Ils sont quatre. Cinq, si on compte l’étudiant qui les aide à la recherche. C’est là toute l’équipe du PIAC, l’un des quelques organismes canadiens ayant pour mission de défendre l’intérêt des consommateurs.
On peut assez aisément supposer que fort peu de Canadiens connaissent l’existence du PIAC. Pourtant, cet organisme est parfois la seule voix qui les représente lorsque les gouvernements se proposent d’adopter des lois ou des règlements qui auront des conséquences bien concrètes pour les consommateurs.
Il faut comprendre que les politiques publiques ne s’écrivent pas seulement dans les parlements du pays. Une grande partie de l’activité normative et du travail préalable à l’adoption de lois ou de règlements est d’abord l’œuvre de fonctionnaires rattachés à des ministères ou à des agences gouvernementales. L’élaboration de ces normes est généralement ponctuée de consultations publiques, sous diverses formules, dans lesquelles des organismes comme le PIAC ont l’occasion de donner leurs observations aux côtés d’autres intervenants.
Rédiger des mémoires, intervenir devant le CRTC, convaincre des élus ou des fonctionnaires, réviser des projets de loi ou de règlement, tout cela demande une expertise pointue et une analyse rigoureuse. Pour les organismes représentant les consommateurs, c’est le plus souvent un travail invisible, bénévole et chronophage – et qui doit être bouclé dans des délais serrés.
Et, depuis quelques années, la révolution numérique alourdit substantiellement la tâche.
On ne compte plus les appels à adapter tel ou tel aspect du droit face aux nouvelles technologies. Il faut revoir la responsabilité légale des plateformes en ligne, réglementer l’économie du partage, encadrer l’intelligence artificielle, renforcer les lois sur la protection de la vie privée, moderniser la politique culturelle canadienne, imposer des obligations de transparence des algorithmes et, chemin faisant, retoucher l’encadrement du secteur financier, du droit d’auteur et des télécommunications. Et bien d’autres encore.
Comme l’évoque le professeur Geist, la multiplication des consultations publiques sur ces questions accentue le déséquilibre des forces entre les consommateurs et les entreprises. D’un côté, les entreprises technologiques ont largement les moyens d’intervenir sur tous les dossiers pour faire valoir leurs intérêts. D’un autre côté, les organismes de défense des consommateurs, à bout de ressources, peinent à couvrir les enjeux d’importance. Cela fait en sorte que les quelques interventions de la société civile sont noyées dans celles, beaucoup plus nombreuses, du secteur privé.
Un exemple, parmi tant d’autres: en 2016, le Commissariat à la protection de la vie privée a tenu une consultation sur le principe du consentement, un aspect central des lois sur la protection des renseignements personnels. Sur 51 mémoires reçus par le commissariat, seuls 3 provenaient d’organismes de la société civile indépendants.
Certes, il est légitime que les entreprises aient l’occasion d’exposer leur point de vue aux décideurs. Mais alors que les géants Google, Amazon, Microsoft et Facebook accroissent leurs activités de lobbyisme, on peut tout aussi légitimement s’inquiéter qu’ils en arrivent à exercer une influence indue sur l’élaboration de politiques publiques. À cet égard, les constats de la professeure Cohen quant aux grandes plateformes en ligne n’ont rien pour rassurer:
« In their encounters with judicial and regulatory institutions in the U.S. and around the world, platform firms and their advocates have labored to minimize their accountability and maximize their scope for self-determination and self-governance. Their interventions have both accelerated and altered the trajectories of institutional evolution. »
Manifestement, les quatre ou cinq employés du PIAC, même en se ralliant leurs confrères esseulés œuvrant çà et là dans d’autres organismes, ne pourront suffire à endiguer l’influence des géants technologiques dans le processus normatif canadien. Ruinés et méconnus, les organismes de la société civile canadiens ne reçoivent tout simplement pas assez de soutien des gouvernements et du public pour ce faire.
Ultimement, une part des difficultés vécues par ces organismes tient peut-être dans le regard que nous portons sur le militantisme de la société civile. Peut-être avons-nous étiqueté trop facilement l’ensemble des groupes de défense des droits comme des agités qui tapent sur des casseroles, qui brandissent des pancartes et qui causent de l’esclandre – en perdant de vue la pertinence d’opposer un contre-pouvoir aux acteurs qui dominent le jeu économique. Peut-être avons-nous oublié que supporter ces groupes est un investissement rentable pour la démocratie canadienne, en ce qu’il permet de donner une voix à la majorité non représentée.
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