Le 3 février dernier, la jeune pousse Blockstream a obtenu 55 millions $ US en financement, s’ajoutant au premier 21 millions déjà obtenu en 2014. Blockstream, qui travaille depuis Montréal et San Francisco, prétend pouvoir offrir des services financiers plus efficaces grâce à son adaptation de l’infrastructure Bitcoin.
L’infrastructure Bitcoin repose sur le Blockchain. Il s’agit d’une technologie qui permet aux utilisateurs d’avoir confiance envers un système d’information, sans qu’il soit nécessaire pour eux d’avoir confiance en une seule entité responsable des données (ex. : une banque).
Blockstream dit avoir développé une méthode pour convertir des Bitcoins du Blockchain contre d’autres devises existant sur des Blockchains parallèles, qu’ils appellent Sidechain.
Les cryptodevises et le Bitcoin aujourd’hui
Les transactions de Bitcoin ne sont ni anonymes ni confidentielles. En effet, même si des techniques existent afin de préserver l’anonymat et la confidentialité, elles ne sont pas infaillibles et reposent souvent sur la confiance en une partie tierce (ex. : Dark Wallet).
Néanmoins, il existe des milliers de cryptodevises alternatives et indépendantes aux Bitcoins souvent appelés Altcoins. Certains Altcoins ont comme objectif principal de préserver l’anonymat et la confidentialité (Darkcoin, ShadowCash), mais sont souvent impopulaires et peu développés, ce qui rend leur valeur excessivement volatile et leur possession très risquée.
La demande pour un Bitcoin confidentiel est forte
Par crainte de révéler de l’information sur leurs états financiers, plusieurs évitent le Bitcoin. Pourtant, les coûts de transactions associés aux services financiers traditionnels sont élevés et inhibent même certaines transactions. Le Blockchain permet de réduire ces coûts, notamment grâce à son efficacité à envoyer et conserver les données sans compromettre leur sécurité.
Les entités économiques souhaitent donc pouvoir bénéficier du Blockchain sans avoir à renoncer à leur confidentialité financière, tout particulièrement les entreprises vis-à-vis leurs concurrents.
Le projet de Blockstream et le Bitcoin de demain
Avec l’adoption des travaux de Blockstream, le Bitcoin deviendrait la banque centrale des Sidechains en pouvant, si nécessaire, y injecter ou y retirer des liquidités. Ces derniers seront ainsi moins risqués que les Altcoins, étant appuyés par l’infrastructure bien établie des Bitcoins.
« Confidential Transaction » est un Sidechain cryptographique développé par Blockstream qui masque le destinataire et le montant des transactions. Il régira par défaut toutes les transactions de Bitcoin. La confidentialité n’aura donc plus à reposer sur la confiance envers une partie tierce. D’ailleurs, il sera possible pour quiconque, grâce à l’architecture « open source » offerte par Blockstream, de concevoir des Sidechains répondant à des besoins spécifiques.
Il y a donc de nouvelles opportunités d’affaire prometteuse autour du Bitcoin, et plusieurs semblent y voir un intérêt majeur pour le secteur financier dans son ensemble.
La législation au Canada et le Bitcoin
L’encadrement juridique des cryptodevises est certainement un sujet d’actualité dans plusieurs nations. Au Canada, il n’est pas reconnu comme une monnaie « légale », mais plutôt comme un bien meuble. Une transaction par Bitcoin n’est donc pas une vente, mais un échange (« troc »).
Néanmoins, le Canada, en adoptant la Loi n° 1 sur le plan d’action économique de 2014 (ci-après Loi n° 1), reconnait les cryptodevises. En effet, la loi dispose l’Agence de Revenu du Canada d’assujettir les cryptodevises à l’impôt. Le Québec ne s’est toujours pas prononcé sur la question, mais selon Revenu Québec, la valeur des biens échangés par une entreprise doit être considérée comme un flux monétaire imposable. De plus, les taxes de vente doivent aussi s’appliquer sur ces échanges.
De plus, afin de prévenir le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, les entités financières sont tenues d’avertir le gouvernement lorsqu’ils observent que la somme des transactions d’une seule entité, pour 24 heures, surpasse 10 000 $.
Le gouvernement peut-il s’assurer du respect de ces dispositions?
Le principe du Blockchain veut que les transactions soient retraçables. Ceci permet aux autorités, souvent aidées par la communauté Bitcoin qui n’hésite pas à collaborer aux différentes enquêtes, d’analyser les échanges afin de recueillir des preuves. Cependant, « Confidential Transaction », en masquant le destinataire et le montant, rend l’analyse des transactions, en toute fin pratique, impossible. Assisterons-nous à un véritable « Far West » transactionnel? Pas vraiment en fait.
La Loi n° 1 dispose aussi aux entreprises utilisant le Bitcoin et faisant affaire au Canada d’êtres enregistrée auprès du Canafe (Centre d’analyse des opérations financières du Canada), en plus d’interdire aux banques d’ouvrir un compte aux organismes non enregistrés qui utilisent le Bitcoin. Les autorités gouvernementales peuvent ainsi surveiller les flux monétaires des entreprises enregistrées, et ce même si le Bitcoin devient confidentiel. Les entreprises enregistrées n’auront donc pas de nouveaux incitatifs à enfreindre la loi.
Mais quand est-il de ceux qui font le commerce de biens illicites et qui utilisent le Bitcoin, combiné à des techniques d’anonymisation, pour recevoir leurs paiements? Ces entités ne s’enregistrent pas auprès du Canafe en plus de ne pas avoir besoin de détenir un compte bancaire canadien. Donc, avec le « Confidential Transaction », l’analyse du Blockchain ne permettra plus aux autorités de retrouver de l’information qui pourraient les aider à incriminer ces entités malhonnêtes.
Plus de bien que de mal
Avec les institutions financières qui s’intéressent à Blockstream, le risque d’un changement de cap majeur quant à l’utilisation du Bitcoin est bien réel. L’impact sur la croissance économique ne peut qu’être bénéfique, s’il en résulte une diminution des couts de transaction. Avec la conjoncture économique difficile des dernières années, cette opportunité ne doit pas être négligée.
Cependant, Blockstream entrainera aussi le besoin de repenser aux méthodes d’enquêtes sur le Blockchain. Il ne faut toutefois pas tourner le dos à Blockstream pour cette raison. En effet, les criminels sont guidés par leur malhonnêteté intrinsèque et non pas par les moyens qui s’offrent à eux.
En conclusion, le projet innovant de Blockstream de modifier le Blockchain pour y permettre une véritable modernisation de la gestion des données du secteur financier est de moins en moins hypothétique. En effet, le premier Sidechain de Blockstream, « Liquid », qui accélère l’approbation des transactions, est déjà actif depuis l’automne!