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Les amitiés des juges, version web 2.0

Vanessa Martin est étudiante dans le cadre du cours DRT 6903 A2012 (prof. V. Gautrais)
26 novembre 2012
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La légitimité du pouvoir judiciaire repose sur la confiance que lui accorde les citoyens. L’activité des tribunaux est, pour ainsi dire, dans la mire constante de la société, qui à son tour a des attentes très élevées face au siège de la justice. À l’évidence, les juges et la magistrature sont souvent placés dans des situations parfois inconcevables.

Au Québec, le Code de déontologie de la magistrature prévoit, à ses articles 4 et 5, la nécessité pour un juge de rester impartial et objectif en plus du devoir de prévenir tout conflit d’intérêt. Le Code de déontologie des avocats énonce les mêmes devoirs aux articles 3.00.01 et 3.06.06. Dans un contexte où notre carrière et notre vie sociale sont de plus en plus intégrées dans les réseaux sociaux, les répercussions de nos actions vont souvent bien plus loin que Facebook et Twitter.

En conséquence, il est tout à faire normal que notre profession demande à ce qu’on vive avec réserve, indépendance et transparence. Mais, en réalité, c’est affirmer que la déontologie professionnelle impose des limites substantielles à nos droits et libertés fondamentaux protégés par les Chartes. La liberté de pensée et d’expression, le droit à la dignité et le droit à la vie privée sont consacrés aux articles 3, 4 et 5 de la Charte des droits et libertés de la personne. Comme nous le savons, ces droits ne sont pas absolus. Maître Raymond Doray affirme à ce sujet que

« [d]ans ce domaine comme dans plusieurs autres, il y a lieu d’agir avec retenue et équilibre, toute approche manichéenne risquant d’avoir pour conséquence de compromettre l’existence d’une valeur fondamentale au profit d’une autre. »

Dans un article intitulé « Lawyers And Judges Should Not Be Facebook Friends », les auteurs commentent une décision en matière pénale fort étonnante. Il était question d’un juge américain qui était « ami Facebook » du procureur assigné au dossier. Le défendeur prétendait que cette situation inciterait une personne raisonnable, placée dans les mêmes circonstances, à craindre la partialité du juge et, par le fait même, à porter atteinte à son droit à un procès équitable. La Cour d’appel a donné raison au défendeur :

« A judge’s activity on a social Network may undermine confidence in the judge’s neutrality ».

C’est dire que le seul fait d’être actif sur un réseau social puisse miner la confiance du public envers l’administration de la justice.

Le jugement repose en grande partie sur une opinion rendue en novembre 2009 par le Comité de consultation en déontologie professionnelle de la Floride. Selon cette opinion, les juges et les avocats ne devraient tout simplement pas être « amis » sur les réseaux sociaux. Pourquoi ? Le raisonnement est fort simple : il y a un grand risque que le public perçoive cette relation sociale « virtuelle » comme un conflit d’intérêts, puisque l’avocat serait en meilleure position pour influencer le juge.

Cette affaire est semblable à un autre cas qui a fait bien des échos aux Etats-Unis. Dans un autre article récent, les auteurs racontent les péripéties du juge Matthew Sciarrino P. Ce dernier a l’habitude de se placer dans des situations pour le moins inconvenantes : des mises à jour constantes de son statut Facebook en pleine cour, des prises de photos de son audience pour les publier sur le réseau social, des amitiés Facebook avec des avocats qui plaident devant lui, et j’en passe. « A highly unprofessional move that placed the lawyers in an awkward ethical and legal position-. », selon Jeff John Roberts, et avec raison.

Une autre décision, datant de 2009, affirme cependant le contraire. Dans Quigley (pdf), la cour n’accorde aucune importance au fait d’avoir des amis sur le web, puisque ces « amitiés » peuvent disparaître en un seul clic. En effet, comment est-ce différent des autres formes d’interaction sociale ? Dans tous les cas, il semble que ces réseaux constituent l’outil idéal pour justement placer ces personnages dans la cible des critiques médiatiques. Paraît-il que les réseaux sociaux risquent même de mettre en péril l’institution du jury… (voir à ce sujet l’excellent blogue L’internet met en péril les systèmes de jury, par Emma Elliott).

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