Il y a 2 ans, France Inter, le média radiophonique français, nous présentait dans son émission « dans le prétoire », son avis négatif sur les balbutiements de la visioconférence dans les procès. Aujourd’hui, la Covid19 nous oblige à rapidement nous adapter pour lutter contre le virus tout en continuant à faire fonctionner les institutions juridiques et sociales. Ainsi, la nécessité oblige nombreuses instructions à se dérouler par visioconférence .
La vidéoconférence ou, indistinctement, visioconférence est un moyen technologique permettant à des « participants de s’entendre et grâce à des caméras et à des écrans, de se voir. » Par le biais de logiciels et d’un matériel informatique connecté. Les outils qui le permettent sont nombreux, nous pouvons citer le populaire Zoom, l’indémodable Microsoft Teams ou l’ancestral Skype. Il existe bien évidemment d’autre software ou site internet permettant la communication visuelle. Populaire par sa nécessité, le moyen est utilisé aussi bien à des fins scolaires, professionnelles ou institutionnelles, dans les procès par exemple.
Les différentes institutions judiciaires des différents pays ont une utilisation similaire de l’outil éponyme. Il y a une gradation des utilisations et donc des difficultés qu’elles soulèvent. Dans un premier temps, la vidéoconférence peut être utile pour entendre différents experts sans qu’ils n’aient à se déplacer . Il nous semble qu’ici l’utilisation ne pose que peux de problème juridique et éthique. Ensuite, on peut entendre les témoins par ce biais-là, comme lors du procès des attentats de Charlie Hebdo en France qui ont lieu en ce moment même . Ici, l’usage apparait inconsciemment comme porteur de problème. Enfin, c’est l’accusé qui peut être entendu par ces canaux, posant de nombreuses questions eu égard aux règles fondamentales du procès.
La Technologie, ou plus précisément son utilisation présentent bien évidemment des avantages et des inconvénients qu’il nous faut disséquer avant d’analyser son utilisation lors des instructions alors même que le contexte rend son utilisation nécessaire.
1 – Les Avantages Versus les Inconvénients
La visioconférence présente des avantages non négligeables qui expliquent son usage de plus en plus fréquent. Ces avantages sont de l’ordre pratique.
En effet, pallier la distance est le plus évident. « La visioconférence crée un rapport de proximité virtuel permettant de compenser l’éloignement géographique » . La période de pandémie justifie ainsi son recours afin de limiter les risques de contamination tout en continuant à juger. Évidemment, cet avantage n’est pas sans lien avec celui du coût, comme le note le demandeur dans l’ arrêt Slaughter V Sluys. À juste titre, la distance permet d’économiser des deniers à l’institution, qui n’a pas à payer pour les trajets, l’escorte, etc., mais aussi aux accusées ou plaignants qui n’ont pas eux même à se déplacer. En outre, il y a un gain de temps qui signifie un désengorgement des juridictions. La pandémie permet de tester une technologie afin de la généraliser.
Pour synthétiser, les avantages multiples sont de l’ordre de l’efficience. Ils permettent un gain de temps et d’argent. C’est une efficacité économique, mais qui présente des désavantages sociaux et humains.
Il a évidemment un certain nombre de désavantages à observer pour juger de l’utilisation d’une technologie.
Les plus évidents sont les questions matérielles : comment juger de la fiabilité du matériel, assurer la sécurité des transmissions pendant et après l’instruction, la qualité du réseau pour avoir une communication convenable et assurer l’égalité des armes face à la « fracture numérique ». Il y a quelques jours, Le Monde parlait du numérique comme du « talon d’Achille» de la justice française puisque c’est « grâce » au virus qu’enfin les juridictions reçoivent du matériel informatiques.
Une expression populaire nous apprend qu’il ne faudrait pas « juger un bouquin à sa couverture » et pourtant, bien nombreux sont ce qui le font. Il en est de même lors des interactions, nous jugeons un individu, par ces paroles et actes certes, mais aussi par son apparence et sa manière d’être. C’est un fait que les rhéteurs ont bien compris depuis Aristote. Il existe des dérives à la compréhension du non verbal et les pseudos sciences ont pullulé comme la synergologie par exemple. Pour autant, des croyances continuent d’irriguer notre inconscient et, par conséquent, celui du Juge. Cependant, c’est aussi la communication non verbale qui amplifie l’empathie comme le montre cet article. En l’espèce, on observe dans le dans le droit de l’immigration plus de refus lors de téléconférence que lors d’instruction en présence.
Ainsi, le désavantage majeur est cette question de transmission de tous les ressentis comme lors d’une rencontre physique, puisque, au-delà des lois et des précédents, se sont toutes ses informations qui permettent aux juges de se faire une idée précise des personnes (témoins et accusés) notamment dans le domaine pénal. Les rencontres virtuelles ne rendent pas compte de tous ces éléments. De façon analogue, la visioconférence va de pair avec une « perte du rite judiciaire ».
L’épidémie rend légitime l’application de ces moyens et, certainement que les avantages économiques assureront sa pérennité après la crise. Nous observons que les désavantages ne sont pas forcément liés à la technologie en elle-même, mais à des facteurs externes, à son utilisation. Pour autant un encadrement sérieux et efficace tante d’être mis en place pour limiter les dérives.
2 – Les régimes juridiques encadrant la visioconférence.
La visioconférence a été admise assez tôt dans la plupart des régimes juridiques, mais c’est aujourd’hui eu égard aux circonstances que le régime se développe.
