Le 5 novembre 2020, le Laboratoire de Cyberjustice accueillait la Pre Amy J. Schmitz de la faculté de droit de l’Université du Missouri dans le cadre d’une conférence portant sur l’arbitrage virtuel aux États‑Unis intitulée : « Arbitration in the Age of Covid: Examining Arbitration’s Move Online ». Au cours de sa présentation, la Pre Schmitz a notamment abordé (1) l’encadrement juridique de l’arbitrage aux États‑Unis, (2) les récents développements américains sur l’arbitrage virtuel ainsi que (3) les enjeux juridiques soulevés par le passage de l’arbitrage au numérique.
Encadrement juridique de l’arbitrage aux États-Unis
Suivant le propos de Mme Schmitz, l’arbitrage est un mode de résolution des différends faisant l’objet d’un traitement généralement strict en droit américain. Effectivement, comme le reconnaît la jurisprudence américaine, il faut interpréter de manière restrictive les clauses compromissoires plutôt que de manière large et libérale. Par exemple, dans la décision Stolt-Nielsen SA v. Animalfeeds Int’l Corp., la Cour suprême des États-Unis enseigne que des arbitres avaient outrepassé leurs pouvoirs en ordonnant l’arbitrage d’une action collective alors que la convention d’arbitrage conclue entre une société de transport et ses clients ne prévoyait pas expressément cette possibilité. Malgré cette interprétation limitative, cette même Cour reconnaît dans la décision Rent-A-Center que les arbitres visés par une clause valide de délégation de pouvoirs contenue dans une convention d’arbitrage ont la capacité de statuer eux-mêmes sur leur propre compétence (le principe de compétence-compétence).
Aux États-Unis, le caractère exécutoire et la validité des conventions d’arbitrage sont encadrés par le Federal Arbitration Act[1] (ci-après le « FAA ») de 1925. Selon la Pre Schmitz, l’application de cette vieille loi fédérale à l’arbitrage numérique moderne soulève certaines difficultés puisqu’elle ne prévoit évidemment pas de dispositions autorisant un règlement en ligne du différend. Dans l’affaire New Prime Inc., afin de pallier l’obsolescence de cette loi, la Cour suprême a adopté une interprétation contextuelle et alignée sur le point de vue du législateur de l’époque afin d’élargir certaines prohibitions de l’arbitrage.
Toutefois, dans Managed Care Advisory Group, cette interprétation contextuelle du FAA a malencontreusement été employée par la Cour d’appel du onzième circuit afin de limiter les pouvoirs des arbitres dans le cadre d’un arbitrage en ligne. Dans cet arrêt, il était notamment question de déterminer si les arbitres ont le pouvoir de convoquer des tierces parties afin qu’elles comparaissent virtuellement devant eux. La compétence des arbitres en matière de citation à comparaître est expressément prévue à l’art. 7 du FAA allant comme suit :
The arbitrators selected either as prescribed in this title or otherwise, or a majority of them, may summon in writing any person to attend before them or any of them as a witness and in a proper case to bring with him or them any book, record, document, or paper which may be deemed material as evidence in the case. (nos soulignements)
Suivant le raisonnement de la Cour, cet article ne permettrait pas aux arbitres mandatés dans le cadre d’un arbitrage en ligne de citer à comparaître des tierces parties, puisque ce pouvoir se limiterait à leur simple comparution physique : « Looking to dictionaries from the time of Section 7’s enactment makes clear that a court order compelling the “attendance” of a witness “before” the arbitrator meant compelling the witness to be in the physical presence of the arbitrator[2]. » Selon nous, cette interprétation de « attend before them » est une preuve additionnelle du caractère désuet du FAA en matière d’arbitrage en ligne qui justifierait son actualisation. Nonobstant le dénouement de cette affaire, la Pre Schmitz expliquait qu’en l’absence d’une décision de la Cour suprême des États-Unis sur le sujet, la question demeure toujours en suspens.
Développements récents de l’arbitrage virtuel en temps de Covid-19
Depuis les derniers mois, les mécanismes virtuels de prévention et règlement des différends connaissent une popularité fulgurante à travers le monde. Cette importante ascension a exhorté les fournisseurs de service de règlement des différends à adapter rapidement leur pratique au contexte numérique. Par exemple, de nombreux commerçants comme eBay proposent maintenant l’accès à des plateformes communicationnelles favorisant les saines discussions entre les parties et offrant même la possibilité de recourir aux services d’un médiateur accrédité. Quant à elles, les institutions traditionnelles d’arbitrage comme la American Arbitration Association, JAMS (anciennement Judicial Arbitration and Mediation Services, Inc.) et l’International Institute for Conflict Prevention & Resolution ont habilement facilité le passage de l’arbitrage au numérique en l’autorisant dans leurs différents protocoles, règles et procédures. Dans son propos, la Pre Schmitz a évoqué que l’arbitrage en ligne ne serait pas seulement considéré à titre de compromis temporaire accommodant. En effet, de nombreux arbitres appuient cette nouvelle façon de régler les différends qui réduit les frais de litige et de transport des décideurs, accélère le processus décisionnel et permet aux parties de plaider dans le confort de leur foyer.
