IP, cookies), ses coordonnées d’identification, les contenus qu’il publie ou partage en ligne (blogs, avis, discussions, contributions à des sites collaboratifs, jeux), ses habitudes de consommation sur internet ou sa e-réputation .

Mais que deviendrait cette identité numérique après son décès ? En effet, comme le souligne la Commission de l’informatique et des libertés (CNIL) dans un article du 31 octobre 2014, le concept de mort numérique semble :« potentiellement porteur d’interrogations juridiques mais également sociétales ». Il devient donc tout à fait légitime dans ce contexte de s’interroger sur le devenir des données personnelles du défunt.Si la Cour de justice de l’Union européenne a consacré, dans l’arrêt Google spain SL et Google inc du 13 mai 2014 un droit à l’oubli, la question à savoir comment le faire valoir reste encore à définir si aucune réponse légale existe réellement.

Le traitement actuel du sujet consiste pour l’essentiel à appréhender ce thème sous l’angle du droit au respect de la vie privée des héritiers en raison du caractère personnel attaché au droit à l’image. Dans cette perspective, la loi informatique et liberté (n° 78-17) prévoit dans son article 2 que seule : « la personne concernée par un traitement de données à caractère personnel est celle à laquelle se rapportent les données qui font l’objet du traitement ». Du point de vue du Parlement européen, peu de réponses ont également été apportées. En effet, la proposition de règlement  du Parlement et du Conseil prévoit dans son considérant 53, différents motifs pour lesquels il est possible de demander la suppression de données à caractère personnel, parmi lesquels  celui du décès n’est pas mentionné. Il en est de même pour l’article 38 de la Loi informatique et libertés qui permet de s’opposer, en arguant de motifs légitimes, à ce que des données à caractère personnel fassent l’objet d’un traitement, motifs qui semblent relever de l’appréciation du responsable du site ce qui ne constitue pas une réelle garantie pour l’utilisateur.

La mort numérique dans le projet de loi Lemaire

Le sujet ferait donc de nouveau surface dans l’article 20 du projet de loi d’Axelle Lemaire. En effet, l’article 40 de la Loi informatique et libertés pourrait se voir modifié par de nombreux ajouts permettant de faire face à cette difficulté. Il serait donc désormais possible pour toute personne de : « définir des directives relatives à la conservation et à la communication de ses données à caractère personnel après son décès. », directives modifiables et révocables à tout moment qui devront définir :«La manière dont la personne entend que soient exercés après son décès les droits qu’elle détient en application de la présente loi. ».

Outre ce point essentiel, cette loi permet d’apporter en partie une réponse à la difficulté tenant au fait que bien souvent, les proches du défunt ne peuvent pas supprimer un compte ou un profil inactif, ceci en dépit des initiatives de certains sites de mettre en place des plateformes de signalement en cas de décès (Facebook, Instagram, linkedin etc.). En effet, il a clairement été tranché par le conseil d’État dans un arrêt M.F.et autre que les héritiers ne peuvent se substituer au défunt dans l’exercice de ses droits personnels. Ces derniers ne peuvent agir en justice que pour voir réparer un préjudice personnel qui résulterait d’une atteinte à la mémoire du défunt

Rapporté au thème de la mort numérique, cela implique donc une impossibilité pour ces derniers de demander à un responsable de site de supprimer des données au nom du défunt. En effet, l’article 40 de la loi de 1978 prévoit seulement que le responsable du traitement des données à caractère personnel prenne en considération le décès et procède aux mises à jour lorsque les héritiers d’une personne décédée en font la requête. Désormais, les héritiers pourraient se subroger dans l’exercice des droits du défunt, de telle sorte qu’à défaut d’une quelconque désignation, dans l’application d’une directive, les héritiers de la personne décédée ont cette qualité pour voir prospérer les dernières volontés du défunt quant au sort de ses données. Il pourrait donc être prévu que :

Sauf lorsque la personne concernée a exprimé une volonté contraire dans les directives mentionnées au II, ses héritiers peuvent exercer après son décès les droits mentionnés à la présente section 

Force est de constater que ce texte apporte des réponses au traitement de la mort numérique, qui jusqu’à présent restait en suspens la CNIL se refusant de prendre une quelconque position en affirmant qu’elle

n’a pas vocation à arbitrer l’équilibre qui doit être trouvé entre les besoins de suppression de toutes traces de l’identité après la mort, et la volonté d’atteindre l’immortalité numérique en continuant à faire vivre l’identité au-delà de la mort.

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