Dans l’arrêt A-4770/2019 du 7 juin 2021, le Tribunal administratif fédéral suisse (TAF) a analysé la question de l’accès au dossier d’une procédure close à l’encontre d’une personne, mais non à l’égard d’autres personnes.
Rappel des faits
En 2016, l’Administration fédérale des douanes (AFD) ouvre une enquête pénale administrative à l’encontre de A., en raison de soupçons d’infractions à la Loi fédérale régissant la taxe sur la valeur ajoutée (LTVA).
Après qu’A. a été entendue en tant qu’inculpée, la procédure est close sans suites à son encontre à la fin de l’année 2018, mais se poursuit à l’encontre d’autres inculpés. L’AFD remet alors spontanément à A. une copie du dossier portant sur sa personne.
Au début de l’année 2019, A. demande que le dossier complet de la procédure pénale administrative lui soit remis, ainsi qu’un extrait complet des données la concernant contenues dans le système d’information de l’AFD.
En réponse à cette demande, un service de l’AFD fait parvenir à A. le procès-verbal d’audition d’un tiers impliqué dans la procédure, mais refuse de lui transmettre l’entier du dossier et lui indique ne pas détenir de données la concernant dans sa base de données.
A. dépose alors une plainte concluant à l’annulation de l’acte de ce service, ainsi qu’à l’accès au dossier complet de la procédure pénale administrative en cause.
L’AFD rend, le 6 août 2019, une déclaration d’irrecevabilité par suite d’un examen de la Loi sur la protection des données (LPD) et de la Constitution fédérale de la Confédération suisse (Cst.). A. dépose alors, le 16 septembre 2019, un recours auprès du TAF, concluant une nouvelle fois à l’accès à l’intégralité du dossier de la procédure pénale administrative et, à titre subsidiaire, au renvoi de la cause au service de l’AFD.
L’accès au dossier pouvait-il être restreint ?
Le TAF note d’abord que le champ d’application de la LPD s’étend à tout traitement de données concernant des personnes physiques et morales effectué par des organes fédéraux (art. 2 al. 1 let. b LPD). La loi n’est néanmoins pas applicable aux procédures pendantes civiles, pénales, d’entraide judiciaire internationale ainsi que de droit public et de droit administratif, à l’exception des procédures administratives de première instance (art. 2 al. 2 let. c LPD).
Enfin, il traite des art. 8 et 9 LPD, accordant respectivement le droit d’accès de tout un chacun à ses données personnelles et la possibilité, pour le maître du fichier, de restreindre ce droit d’accès.
Est-ce alors à bon droit que l’AFD a refusé à A. l’accès au dossier de la procédure pénale administrative sur la base des art. 8 ss LPD et 29 al. 2 Cst. au motif que la LPD n’est pas applicable à une procédure pénale administrative pendante (exception de l’art. 2 al. 2 let. c LPD) ?
Le TAF doit ainsi déterminer si l’accès aux données personnelles d’une procédure pénale administrative close concernant le requérant mais encore pendante à l’égard de tiers entre dans le champ d’application de la LPD ou non. Pour ce faire, il doit interpréter la disposition en question selon la méthode du pluralisme pragmatique du Tribunal fédéral (TF), à savoir selon une interprétation littérale, systématique, téléologique et historique.
L’interprétation littérale n’étant d’aucune aide dans le cas d’espèce, le TAF se réfère à l’interprétation téléologique et historique. Il constate que les diverses lois de procédure adoptées par le législateur suisse ont pour but de protéger la personnalité des personnes impliquées dans ces procédures et contiennent déjà des dispositions spéciales sur le traitement de l’information. Ainsi, la LPD n’a pas lieu de s’appliquer dans le cadre de procédures pendantes, mais uniquement lorsque celles-ci sont closes. Par ailleurs, si la LPD pouvait s’appliquer dans de tels cas, deux législations ayant le même but s’appliqueraient, ce qui mettrait en péril la sécurité juridique.
Dans le cas d’espèce, la LPD peut donc s’appliquer aux données personnelles de A. récoltées lors de l’enquête dirigée contre elle, puisque la procédure est close à son encontre, mais non aux données encore utiles à la poursuite pénale administrative à l’encontre de tiers. Le TAF déclare qu’il revient à l’autorité de poursuite, en l’espèce à l’AFD, de déterminer quelles sont les données qui concernent strictement et exclusivement A. et celles qui doivent rester secrètes pour le bon déroulement de l’instruction. Les premières pourraient être transmises à A., mais pas les secondes.
Dans ce cadre, le TAF rappelle que l’autorité dispose d’un large pouvoir d’appréciation et se rallie au tri des données effectué par l’AFD, qui a déjà remis à A. celles qui la concernaient exclusivement. Il conclut donc que la LPD n’est pas applicable tant que dure la procédure à l’égard des tiers, quand bien même des données dont la consultation a été refusée à A. peuvent la concerner.
Quant à la garantie constitutionnelle de l’art. 29 al. 2 Cst. dont découle le droit de consulter le dossier en cours de procédure et en dehors d’une procédure, le TAF indique qu’une application directe de cette disposition doit être limitée, puisque différentes lois de procédure ont été adoptées et encadrent déjà de manière détaillée et spécifique le droit d’accès au dossier.
