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Le .org de The Pirate Bay suspendu

Étudiant dans le cadre du cours DRT-6903.
21 décembre 2015
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Est-ce qu’un registraire de nom de domaine canadien pourrait être enjoint de retirer des sites Web qui y sont enregistrés? Avant de répondre, quelques notions de bases.

On peut accéder à un site Web soit à travers son nom de domaine (www.google.com) ou son adresse IP, un identifiant unique (173.194.42.102). Un nom de domaine est fort utile pour situer une ressource sur l’Internet, puisqu’il est nettement plus facile de s’en souvenir qu’une série de chiffres.

Le Internet Corporation for Assigned Names and Numbers ou ICANN est une organisation à but non lucratif qui s’assure de la coordination des noms de domaines. Les noms de domaines sont gérés par des registraires, tels que godaddy ou name.com. Ceux-ci s’accréditent auprès de l’ICANN et des gestionnaires de nom de domaines de nationaux, tels que l’AFNIC ou le CIRA.

Pourquoi vous fais-je un cours de théorie sur les noms de domaine? Surtout pour illustrer leur importance. Ils sont tellement communs dans notre quotidien, qu’on les prend pour acquis. Que ce passe-t-il lorsqu’un site Web est déclaré illégal? Peut-on le faire disparaître du Web?

Pour les consommateurs de contenu « piraté », malgré son apparence des années 2000s, il n’y pas de site Web plus iconique que thepiratebay. Tel que puisse l’indiquer son nom, il a été assujetti à plusieurs assauts de la part de la flotte royale durant les 10 dernières années. À la suite d’un procès controversé, les fondateurs ont même purgé des peines de prison, mais selon un d’entre eux cela aurait bien valu la peine :

It was well worth doing prison time for The Pirate Bay, when you consider how much the site means to people

Après avoir essuyé plusieurs défaites de ce type aux fils des ans, des utilisateurs ont construit un répertoire de liens « proxy » pour être capables d’y accéder. Depuis l’an dernier, le site est devenu entièrement nuagique, sans serveur physique fixe afin d’éviter les risques d’être saisi.

Et malgré les meilleurs efforts des autorités, les pirates leur échappent encore. Depuis, on assiste à un jeu de la taupe (whac-a-mole) à grande échelle avec plusieurs sites similaires.

Cet été, une cour suédoise ordonne la saisie d’un nom de domaine clé, qui est remplacé dans les minutes qui suivent par un autre qui redirige les utilisateurs vers l’adresse IP appropriée. Les commentaires du registraire national suédois démontrent l’incompréhension que manifeste ce jugement :

SE believes that the forfeiture of a domain name is an ineffective method for combating online criminal activities. It is very easy to transfer one site to another top-level domain.

Plus récemment, soit au début décembre, pour une raison non reliée au droit d’auteur, mais bien à l’administration des noms de domaine, thepiratebay a quitté euroDNS et s’est enregistré auprès de easyDNS, un registraire canadien ayant la réputation de défendre ses clients.

Donc de retour à la question qu’on explore aujourd’hui : est-ce que easyDNS peut être responsable pour le comportement de son nouveau client?

En 2014, une Cour en Allemagne a imposé à un registraire de retirer le nom de domaine d’un site Web qui était « manifestement en contravention » du droit d’auteur. C’est la première au monde ayant imposé une telle obligation.

Que dit la loi canadienne? La Loi sur le droit d’auteur responsabilise (ou plutôt déresponsabilise) trois catégories d’intermédiaires du Web, soit les fournisseurs de service de télécommunication, de mémoire numérique et d’outils de repérage. Les registraires n’y figurent pas.

La loi québécoise, soit la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information, n’aborde, elle non plus, la notion des registraires de nom de domaine. Les articles 22, 36 et 37 sont muets à ce sujet.

Notons que les deux lois exigent que le caractère illicite du contenu soit porté à l’attention de l’intermédiaire. L’intermédiaire n’a aucune obligation de surveillance en soi. Que ce passe si un ayant droit informe easyDNS (certains diraient que easyDNS les enverrait se promener)?

Les États-Unis ont une réputation de saisir les noms de domaine par force, mais le CIRA rassure que les noms de domaines .ca, enregistrés au Canada, sont protégés de ces saisies.

Une saisie est beaucoup plus grave qu’une annulation d’enregistrement : un nom de domaine annulé sur un registraire pourrait facilement transférer son enregistrement vers un autre (comme fut le cas avec le transfert de euroDNS vers easyDNS). Et rappelons-nous, l’accès par adresse IP reste toujours disponible : on retire l’affiche du magasin, sans jamais fermer le magasin!

Il resterait donc la voie judiciaire : l’injonction. Dans l’éventualité où une telle ordonnance est émise, easyDNS n’aura pas le choix que de s’y soumettre. Étant donné la futilité d’une telle démarche, nous espérons que les cours canadiennes,  au nom de la liberté d’expression, n’iront pas sur cette voie.

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