Enjeux importants soulevés par le passage de l’arbitrage au numérique
Bien que l’arbitrage en ligne présente certains avantages, cette procédure entraîne également son lot d’inconvénients. Suivant la Pre Schmitz, certains aspects des audiences physiques se perdent dans les audiences virtuelles. Par exemple, à défaut d’être en présence des témoins, les arbitres pourraient éprouver des difficultés à évaluer correctement leur crédibilité ou à comprendre leur communication non verbale. De plus, les audiences tenues par vidéoconférence soulèvent certaines préoccupations quant aux garanties offertes par les plateformes virtuelles eu égard à la confidentialité du processus et à la protection de la vie privée de ses participants.
Ensuite, la Pre Schmitz faisait état de certaines incertitudes juridiques quant à la portée des conventions d’arbitrage conclues. En effet, lorsque des parties à un contrat se sont expressément entendues pour recourir à l’ « arbitrage », ont-elles ainsi consenti à l’arbitrage « en ligne »? Est-ce qu’un consentement spécifique ou additionnel est requis pour procéder virtuellement au règlement du différend? Ces questions ont été abordées dans l’affaire Legaspy v. FINRA où une Cour de district a tranché qu’un arbitre avait la compétence d’imposer l’arbitrage virtuel aux parties pour des raisons de sécurité sanitaire liées à la Covid‑19, et ce, malgré la vive opposition de l’une d’entre elles. Toutefois, en présence de contraintes véritables, la Pre Schmitz a rappelé que certaines défenses contractuelles telles que l’iniquité (unconscionability) sont toujours applicables et que l’imposition d’un arbitrage en ligne ne tenant pas compte du déséquilibre des ressources entre les parties et de leurs difficultés réelles ne devrait pas être autorisée. Ainsi, la question de savoir si un arbitre pourrait imposer l’arbitrage virtuel à une partie s’objectant et pour qui cette procédure serait grandement préjudiciable demeure toujours irrésolue. En l’attente d’une décision concluante de la Cour suprême américaine, la Pre Schmitz suggère d’adopter un examen de mise en balance de certains facteurs afin d’évaluer l’opportunité d’imposer un tel arbitrage aux parties. Ce test pourrait s’inspirer de celui élaboré en droit canadien et singapourien afin de considérer (i) les raisons justifiant l’audience virtuelle; (ii) le contexte de l’audience planifiée; (iii) le cadre technologique de l’audience virtuelle; (iv) les délais et les coûts engendrés par cette procédure; et (v) toute difficulté potentiellement ressentie par les parties.
Enfin, la conférencière a soulevé une question intéressante à savoir si l’arbitrage en ligne des actions collectives devrait être une procédure permise. L’arbitrage d’actions collectives est un mécanisme de règlement des différends populaire aux États-Unis, notamment en droit du travail et en droit de la consommation, qui favoriserait un meilleur accès à la justice aux personnes potentiellement vulnérables. Si de tels arbitrages en ligne devaient effectivement être autorisés par les tribunaux, la Pre Schmitz était d’avis qu’il serait primordial de permettre aux parties de participer à ce processus par le simple usage d’un téléphone portable. Cette mesure améliorerait l’accès la justice, mais nécessiterait toutefois le développement de plateformes mobiles mieux adaptées, efficientes et sécuritaires.
Somme toute, la popularité grandissante de l’arbitrage en ligne favorisée par les circonstances exceptionnelles entourant la crise sanitaire offre une opportunité unique de repenser les modes de prévention et de résolution des différends dont fait notamment partie l’arbitrage. Selon la Pre Schmitz, le contexte actuel devrait sensibiliser les arbitres à faire preuve de flexibilité et d’équité dans le cadre des audiences virtuelles et inviter les institutions arbitrales à modifier leurs protocoles d’audiences en ligne afin d’autoriser la présence d’un proche aidant visant à supporter les parties éprouvant des difficultés d’ordre technologique. Nous appuyons ces propositions, puisqu’à l’instar de la conférencière, nous sommes d’avis que l’arbitrage en ligne, pandémie mondiale ou non, est là pour rester.
[1] Federal Arbitration Act, Pub L No 68-401, 43 Stat 883 (1925), codifié dans 9 USC § 1 et suivants.
[2] Managed Care Advisory Group, LLC v. Cigna Healthcare, Inc., No. 17-13761 (11th Cir. 2019), p. 26.
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