En 2010, Facebook avait 350 millions d’utilisateurs. Aujourd’hui, le réseau social compte plus d’un milliard d’utilisateurs actifs. Reste à savoir combien d’entre ceux-ci savent que les données qui se trouvent sur Facebook sont probablement moins protégées qu’ils ne le pensent. Il reste peu sécurisant de croire que n’importe quel contenu « privé » de notre page Facebook peut être rendu public pour la seule raison qu’il se trouve sur Facebook. Les utilisateurs peuvent-ils réellement compter sur une expectative de vie privée en s’affichant sur le web ? Force est de constater que les tribunaux ne sont pas unanimes sur la question.
La notion de contrôle demeure centrale à la problématique : plus l’utilisateur a de contrôle sur l’accès au « profil Facebook », moins il aura d’expectative de vie privée. Toutefois, il s’agit d’un concept assez subjectif et, au Québec, la question semble peu étudiée.
Un jugement ontarien a confirmé en 2009 qu’un individu s’expose à la probable divulgation de son information du seul fait qu’il possède un compte Facebook : « A party who maintains a private, or limited access, Facebook profile stands in no different position than one who sets up a publicly-available profile. Both are obliged to identify and produce any postings that relate to any matter in issue in an action. »
Pourtant, ailleurs au Canada, de nombreuses demandes d’accès ont été rejetées en se basant sur la notion de pertinence. Récemment, un juge en Saskatchewan a rejeté une demande d’accès au profil Facebook de la demanderesse, puisque le seul fait de posséder une page Facebook ne suffit pas à établir sa pertinence en preuve : « I am not prepared to infer that the mere fact that the plaintiff has a Facebook profile that it therefore follows that it contains information relevant to this action. » […] « It would be an invasion of the plaintiff’s privacy that I am not prepared to make. » En Colombie-Britannique, dans la décision Fric v. Gershamn, rendue en avril dernier, un défendeur voulait mettre en preuve la totalité du contenu de la page Facebook de la demanderesse, page dont l’accès au public demeurait restreint. Le juge a décidé d’admettre seulement une partie des photographies qu’il jugeait pertinentes au litige.
Au Québec, l’article 2858 du Code civil protège l’admission en preuve d’éléments obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux. Pourtant, lorsqu’on en vient à admettre une preuve provenant d’un réseau social, on peut observer une approche trop libérale dans la jurisprudence québécoise. La Commission des lésions professionnelles, en 2011, reçoit une preuve Facebook après avoir observé qu’elle était déterminante au litige et qu’il était difficile d’admettre qu’une personne qui possède un compte Facebook puisse croire au caractère privé de son information. Puis, en 2012, le juge dans l’affaire Morin-Ogilvy affirme ceci : « Facebook est un média social susceptible d’avoir une grande efficacité au niveau de la communication et de la diffusion. […] Quiconque utilise ce média pour donner libre cours à ses pensées ne peut qu’en être conscient et son usage pour la diffusion de propos, tels que ceux concernés, doit être découragé. »
Enfin, le tout semble très clair : Facebook est un espace public, que l’individu ait le choix de divulguer son information ou non. Ron Podolny, avocat chez McCarthy Tétrault à Toronto, l’a affirmé en 2009 : quand une telle preuve est jugée admissible, elle doit être limitée à ce qui est pertinent au litige. Or, à ce jour, le Québec reste trop enclin à admettre la preuve Facebook en situation litigieuse. Comme l’affirme l’avocate Christiane Feral-Schuhl, « [p]eut-être faut-il favoriser la régulation. Comme « Fumer tue » sur les paquets de cigarettes ou « Ralentissez » sur la route, il pourrait être affiché « Vous publiez, attention au contenu ». »
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