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Google modifie ses pratiques en matière de droit à l’oubli en Europe

Étudiante dans le cadre du cours DRT-6929N.
9 février 2016
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Le déréférencement ou droit à l’oubli consiste en la suppression de résultats affichés par un moteur de recherche lorsqu’une page porte atteinte à la vie privée d’un demandeur, que des données à caractère personnel ne sont plus pertinentes ou qu’elles sont erronées. La directive 95/46/CE prévoit à l’article 12 un droit d’accès de la personne concernée à ses données personnelles alors que l’article 14 annonce le droit d’opposition de la personne concernée au traitement des données. Google fut débouté le 13 mai 2014 par la Cour de justice de l’Union Européenne dans l’affaire Google Spain et Google / AEPD et Costeja González, qui conclut que l’exploitant d’un moteur de recherche :

«est obligé de supprimer de la liste de résultats, affichée à la suite d’une recherche effectuée à partir du nom d’une personne, des liens vers des pages web, publiées par des tiers et contenant des informations relatives à cette personne, également dans l’hypothèse où ce nom ou ces informations ne sont pas effacés préalablement ou simultanément de ces pages web, et ce, le cas échéant, même lorsque leur publication en elle-même sur lesdites pages est licite.»

Entre le 14 mai 2014 et le 28 janvier 2016, Google appliquait le retrait du référencement uniquement sur les noms de domaines européens (www.google.fr, www.google.uk etc.) en invoquant les risques de censure liés au retrait des liens vers certains articles. La Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) considérait qu’il s’agissait d’un contournement manifeste de la loi et a déclaré que «[d]’autre part, un déréférencement « partiel » reviendrait à un déréférencement ineffectif». Les CNIL européennes ont donc fait pression sur le moteur de recherche pour demander l’application du retrait sur tous les noms de domaines dans le monde.

Face à ces critiques de la CNIL, Google a récemment annoncé qu’il géolocaliserait dorénavant les adresses IP des demandeurs européens qui désirent l’application du droit à l’oubli. Google propose dorénavant :

(…) de cacher les pages inadéquates sur les moutures internationales de son moteur de recherche, comme par exemple Google Japon ou Google USA, mais uniquement lorsque ces versions sont utilisées par un Européen. Autrement dit, l’adresse IP sera prise en compte pour savoir d’où vient l’internaute.

Ainsi, pour les internautes avec une adresse IP provenant d’une autre région que l’Union européenne, aucun retrait ne sera effectué et les liens demeureront accessibles. Cette modification majeure dans le traitement des demandes fait en sorte qu’aucun internaute, même canadien ou américain, interrogeant google.com depuis l’Europe ne pourrait avoir accès aux liens déréférencés.

La CNIL demeure prudente face à la solution alternative proposée par Google. Interrogée par le quotidien  d’information Le Monde, la CNIL a déclaré que :

« Ces nouveaux éléments avancés par Google montrent bien que la problématique de la portée territoriale nécessite une réflexion. Ces éléments font actuellement l’objet d’une instruction par les services de la CNIL. »

Manifestement plus enthousiaste, l’agence espagnole de protection des données salue une amélioration qui augmentera la couverture du droit à l’oubli. Pour Pierre Trudel, professeur titulaire en droit des médias et des technologies de l’information à l’Université de Montréal, le retrait de liens de référencement sur l’ensemble de Google «pose problème  pour l’intégrité des résultats de recherche». Ce dernier souligne  également que dans les systèmes de droit civiliste, il revient normalement à un juge de «décider qu’une information doit être supprimée de l’espace public».

L’application du droit au déréférencement pose plusieurs questions d’ordre technique et juridique. Ce droit à l’oubli implique incidemment une balance entre le droit du public à l’information et le respect de la vie privée. Le formulaire en ligne contenant l’énumération des liens que l’internaute désire voir déréférencer par le moteur de recherche est la méthode adoptée par Bing, Google et Yahoo, mais cette analyse conserve un caractère indéniablement subjectif et engendre de larges coûts pour les moteurs de recherche.

Cette progression du droit à la vie privée au détriment du droit d’être informé du public pose la réflexion concernant l’éventualité d’une protection similaire en Amérique du Nord. Aucune décision concernant le droit à l’oubli n’a été rendue au Canada ni aux États-Unis. La Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE), qui s’applique aux entreprises du secteur privé, prévoit à son  l’Annexe 1, article 4.9.5 que «lorsqu’une personne démontre que des renseignements personnels sont inexacts ou incomplets, l’organisation doit apporter les modifications nécessaires à ces renseignements». Il n’existe donc aucune obligation législative ou jurisprudentielle permettant de faire supprimer ou retirer des informations exactes qui ne sont plus pertinentes, mais accessibles grâce à un moteur de recherche.

Pour Marc-François Bernier, titulaire de la Chaire de recherche en éthique du journalisme de l’Université d’Ottawa et Meghann Dionne, étudiante en journalisme, qui ont analysé la question du droit à l’oubli d’un point de vue journalistique, «cela renvoie à la norme éthique de la vérité et au devoir déontologique de l’exactitude». L’internaute possède donc la possibilité de s’adresser directement à l’éditeur ou au gestionnaire des archives de presse de la page web qui lui cause un préjudice. Il est finalement intéressant de rappeler que l’intérêt du public au Canada :

«prend l’allure, non pas d’un droit susceptible de produire, en lui-même des prérogatives mais comme un outil du juriste, un cadre de référence afin d’aider à résoudre une contradiction découlant de l’affirmation conflictuelle d’un droit à faire circuler une information et un droit de s’opposer à une telle circulation».

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