Au Québec, c’est le Règlement de la Cour supérieure du Québec en matière civile, RLRQ c C-25.01, r 0.2.1 qui en édicte quelques maigres règles dans son article 46 concernant la visioconférence pour interroger des témoins lors d’instances si les moyens sont fiables et appropriés. Le Code criminel canadien s’est vu amputé de son article 848 qui autorisait la vidéoconférence pour les accusés. Cependant la jurisprudence est globalement favorable à une utilisation de l’outil. En France, la loi du 15 novembre 2001, consacré dans l’article 706 du code procédure pénale donne l’option au juge de choisir un moyen audiovisuel pour l’instance si « les nécessités de l’enquête ou de l’instruction le justifient ». Pour autant, c’est avec le confinement que les premières mises en tension du régime se font. Dans une décision du Conseil Constitutionnel français, Cons. const., 2 mars 2019, n° 2019-778 DC, celui-ci a censuré une mesure qui donnait la possibilité au juge même sans l’accord de l’accusé de procéder à une Visioconférence, décision confirmée en, pleine crise sanitaire, en février dernier. En période de pandémie, un rapport de proportionnalité doit être fait entre l’urgence sanitaire et l’état de droit, ainsi, la France s’est récemment doté, avec la loi de mars dernier, d’un arsenal légal qui aménage la justice au détriment peut être de l’état de droit. Nous observerons qu’au Québec, en ces temps compliqués, le télé procès devient la norme plutôt que l’exception et que ne pas procéder ainsi devient source de tension comme lorsqu’en octobre dernier un juge a refusé la visioconférence avant de se raviser.
Ainsi, les deux pays ont une approche prudente de la vidéoconférence en posant des « gardes fous » et n’en faisant pas la règle, mais plutôt l’exception. La plupart des pays restreignent cette possibilité en matière pénale notamment lorsqu’il s’agit d’entendre le comme prévenu par ce moyen . Nous regretterons cependant qu’aucun protocole technique concernant l’utilisation de la vidéoconférence ne voit le jour pour permettre d’unifier et d’assurer un standard de qualité lors des instances en pleine crise sanitaire.
En somme, ces États semblent conscients des problèmes suscités eu égard aux principes fondamentaux du procès.
3 – Enjeux juridiques eu égards aux principes fondamentaux du procès
L’outil, bien qu’encadré par des lois, n’est pas sans inquiéter les principes fondamentaux liés au procès notamment lorsque ce sont les parties qui sont entendus de cette façon.
La Cour européenne des droits de l’Homme a, à plusieurs reprises, analysé la visioconférence en vertu des principes de l’ article 6 de sa convention relative au procès équitable. Par deux fois : Marcelo Viola c/ Italie du 5 janvier 2007 et l’AFFAIRE ASCIUTTO c. ITALIE, 27 novembre 2007, 35795/02 la CEDH a jugé que la vidéoconférence n’était en soi pas contraire à l’article 6 si utilisé dans un but légitime comme la protection des personnes et des témoins. Pour autant la cour fait abstraction de nombreux points pratiques qu’elle a elle-même contribué à consacrer au cours de ses jurisprudences. À ce titre, nous pouvons faire état de la question de l’avocat. Celui doit faire le choix d’être en présence de l’accusé ou bien prêt des magistrats. Un dilemme cornélien. De même, la question de l’entretien confidentiel avec l’avocat pose ici question. Plus simplement, la bonne compréhension des interactions lors du procès peut être rendue plus difficile comme le démontrent les différentes expériences pratiques en cours d’instance ces derniers mois.
Évidemment, d’autres points pourraient être soulevés et de nombreux articles le font. La question que semble montrer la pratique est l’inadéquation des communications « en présentiel » avec la visioconférence. Ce phénomène étant mis en exergue par l’importance du juridique dans la vie politique et par la présence pesante du virus.
4 – La réinvention d’un langage propre à la visioconférence lors d’un procès
En définitive, la pandémie nous offre l’exemple d’une justice par visioconférence. L’usage d’un nouvel outil technologique requiert de maîtriser l’outil en question, à ce titre, des normes techniques devraient voir le jour pour standardiser les visioconférences. Les usages de la vidéoconférence dans les instructions font, jusque-là, « une équivalence fonctionnelle » avec la réalité. Ils imitent la réalité. C’est ici que le problème est, puisque l’utilisation d’un nouveau canal de communication impose de nouveaux codes de communication, de nouveaux rites (voir ici l’ouvrage de A. Garapon, bien jugé). Tant que les usages, lors d’instance, se feront « comme » si les individus étaient en présence, alors, les mêmes problématiques d’égalités des armes, de contradictoire ou d’incompréhension se poseront. Les rituels et les codes de communications ne sont malheureusement pas le fruit d’une réflexion et d’une codification, mais plutôt le fruit de l’usage. C’est par l’utilisation répétée lors de procès que, peut-être, un ensemble cohérent, un nouveau langage se formera qui donnera tort aux inconvénients listés.
Commentaires
1 commentaires pour “Pandémie : l’utilisation de la vidéoconférence lors des procès”
Rémy Gaudreau
20 décembre 2020 à 9 h 27 minJe serais curieux de savoir comment l’augmentation de la quantité de visioconférences depuis l’arrivée de la Covid-19 a un impact sur les décisions en matière civiles. La visioconférence ferait-elle que le demandeur ne remplisse pas moins souvent son fardeau de preuve car il est plus difficile de convaincre lorsque l’on est en ligne qu’en présentiel? Quel impact a la visioconférence sur la fonction de recherche de la vérité qu’ont les tribunaux?