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Le pouvoir de Facebook de bloquer l’accès au contenu publié sur son site : un pouvoir sans limites ?

Étudiante dans le cadre du cours DRT-6903.
7 décembre 2015
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Une décision récente aux États-Unis a confirmé le principe selon lequel Facebook ne peut être reconnu coupable d’avoir bloqué du contenu publié sur son site par un usager.

« Sikhs For Justice » (« SFJ ») est une organisation à but non lucratif basée à New York et dédiée à la défense des droits fondamentaux et plus particulièrement à la situation critique des minorités religieuses en Inde. SFJ a une page Facebook qu’elle utilise pour organiser ses campagnes et s’opposer à la conversion forcée alléguée des minorités religieuses Indiennes à l’Hindouisme, qui prend place en Inde depuis l’élection du Premier Ministre Narenda Modi en 2014.

En Mai 2015, Facebook a bloqué l’accès à la page de SFJ partout en Inde, sans en avertir SFJ ni leur expliquer le fondement de leur décision. SFJ allègue que Facebook a agit pour le compte du Gouvernement Indien et qu’il s’agit de discrimination. SFJ a demandé à maintes reprises à Facebook de débloquer l’accès à sa page, ce que Facebook a refusé de faire. En juin 2015, SFJ a déposé une Requête Introductive d’Instance alléguant que Facebook, en bloquant l’accès à sa page, a violé le Titre 2 du Civil Rights Act (42 U.S.C. §2000a) qui prévoit que :

« All persons shall be entitled to the full and equal enjoyment of the goods, services, facilities, privileges, advantages, and accommodations of any place of public accommodation, as defined in this section, without discrimination or segregation on the ground of race, color, religion, or national origin. […]»

Facebook a déposé par la suite une demande de rejet d’action, qui fut acceptée par la Juge Koh le 13 Novembre 2015.

« For many users, Facebook feels like a utility. [They] use Facebook to create new things and expect it to work reliably; users don’t expect Facebook will terminate them capriciously. Thus, when Facebook blocks users’ content, it can be shocking to users. The power company can’t just turn off a customer’s power. Does Facebook get to play by different rules? »

La réponse est oui ! Le droit de Facebook de bloquer l’accès à du contenu publié sur son site est protégé par plusieurs principes de droit américain.

Pour rejeter l’action de SFJ, la Juge Koh s’est basé sur le Communications Decency Act (« CDA ») et plus particulièrement sur l’article 47 U.S.C. §230(c)(1), qui prévoit que :

« No provider of an interactive computer service shall be treated as the publisher or speaker of any information provided by another information content provider. »

L’immunité prévue dans cet article s’applique lorsque trois conditions sont réunies :

[p.6 du jugement]

  • La Défenderesse est un fournisseur ou un usager d’un service interactif sur ordinateur ;
  • L’information en question est fournie par un fournisseur d’informations indépendant du fournisseur du service interactif ;
  • La Demanderesse poursuit la Défenderesse en sa qualité d’éditeur ou d’orateur de la dite information.

La Juge Koh était d’avis que les trois conditions ci-dessus étaient rencontrées :

« The term “interactive computer service” means any information service, system, or access software provider that provides or enables computer access by multiple users to a computer server, including specifically a service or system that provides access to the Internet and such systems operated or services offered by libraries or educational institutions. » 

« The term “information content provider” means any person or entity that is responsible, in whole or in part, for the creation or development of information provided through the Internet or any other interactive computer service. »

La Cour, en se basant sur l’affaire Roommate.com, précise que le terme « another » à l’article 47 U.S.C. §230(c)(1) sert à exclure la situation dans laquelle le fournisseur de service serait lui même un « fournisseur d’informations ».

« §230’s “grant of immunity only applies if the interactive computer service provider is not also an ‘information content provider”. » [Fair Housing Council of San Fernando Valley v. Roommates.com, p.6]

Dans le présent cas, SFJ est le seul fournisseur de l’information en question et Facebook n’a joué aucun rôle dans la création, le développement ou la rédaction d’aucune portion du contenu bloqué.

  • [8-11 du jugement] La poursuite intentée par SFJ repose entièrement sur le fait que Facebook a bloqué l’accès à la page de SFJ, ce qui constitue une action d’un éditeur, protégé par le CDA. La Cour précise que, pour déterminer si la Demanderesse poursuit la Défenderesse en sa qualité d’éditeur, il faut se demander si la cause requiert que la Cour traite la partie défenderesse comme un éditeur.

« Publication involves reviewing, editing, and deciding whether to publish or to withdraw from publication third-party content. » [Barnes v. Yahoo!, p.10]

« But removing content is something publishers do, and to impose liability on the basis of such conduct necessarily involves treating the liable party as a publisher. » [Barnes v. Yahoo!, p.12]

La Cour a donc conclue que l’immunité prévue à l’article 47 U.S.C. §230(c)(1) s’appliquait à Facebook. Il ne s’agissait pas ici de la première décision du genre. En effet, la Cour s’est basée sur les décisions Riggs v. MySpace, Barnes v. Yahoo!, et Levitt v. Yelp!, trois décisions dans lesquelles la Cour a rejeté les actions des demanderesses en appliquant l’immunité prévue à l’article 47 U.S.C. §230(c)(1) aux décisions des différents réseaux sociaux de publier ou non le contenu appartenant à un usager.

Le droit de Facebook de bloquer l’accès à du contenu publié sur son site aurait également pu être protégé par d’autres principes, qui n’ont pas été cités par la Juge Koh..

En effet, l’article 47 U.S.C. §230(c)(2) prévoit ce qui suit :

« No provider or user of an interactive computer service shall be held liable on account of—[…]any action voluntarily taken in good faith to restrict access to or availability of material that the provider or user considers to be obscene, lewd, lascivious, filthy, excessively violent, harassing, or otherwise objectionable, whether or not such material is constitutionally protected;[…] »

Comme l’énonce Eric Goldman, cet article prévoit expressément la situation qui s’est présentée devant la Juge Koh. Le fait que cette dernière n’ait pas mentionné cet article est donc surprenant.

« From my perspective, Section 230(c)(2)’s non-appearance highlights its weakness as a safe harbor. Section 230(c)(2) requires the website to make its blocking decision “in good faith,” and determining good faith takes more time and money to resolve. Relying on Section 230(c)(1) bypassed the need for that factual inquiry, so the judge could resolve this case now. »

Le Premier Amendement a également déjà été utilisé pour protéger la décision d’un moteur de recherche de bloquer du contenu, et aurait pu être utilisée par Facebook pour défendre sa décision de bloquer l’accès à la page de SFJ en Inde.

[Voir Zhang et al. v. Baidu]

Il ne faudrait cependant pas que ces principes permettent aux entreprises d’obtempérer à toutes demandes de censure d’un gouvernement étranger, puisque cela pourrait avoir un impact indéniable sur la liberté d’expression des usagers. Pour conclure, reprenons les propos de Eric Goldman :

« In light of the website’s dilemma, private lawsuits against the website for blocking their content are completely inappropriate; and I’m glad that laws like Section 230 end those lawsuits quickly. Still, the foreign censorship demands are also unacceptable and need to be squelched. The best way would be for the U.S. government to intercede against these overreaching foreign censorship demands. Yet, for reasons I don’t understand, protecting U.S.-based Internet companies from foreign censorship demands has apparently ranked fairly low on the priority list of the U.S. Trade Representative and most other U.S. government officials. »

 

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