Le TAF relève encore à cet égard qu’il est possible de limiter, voire de supprimer, le droit d’accès fondé sur cette disposition, en raison d’un intérêt, public ou d’un tiers, prépondérant.
Dans le cas d’espèce, le TAF procède à la pesée des intérêts en présence. D’une part se trouve l’intérêt de A. à consulter l’entier du dossier, afin de connaître les informations recueillies sur elle, notamment pour en réclamer la modification. D’autre part, il existe un intérêt de l’enquête pénale administrative en cours à la préservation du secret de l’instruction, à la protection des parties à la procédure, à la sauvegarde de l’impartialité judiciaire et, enfin, à la défense d’autres intérêts privés, comme ceux des victimes et des témoins. Au terme de cette pesée des intérêts, le TAF considère que l’intérêt à la poursuite de l’enquête pénale administrative et au maintien du secret de l’enquête doit l’emporter sur l’intérêt privé de A., d’autant plus que l’AFD lui a déjà remis ce qui ne relevait pas du secret de l’instruction.
Ainsi, le TAF constate que l’AFD a, à bon droit, refusé à A. le droit de consulter l’entier du dossier de la procédure pénale administrative et rejette le recours. Il précise néanmoins que A. aura la possibilité de réitérer sa demande d’accès au dossier, une fois que la procédure en cause sera définitivement close à l’égard des tiers et que l’AFD devra réexaminer la question à ce moment-là.
Quelle solution sous l’angle de la nouvelle LPD ?
Cet arrêt, rendu le 7 juin 2021, l’a été sous l’empire de la LPD en vigueur. Or, une nouvelle Loi sur la protection des données (nLPD) devrait entrer en vigueur fin 2022, transférant le contenu de l’art. 2 al. 2 let. c LPD à l’art. 2 al. 3 nLPD, tout en le modifiant comme suit :
« Les traitements de données personnelles effectués dans le cadre de procédures devant des tribunaux ou dans le cadre de procédures régies par des dispositions fédérales de procédure, ainsi que les droits des personnes concernées, obéissent au droit de procédure applicable. La présente loi s’applique aux procédures administratives de première instance. »
Malgré l’abandon de la notion de « procédure pendante », la portée de cette norme n’est, selon le Message du Conseil fédéral (FF 6633-6635), pas modifiée et il convient de retenir que
« le critère de délimitation majeur pour la non-applicabilité de la LPD est l’existence ou non, au point de vue fonctionnel, d’un lien immédiat avec une procédure (devant un tribunal). Un tel lien existe lorsque le traitement de données personnelles en question est susceptible d’avoir des effets concrets sur cette procédure ou sur son issue, ou sur les droits procéduraux des parties. » (FF 6634).
En outre, la révision de la LPD entraînera la modification de la Loi fédérale sur le droit pénal administratif (DPA). Selon le nouvel art. 18d nDPA,
« [t]ant que la procédure est pendante, les parties et les autres participants à la procédure peuvent, dans les limites de leur droit de consulter le dossier, obtenir les données personnelles qui les concernent ».
Ainsi, la solution à laquelle a abouti le TAF en application de la LPD semble être une solution qui sera également compatible avec l’art. 2 al. 3 nLPD ainsi que le nouvel art. 18d nDPA. Cette jurisprudence devrait donc être maintenue.
Critique
À mon sens, la solution retenue par le TAF dans cet arrêt est logique au vu des arguments avancés. En effet, et afin d’éviter tout concours objectif de normes, il me semble pertinent d’avoir conclu à la non-application de la LPD aussi longtemps que perdure la procédure. Par ailleurs, la retenue dont a fait preuve le TAF lors de l’examen de l’existence d’un intérêt public prépondérant est parfaitement justifiée, dans la mesure où les réflexions de l’AFD étaient perspicaces et non dénuées de sens. Finalement, le résultat de la pesée des intérêts effectuée par le TAF apparaît légitime vu l’importance du secret de l’instruction et ce d’autant que A. disposera encore de la possibilité de demander l’accès à l’entier du dossier.
A noter que dans une jurisprudence plus ancienne (arrêt A-6356/2016 du 19 avril 2018), le TAF avait déjà eu l’occasion d’étudier la question du droit d’accès à un dossier pénal. La situation était toutefois différente.
La République démocratique du Congo (RDC) demandait au Ministère public de la Confédération (MPC) un accès au dossier d’une procédure pénale classée, à laquelle elle n’avait pas été partie, dans le but d’intenter civilement une action contre les anciens prévenus. La procédure pénale ayant été classée, il ne s’agissait pas d’un cas d’exception de l’art. 2 al. 2 let. c LPD. La LPD trouvait donc application. Néanmoins, le TAF a conclu que l’art. 8 LPD ne permettait pas à la RDC un accès complet au dossier en dehors d’une procédure pendante, puisque le droit visé par cette disposition n’est que l’accès à ses données personnelles, non à celles des tiers. Il avait alors également analysé la question du droit d’accès sous l’angle de l’art. 29 al. 2 Cst. et avait constaté que la requérante pouvait « manifestement prétendre à un lien particulier avec la cause » (c. 5.3), une pesée des intérêts en présence devant être effectuée par l’autorité inférieure.
Ainsi, ces deux jurisprudences, sans être identiques, sont compatibles.
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