Anis Ladhar, « Liberté d’expression et internet », Étude, Faculté de droit de Sfax, 2013
Résumé
En 2010, dans son rapport annuel sur la cyber-censure, l’organisation internationale non gouvernementale Reporters sans frontières, a répertorié douze pays qu’elle a considérés comme des ennemis de l’internet. Dans cette liste noire, peu glorieuse, figurent quatre pays arabes (la Tunisie, l’Egypte, la Syrie et l’Arabie Saoudite). Curieusement, sur ces quatre pays ennemis d’internet, trois ont connu une révolution. Paradoxalement, il s’avère que la censure sur internent est non seulement inefficace, mais plus encore, elle conduit à l’opposé du but escompté. Ainsi, plus on limite la liberté d’expression sur internet, plus la riposte des personnes assujetties à la censure devient violente.
En droit tunisien, bien qu’on ait ratifié des conventions internationales prônant la liberté d’expression, tels que le pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, établis par l’ONU en 1966, la liberté d’expression est restée pendant longtemps, lettre morte. À travers un contrôle rigoureux et pernicieux des médias, le régime politique déchu, qualifié d’ailleurs par un auteur comme un « gouvernement pirate », a muselé cette liberté. L’internet n’a pas échappé à la règle. Un système de filtrage, de surveillance et de censure, de l’internet a été mis en place. À titre d’exemple, une brigade spéciale, composée de plus de 600 cybers policiers spécialisés en informatique, avait pour mission de surveiller la toile. Le système de filtrage et de censure, était tellement perfectionné qu’il a fallu une dizaine de jours de recherche à l’équipe de sécurité au sein de Facebook pour comprendre le fonctionnement du système de contrôle tunisien. Le 3 janvier 2011, le pouvoir politique en place n’a pas hésité à usurper les comptes mail personnels de certains blogueurs en vue de prendre connaissance de leur contenu et de les détruire ultérieurement.
Cependant, cet arsenal mis en place pour espionner et censurer les internautes, s’est révélé inefficace. À travers des proxys, les cyberdissidents ont pu déjouer les pièges du système, parfois même au prix d’une arrestation. Ceux qui avaient le courage de critiquer ouvertement le régime politique sur internet, payaient au prix fort cette audace. Toutefois, cette obstination cybernétique a fini par payer. Internet, et notamment le réseau social Facebook, ont participé d’une manière directe à la révolution tunisienne, en déjouant la censure, ce qui a permis de relater les événements de la révolution.
L’internet, en tant que réseau permettant de mettre en communication des millions d’utilisateurs dans le monde entier, est un espace privilégié de liberté d’expression qui transcende les frontières. Son caractère transnational donne des ailes à la liberté d’expression. Aucun opérateur ni Etat ne peuvent maîtriser entièrement cet espace « hétérogène et sans cloisonnement ou chacun peut agir librement ». Il s’agit en fait d’un « réseau polycentrique (décentralisé) et acentrique (global), une gigantesque toile d’araignée informatique qui empêche toute possibilité de contrôle par une entité unique qui prétendrait en exercer la maîtrise ». De surcroit, La vitesse de transmission des données sur Internet fait que ce dernier concurrence les moyens traditionnels de diffusion de l’information, en premier lieu la presse écrite.
Le problème qui se pose est celui de la considération de la liberté d’expression qui vacille entre tantôt une liberté menaçante (Première partie) et tantôt une liberté menacée (Seconde partie) .
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Sommaire
Première partie: Une liberté d’expression menaçante
A- La facilité de l’atteinte aux droits de la personnalité
B- Ecueil de la mise en œuvre de la responsabilité en cas d’excès dans l’exercice de la liberté d’expression
a-L’anonymat
b-Le caractère transnational de l’internet
Seconde partie: Une liberté d’expression menacée
A-L’ambigüité du régime juridique applicable à l’internet
B-La flexibilité des textes d’incrimination