Le Journal de Mourréal ou Le Journal de Montréal, faites-vous la différence? Les propriétaires de ce dernier sont d’opinion que vous serez incapables de le faire. Dans une série de démarches judiciaires visant à faire cesser les activités du site Le journal de Mourréal, MédiaQMI a déposé une demande d’injonction permanente le 7 juillet 2016 à la Cour supérieure du Québec. Mais seulement deux semaines avant cette procédure, soit le 23 juin 2016, l’agence de presse de Québecor Média a également déposé une plainte auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (ci-après «Centre d’arbitrage») afin d’ordonner le transfert le nom du domaine ˂journaldemourreal.com˃. Cette institution des Nations unies localisée à Genève a pour mandat de régler des litiges relatifs aux noms de domaine sans recourir aux tribunaux. Les décisions émanant du Centre d’arbitrage reposent sur des Principes directeurs établis par l’ICANN qui considéra que plutôt que de tenter de longs procès pour gérer le cybersquatting, il fallait mieux tenter de régler le problème à la source par le biais de l’arbitrage.
La sentence arbitrale rendue le 5 septembre dernier a donné raison à Janick Murray-Hall, l’auteur du Journal de Mourréal, qui pourra continuer à exploiter son site. Est-ce une victoire qui assurera la suite des choses? Permettez-moi d’en douter.
“ Les Principes directeurs sont destinés à résoudre des litiges flagrants de cybersquatting. Or ce dossier soulève des problématiques plus complexes relevant de l’interprétation de la parodie ou de la satire qui dépassent la simple application du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs.
L’arbitre unique, J. Nelson Landry, a rendu sa décision en se basant sur les trois éléments cumulatifs de l’article 4(a) des Principes directeurs. En effet, le requérant doit prouver que le nom de domaine prête à confusion, qu’il n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache et que le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.
Dans l’analyse du premier critère, l’arbitre rappelle que l’appréciation de la confusion se fait en considérant uniquement le nom de domaine litigieux et qu’il ne faut pas s’attarder à son contenu. Donc, la modification des deux lettres «nt» de Montréal pour «ur» de Mourréal est assez subtile pour prêter à confusion. L’arbitre appuie sa décision en se rapportant à l’affaire A & F Trademark, Inc. and Abercrombie & Fitch Stores, Inc. c. Justin Jorgensen, dans laquelle la différence entre les trois dernières lettres des noms de domaine ˂abercombrieandfitch.com˃ et ˂abercombrieandfilth.com˃ avait donné lieu à la même conclusion.
Quant au deuxième critère des droits et des intérêts légitimes, l’arbitre juge que le site du Journal de Mourréal est une parodie, un moyen de défense permis en vertu de l’article 4(c)(iii) des Principes directeurs. Cependant, en raison des nombreuses publicités présentes sur le site web et des négociations entre le requérant et le défendeur portant sur la vente du nom de domaine, l’arbitre considère que l’usage du site satirique est de nature commerciale. Ainsi, il conclut que la défense de parodie ne peut être soulevée et que le deuxième critère est rempli.
MédiaQMI a perdu cette bataille sur la base du dernier critère soit la mauvaise foi. Lors de l’analyse du dernier critère, l’arbitre s’est abstenu de se prononcer dû à la complexité du dossier et au recours devant la Cour supérieure du Québec. Malgré son silence, il précise tout de même que l’impossibilité de retracer l’identité du publieur du Journal de Mourréal n’est pas justifiée. De plus, il se questionne sur l’intention du défendeur à vouloir chercher une certaine confusion entre les logos très similaires qui entraîne les notions en matière de marques de commerce dont il n’a pas cru opportun d’émettre une ordonnance de procédure. Finalement, l’absence d’avertissement de la non-association entre les deux journaux semble aussi être un élément de mauvaise foi à examiner.
En somme, la victoire du Journal de Mourréal repose sur le silence de l’arbitre à l’égard du dernier élément de l’article 4(a) des Principes directeurs. Devant la Cour supérieure du Québec, le juge aurait eu à trancher entre le droit à la parodie protégé par la liberté d’expression prévue par la Charte canadienne des droits et libertés et le respect de la Loi sur les marques de commerce (ci-après « L.M.C. »). En vertu de l’article 2 L.M.C., une marque de commerce est une marque qui va permettre à un commerçant de distinguer ses produits ou ses services de ceux de ses concurrents dans ses rapports avec sa clientèle et accorde le droit au titulaire d’empêcher les tiers de semer la confusion avec sa marque. Il existe aussi une exception qui se retrouve au paragraphe 20b) L.M.C. qui permet l’emploi de bonne foi de la marque pour une utilisation autre qu’à titre de marque de commerce. En regard de la sentence arbitrale, le défi aurait été de taille pour Le Journal de Mourréal à faire valoir ses droits afin de continuer ses activités. Le conditionnel est employé, car face à l’impécuniosité, M. Murray-Hall a décidé de mettre fin à l’exploitation de son site à la mi-juillet dernier.