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Les plateformes web qui forcent le gouvernement à légiférer : Québec vs Airbnb

Nathalie Otiz

Étudiante dans le cadre du cours DRT-6903.
27 octobre 2015
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Jeudi le 22 octobre, le Québec devenait la première législature canadienne à déposer un projet de loi visant à encadrer les Airbnb, HomeAway et Homelidays de ce monde. Le projet de loi 67 « Loi visant principalement à améliorer l’encadrement de l’hébergement touristique » déposé par la ministre du Tourisme Dominique Vien ne cible pas directement la plateforme Airbnb mais vise plutôt les délinquants qui tenteraient de louer leurs logements illégalement.

« Nous ne nous adressons pas aux plateformes collaboratives, a déclaré la ministre Vien. Nous ne souhaitons pas du tout en contraindre l’existence. (…) Ce n’est pas Airbnb qui fait que telle personne ne paie pas son dû ou n’a pas sa classification. C’est la personne elle-même. »

Ironiquement, si la Ministre souligne qu’il ne s’agit pas de s’attaquer aux « plateformes collaboratives », ce sont bien ces dernières qui se retrouvent au cœur des récents mouvements et tentatives d’encadrement. Le projet de loi était donc devenu nécessaire en raison des pressions exercées par l’industrie touristique qui réclamaient un encadrement législatif afin que les particuliers respectent les règles de l’industrie hôtelière. Les revendications alléguaient la concurrence déloyale, notamment en ce que les particuliers ne sont pas soumis aux obligations relatives à la certification et aux taxes d’hébergement.

Ainsi, si le projet de loi est adopté, les personnes qui mettraient leur logement à louer devraient obtenir une certification au coût de 200$ par année et percevoir la taxe sur l’hébergement qui varie de 2 à 3.5 % par région. La ministre soutient cependant que

« Le citoyen qui met sa demeure à la disposition d’un voyageur ou d’un touriste de temps à autre, par exemple s’il part en voyage une ou deux fois par année et loue sa demeure, n’est pas assujetti à cette loi. »

Il s’agit donc d’assujettir ceux qui offrent un hébergement sur une base commerciale et/ou régulière. L’article 1 du Règlement sur les établissement d’hébergement touristique prévoit que :

Constitue un établissement d’hébergement touristique tout établissement exploité par une personne qui offre en location à des touristes, contre rémunération, au moins une unité d’hébergement pour une période n’excédant pas 31 jours. En sont exclues les unités d’hébergement offertes sur une base occasionnelle.

À défaut de se soumettre à la réglementation, les fautifs s’exposent à des amendes allant jusqu’à 50 000$. Le projet de loi prévoit donc notamment la modification de l’art 37 de la Loi sur les établissements d’hébergement touristique par le rehaussement des amendes et par l’ajout du 8e alinéa, prévoyant que :

37.Commet une infraction et est passible d’une amende de 2 500$ à 25 000 $, s’il s’agit d’une personne physique, et de 5 000 $ à 50 000 $, dans les autres cas, quiconque :

[…]

8° exploite un établissement d’hébergement touristique ou donne lieu de croire qu’il exploite un tel établissement sans qu’une attestation de classification ait été délivrée pour cet établissement conformément à la présente loi.

Airbnb et Uber comme moteur de « l’économie du partage »

Essentiellement, l’économie du partage ou « sharing economy » repose sur un modèle propulsé par la technologie, où il y a partage de ressources tant humaines que matérielles. Selon le groupe The People Who Share l’économie du partage est avant tout :

« A socio-economic ecosystem built around the sharing of human and physical resources. It includes the shared creation, production, distribution, trade and consumption of goods and services by different people and organisations. »

Or, ce modèle économique alternatif semble s’implanter comme véritable industrie emportant avec elle son lot de problématiques sociales et juridiques. En effet, il n’est pas rare de voir des histoires d’horreur faire les manchettes suite à des saccages de domicile loués sur Airbnb. Une famille de Calgary s’est retrouvée face à un véritable carnage en entrant dans leur demeure, devant des dommages s’élevant à près de 50 000$. Des histoires comme celle-ci ont conduit les dirigeants de Airbnb à instaurer une politique d’assurance couvrant les dommages jusqu’à 1M$ suite à des visites désastreuses. La récente protection est entrée en vigueur au Canada le jour même de l’annonce de la Ministre Vien.

Les problématiques liées au phénomène Airbnb ne sont pas limitées aux frontières canadiennes. En effet, un important bras de fer est enclenché entre l’entreprise et différentes juridictions, notamment San Francisco où un nombre important de logements locatifs sont convertis afin d’accommoder des touristes désireux de réduire leurs dépenses. Dale Carlson de ShareBetter San Francisco estime que de 10 à 12 000 logements locatifs ont étés convertis à cette fin. Les habitants de San Francisco auront l’occasion de se prononcer à ce sujet dans le cadre d’un scrutin sur la Proposition F visant à encadrer AirBnB. New York et Paris font face à une problématique similaire et l’industrie touristique tout autant que les groupes de locataires urgent les gouvernements à adopter des mesures concrètes afin d’encadrer AirBnB.

Uber fait face à une situation semblable, dans un monde où règne l’incertitude, alors que le ton monte entre l’entreprise et ses chauffeurs ainsi que les compagnies de taxi. Tous trois urgent le gouvernement à légiférer, les premiers voulant faire reconnaître leur légitimité et les derniers souhaitant assujettir les chauffeurs d’UberX à la réglementation encadrant l’industrie du taxi.

Uber suscite également de nombreuses questions notamment en matière de responsabilité en cas d’accident et d’assurance, puisque le véhicule est alors utilisé à des fins commerciales. Dans cette perspective, une entente avec Intact assurance a été conclu afin de créer un service d’assurance personnalisé pour les chauffeurs. De plus, l’entreprise,entachée par des allégations d’agression sexuelle ou d’inconduite sexuelle de la part des chauffeurs, inquiète une grande partie de la population.

L’écosystème que forme « l’économie du partage », évoluant en marge, dans une zone grise, assujettie à aucun système de permis et aucune organisation, remettrait-il en question les institutions actuelles ? La firme PricewaterhouseCoopers estime que les revenus de l’industrie du partage s’élèveraient à 335 milliards d’ici 2025. Chose certaine, le modèle ébranle tout autant les industries traditionnelle que les gouvernements et forcera ultimement l’État à légiférer pour le bien public.

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