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R. c. Reeves : L’expectative de vie privée relativement à un ordinateur partagé

15 décembre 2018
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Le 13 décembre 2018, la Cour suprême du Canada accueillait l’appel déposé contre une décision rendue par la Cour d’appel de l’Ontario en matière criminelle. La décision a été rendue par la juge Karakatsanis qui s’exprime au nom de la majorité. Seuls les juges Moldaver et Côté font valoir des motifs distincts.

Au moment des faits en litige, une ordonnance de non-communication pour cause de violence familiale avait été rendue à l’encontre de M. Reeve. Celui-ci n’était donc autorisé à accéder à la résidence que sur autorisation écrite et révocable de sa conjointe.

Lorsque la conjointe contacta l’agent de probation de M. Reeve pour révoquer son consentement à ce que ce dernier accède à la résidence, elle déclara avoir vraisemblablement aperçu de la pornographie juvénile sur l’ordinateur qu’elle-même et Monsieur Reeve partageaient.

Par la suite, un policier se présenta à la résidence sans mandat. La conjointe a d’abord permis au policier d’entrer dans la maison. Puis, elle consentit par écrit à ce que le policier emporte l’ordinateur avec lui.

Les autorités policières ont conservé l’ordinateur pendant près de quatre mois avant d’en fouiller le contenu. Dans l’intervalle, et après avoir tardé à s’exécuter, les policiers ont finalement obtenu un mandat (irrégulier) autorisant la fouille de l’ordinateur (art. 489.1 du Code criminel). C’est alors qu’ils identifièrent des images et des vidéos de pornographie juvénile. Des accusations de possession et d’accès à de la pornographie juvéniles furent déposées contre M. Reeve.

En défense, M. Reeve prétend que les éléments de preuve relatifs à l’ordinateur doivent être écartés. Selon lui, la garantie prévue à l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés n’a pas été respectée, soit son droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

Dans ce contexte, la Cour répond à la question suivante :

  • La saisie de l’ordinateur situé dans la résidence par les autorités policières était-elle abusive ?

À cette question, la Cour répond positivement. En effet, toute saisie faite sans mandat par les autorités policières est présumée abusive (article 8 de la Charte). Toutefois, elle ne sera pas considérée abusive si l’une ou l’autre de ces deux conditions est respectée, soit :

  • La personne visée n’a pas d’attente raisonnable quant au respect de sa vie privée à l’égard de l’objet saisi; ou

 

  • La personne a renoncé à ses droits constitutionnels.

Pour déterminer si la personne peut raisonnablement s’attendre au respect de sa vie privée à l’égard de l’objet qui a été saisi, le Tribunal doit étudier et répondre aux quatre critères suivants:

  1. Quel était l’objet de la fouille?
  2. La personne avait-elle un droit direct à l’égard de l’objet ?
  • La personne avait-elle une attente subjective en matière de respect de sa vie privée à l’égard de l’objet?
  1. Si oui, cette attente subjective en matière de respect de la vie privée était-elle objectivement raisonnable?

Dans le présent cas, la Cour conclut que l’individu avait une attente raisonnable de vie privée eu égard à l’ordinateur.

D’abord, l’objet de la saisie était constitué de l’ordinateur, mais aussi des données qui y étaient contenues. À cet égard, la Cour déclare ce qui suit :

« En saisissant un ordinateur, non seulement la police prive-t-elle les particuliers du contrôle qu’ils ont sur les données personnelles à l’égard desquelles ils ont une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée, mais elle fait en sorte que les données en question sont conservées et, par conséquent, susceptibles d’être éventuellement scrutées par l’État. »

Ensuite, la Cour conclut que même si M. Reeve n’était pas l’utilisateur ni le propriétaire unique de l’ordinateur, cela ne doit pas pour autant être déterminant.

« De même, le droit de propriété est pertinent, sans être déterminant, pour évaluer si une attente subjective en matière de respect de la vie privée est objectivement raisonnable. La propriété conjointe de l’ordinateur ne rend pas objectivement déraisonnable l’attente subjective de l’accusé quant au respect de sa vie privée. »

Par ailleurs, le fait que l’ordinateur ait été partagé n’équivaut pas à une absence de contrôle de la part de ses utilisateurs. La Cour mentionne à cet égard que :

« [U]n contrôle partagé ne signifie pas une absence de contrôle. La personne qui choisit de partager un ordinateur avec autrui ne renonce pas à son droit d’être protégée contre les saisies abusives de son ordinateur par l’État.»

Enfin, la Cour conclut que M. Reeve avait une attente subjective en matière de protection de sa vie privée qui était objectivement raisonnable.

« Compte tenu de la nature éminemment intime des renseignements susceptibles de se trouver dans un ordinateur personnel, l’attente subjective de l’accusé quant au respect de sa vie privée en l’espèce était objectivement raisonnable. »

La Cour termine son analyse en déterminant que le consentement donné par la conjointe au policier était insuffisant dans les circonstances. Par conséquent, en l’absence de mandat ou d’un consentement valide de la part de M. Reeve eu égard à la prise de possession de l’ordinateur, la Cour conclut que la saisie était abusive.

En définitive, lorsqu’une personne partage un objet renfermant des données, cela ne signifie pas qu’elle perd toute attente raisonnable de protection de sa vie privée eu égard à cet objet. Cela ne signifie pas non plus qu’elle renonce à ses droits constitutionnels et ce, même si l’autre utilisateur, lui, y renonce.

 

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