Une récente étude de l’Université de Washington a montré que les enfants se sentaient de plus en plus concernés par les photos d’eux publiées par leurs parents. En effet, selon eux, ils ont beau passer du temps sur les réseaux sociaux, cela ne signifie pas que leurs parents ont le droit de « poster » des photos d’eux. Que ce soit sur Facebook ou Instagram, cette question représente déjà un enjeu juridique sérieux dans certains pays. En Europe par exemple, les autorités de certains pays préviennent les parents que leurs enfants, une fois adulte, pourraient les poursuivre pour atteinte à la vie privée ou à leur sécurité…
Publier des photos de ses enfants sur Facebook part généralement d’un bon sentiment. Néanmoins, on oublie parfois les risques liés à la diffusion de ces dernières. D’un côté, il n’est jamais trop prudent de rappeler les potentiels prédateurs qui pourraient menacer l’enfant. D’autre part, ce dernier n’a pas forcément envie de retrouver des photos de lui plus tard sur Internet, sous oublier que la longévité de l’information numérique fait que ces photos ne disparaîtront jamais totalement. En France, c’est ainsi que cette question a récemment refait surface. En effet, la gendarmerie française – suite à une chaîne de publication du Motherhood Challenge devenue virale sur Internet : « Si tu es fière de tes enfants poste 3 photos et nomine 10 de tes amies pour faire pareil » – a jugé bon d’avertir rapidement les parents via un message d’avertissement sur sa page Facebook qui disait entre autres « S’il vous plaît, arrêtez de poster des photos de vos enfants visibles par tous sur Facebook ». Des pays européens avaient déjà prévenu les utilisateurs, et d’autres – tels que la Belgique – ont rapidement suivi le pas en diffusant eux-aussi des messages d’avertissement relatifs à la publication de photos d’enfants.
Les enfants peuvent-ils poursuivre leurs parents en justice?
En France, les lois strictes relatives à la vie privée interdisent de publier des photos d’autres personnes sans leur consentement. Associées à de nombreux avocats, les autorités ont mis en garde que les enfants une fois majeurs, pouvaient ainsi poursuivre les parents en justice non seulement pour atteinte à leur vie privée, mais aussi pour mise en danger de leur sécurité via la publication de photos sur les réseaux sociaux. Outre les risques que les photos puissent tomber entre les mains de pédophiles, l’atteinte à leur image – comme des moqueries à l’école par exemple – est un motif jugé suffisant et légitime pour entreprendre une poursuite judiciaire. Le non-respect d’un consentement peut ainsi mener à des amendes de plus de 50 000 dollars, et même à l’emprisonnement. En effet, les législations locales stipulent que les parents sont responsables de protéger l’image de leur enfant – en vertu des lois sur la vie privée et le droit à l’image.
Et au Canada?
Au Québec, et comme ailleurs au Canada, chaque personne bénéficie d’un droit à l’image. Plus généralement le droit à la vie privée, dont le droit à l’image st une composante, est protégé par les articles 3, 35 et 36 du Code civil du Québec. L’article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne stipule que « toute personne a droit au respect de sa vie privée ». La question du droit à l’image a longtemps été étudiée, et la jurisprudence canadienne estime qu’il y a violation du droit à l’image « dès que l’image est publiée sans le consentement et qu’elle permet l’identification de la personne ». Ainsi, il est obligatoire d’obtenir l’accord des personnes reconnaissables avant diffusion d’une photo ou vidéo – que ce soit sur un site Web ou sur les réseaux sociaux. En ce qui concerne les images de mineurs, l’autorisation écrite des deux parents (ou du titulaire de l’autorité parentale) est exigée.
Ainsi, la Charte des droits et libertés de la personne protège les droits et libertés de tout individu se trouvant sur le territoire québécois, quel que soit son âge. Il est donc tout à fait envisageable qu’un enfant puisse poursuivre les personnes ayant publié une photo de lui sans son consentement quand il était plus jeune, s’il juge que celle-ci lui porte un certain préjudice – et donc constituer une atteinte à sa vie privée et à son image.
Ce qui est compliqué, c’est que tant que l’enfant n’est pas en mesure de comprendre ses droits et apte à exercer ses derniers, ce sont les parents qui gèrent son droit à l’image à sa place. Ainsi, même si la décision de poursuivre ses parents peut paraitre naturellement à contre-courant, les arguments énoncés plus haut, ainsi que les préjudices et les dangers auxquels peuvent être exposés certains enfants peuvent tout de même trouver certains échos.
On n’est jamais trop prudent
Les premières photos d’enfants diffusées sur Facebook datent naturellement de l’année de sa création, en 2004 – et de 2010 pour Instagram. Les enfants commencent donc tout juste à découvrir les photos publiées d’eux se trouvant encore sur la toile. Selon Stacey Steinberg, co-auteure de l’étude :
« Les parents s’introduisent souvent dans l’identité digitale d’un enfant, pas parce qu’ils sont malicieux mais parce qu’ils n’ont pas mesuré la portée et la longévité de l’information numérique qu’ils postent ».
En effet, encore trop peu de parents se posent les questions : « qu’adviendra-t-il de ces photos lorsque l’enfant sera plus grand? Et que pensera-t-il du fait que leurs photos aient été disséminées sur le Web? ». Selon Jay Parik, vice-président de l’ingénierie Facebook, afin de répondre à cette question, la compagnie réfléchirait à un nouvel outil permettant de notifier les parents lorsqu’ils publient une photo de leur enfant :
« If I was putting online a photo of my kids playing in the park, and I accidentally shared it with everyone, the system could say: « Hey, wait a minute, this is a picture of your children. Usually you only send them to members of your family. Are you sure you want to do this? ».
De plus, un certain nombre de mesures peuvent être prises pour prévenir tout préjudice, en réglant par exemple les paramètres de confidentialité pour limiter les personnes autorisées à voir nos photos, ou d’éviter d’identifier la personne afin d’éviter le « profilage Facebook ». Finalement, les personnes utilisent les réseaux sociaux comme ils l’entendent. Il est difficile de limiter les agissements de chacun, et de renvoyer sans cesse au niveau juridique les problèmes soulevés par les réseaux sociaux. Néanmoins, les enfants ne vont certainement pas attaquer leurs parents directement, mais certains auront surement des surprises quand ils grandiront.