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Menaces de mort : l’usage des émojis pris au sérieux

Étudiant dans le cadre du cours DRT-6929O.
24 mars 2016
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Une jeune américaine âgée de 12 ans a été récemment poursuivie pour avoir menacé son école sur son compte Instagram. Elle avait, entre autres, partagé des émojis représentant des pistolets, des bombes et un couteau. Selon la justice locale, ces symboles forment un nouveau langage qui doit être pris au sérieux.

Pour une vaste majorité d’internautes, les émojis font désormais partie intégrante de leurs communications. Ces symboles sont généralement utilisés dans les messages textes pour partager une quelconque émotion. Leur croissance rapide permet aujourd’hui d’illustrer quasiment n’importe quelle situation. Pouvant être interprétés différemment selon les personnes et le contexte, les émojis constituent donc un enjeu important pour la police et de nombreux tribunaux.

Au cours des deux dernières années, la justice américaine a d’ailleurs fait face à plusieurs affaires similaires. En 2015, un jeune New-Yorkais été poursuivi par la police pour terrorisme après avoir posté un message associant la tête d’un policier à celle d’un pistolet. L’affaire d’un habitant de Pennsylvanie accusé de menacer son ex-femme avait été classée sans suite par la Cour suprême car le message se finissait par un émoji tirant la langue. Finalement, la dernière affaire en cours est celle de la jeune adolescente de 12 ans et sa publication sur Instagram – qui contenait aussi les mots « Killing » et « meet me in the library Tuesday ».

Peuvent-ils être considérés comme des preuves?

Selon les tribunaux américains, oui – et ce malgré les difficultés d’interprétation. L’affaire d’un étudiant en droit de l’Université du Michigan avait elle aussi donné lieu à une enquête judiciaire. Ce dernier était poursuivi pour avoir harcelée sur Internet une camarade de classe. L’étudiant en question expliquait que les nombreux messages envoyaient à la jeune fille n’auraient pas dû être pris au sérieux car ces derniers étaient accompagnés du fameux émoji tirant la langue « 😛 ». Même si le Ministère public n’est pas allé jusqu’à porter l’affaire en justice, le juge a statué que les symboles utilisés par l’étudiant n’altérait pas matériellement la signification du message.

Ces affaires ne sont pas seulement prises au sérieux aux États-Unis. Ainsi, de nombreuses enquêtes ont été ouvertes partout dans le monde pour des cas toujours relatifs à l’utilisation et l’interprétation des émojis. Une large enquête a été récemment ouverte en Russie pour des émojis jugés à caractère pédophile, ou encore à Dubaï – où un homme a été condamné après avoir envoyé un message contenant un émoji faisant un doigt d’honneur. En effet, selon l’avocat de ce dernier Abdullah Yousef al-Nasir :

Sending a middle finger emoji on a smartphone or even sending a middle finger picture through email can put you in trouble. It’s an insult in the UAE and the law can punish you with either jail of up to three years or a fine of up to Dhs500,000“.

Même si l’on peut trouver ce dernier cas extrême – du fait des législations strictes des Émirats arabes unis – une histoire équivalente aux menaces de mort proférées par la jeune américaine pourrait tout aussi bien se produire au Canada.

Proférer des menaces au Canada

L’infraction de proférer une menace de mort ou de causer des lésions corporelles est prévue à l’article 264.1 du Code criminel :

“264.1 (1) Commet une infraction quiconque sciemment profère, transmet ou fait recevoir par une personne, de quelque façon, une menace :

  1. de causer la mort ou des lésions corporelles à quelqu’un;

  2. de brûler, détruire ou endommager des biens meubles ou immeubles;

  3. de tuer, empoisonner ou blesser un animal ou un oiseau qui est la propriété de quelqu’un. “

L’expression « lésions corporelles » comprend aussi la blessure psychologique jugée grave ou importante. Il n’est pas nécessaire que la menace de mort soit prononcée directement à la victime pour que l’acte soit accompli. Il n’est pas non plus nécessaire que l’accusé ait réellement eut l’intention de mettre ses menaces à exécution pour être reconnu coupable.

Scott Mills, agent de police de Toronto, suggère que des émojis utilisés de façon similaire dans de récentes affaires américaines pouvaient mener à des accusations de harcèlement criminel – menaces de mort ou causer des lésions corporelle -, mais qu’une simple publication ou message ne suffirait pas à entreprendre une poursuite judiciaire. Selon la jurisprudence canadienne, c’est la signification des mots qui importe. Le juge doit se questionner si une personne jugée « raisonnable » aurait interprété les paroles comme étant une menace de mort. De plus, tel que le stipule encore une fois l’article 264.1 du Code criminel, la façon dont les menaces sont transmises ne change rien : à l’oral, par écrit, par Internet ou même par l’intermédiaire d’une autre personne.

Finalement, selon Gil Zvulony, même si le Canada n’a pas encore connu d’affaires similaires concernant directement l’utilisation des émojis, ce n’est surement qu’une question de temps. Cet avocat basé à Toronto affirme aussi que : “An emoji is a pictorial language. It’s not a very precise one but a language nonetheless”. De plus, les lois et les décisions passées de la Cour suprême du Canada montrent aussi que, selon l’interprétation et le contexte, des accusations criminelles sont tout à fait possibles.

Personne ne sait vraiment ce qu’ils signifient

Les émojis sont aujourd’hui utilisés partout. Que ce soit sur les réseaux sociaux, par SMS ou par courriel, ils permettent la plupart du temps d’atténuer ou même de changer l’émotion que traduit le texte. Leur interprétation varie ainsi énormément en fonction de la personne, du contexte et des personnes visées. Personnellement, il m’arrive souvent de me poser des questions sur la réelle signification d’un message se finissant par des émojis parfois subtiles et difficiles à interpréter. C’est d’ailleurs pour cela que l’expéditeur a intérêt à s’assurer de la façon dont certains messages peuvent être reçus ou perçus. En effet, selon le contexte et le rapport entre l’expéditeur et le destinataire, le même émoji peut être considéré super mignon, déplaisant ou franchement menaçant.

En outre, la possibilité d’exprimer désormais plusieurs émotions sur Facebook par des émojis soulève la nécessité de définir un cadre légal plus précis. L’élaboration d’une grammaire commune permettant d’expliciter les émotions qui se cachent derrière les émojis pourrait aider les tribunaux partout dans le monde. Ces derniers devront néanmoins toujours tenir compte du contexte et du caractère nouveau de ces affaires – notamment pour les émojis « clin d’œil » et « tirage de langue » qui sont généralement les émojis les plus difficiles à interpréter.

 

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