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Netflix, les VPN, et la loi sur le droit d’auteur… ?

Global Panorama

Marie-Pier Larochelle est étudiante du cours DRT6929O - "Droit des affaires électroniques"
17 février 2015
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Le 3 janvier dernier, un article sur le populaire blogue torrentfreak.com accusait Netflix de resserrer sa surveillance dans le but d’empêcher les utilisateurs de visionner le contenu disponible dans d’autres pays, soulevant des craintes chez certains abonnés canadiens.

Même si plusieurs diffuseurs rendent maintenant disponibles gratuitement leurs séries en ligne après la diffusion, ces services sont souvent caractérisés par l’abondance de publicités, des restrictions quant aux nombres d’épisodes offerts ou à des restrictions géographiques. C’est le cas de l’offre de films et séries télé de Netflix, le populaire service d’écoute en continu. Disponible dans plus d’une quarantaine de pays, son offre diffère selon l’emplacement de l’utilisateur en raison d’ententes de distribution avec les différents ayants droit, parmi lesquels on compte des réseaux de télévision, des câblodistributeurs et des studios de film ou télévision. Le modèle d’affaire de Netflix repose sur un paiement mensuel de 7,99$ en échange duquel l’utilisateur pourra visionner autant de contenu qu’il le désire sur l’ordinateur, la télévision ou les appareils mobiles.

Changer de nationalité, juste pour quelques heures…

Au Canada, impossible d’établir avec exactitude le nombre d’abonnés à Netflix, qui refuse de divulguer cette information comme nous l’avons vu lors des audiences du CRTC à l’automne. Or, c’est bien connu que le public canadien sait que pour le même tarif mensuel, il aura accès à une offre plus alléchante sur la version américaine de la plateforme dont le catalogue de titres est trois fois plus volumineux. Pour ce faire, la plupart des utilisateurs ont recours à un service de réseau privé virtuel (de l’anglais virtual private network, ci-après VPN) qui leur permet de naviguer sur le Web avec une adresse IP d’un autre pays. Le VPN créé un tunnel sécurisé et chiffré entre votre ordinateur et fournit une adresse IP qui remplace celle de votre fournisseur de service Internet. Autrefois principalement utilisé par les entreprises pour la connexion à distance des employés, le VPN est plus couramment utilisé de nos jours par le grand public pour des raisons de sécurité et de confidentialité ou pour contourner les mesures de géoblocage de certains sites.

Joints par les médias, les représentants de Netflix ont refusé les demandes d’entrevues, mais ils ont émis un communiqué de presse publié par The Canadian Press dans lequel ils affirmaient ceci: «Virtually crossing borders to use Netflix is a violation of our terms of use because of content licensing restrictions. We employ industry standard measures to prevent this kind of use. There haven’t been any recent changes to the Netflix VPN policy or term of use.» Sur le site de Netflix, les termes de services confirment cette déclaration et expliquent clairement que l’entreprise utilisera des technologies pour vérifier l’emplacement géographique, sans toutefois préciser lesquelles:

«Vous pouvez visionner un film ou une émission de télévision au moyen du service de Netflix principalement dans le pays où vous avez créé votre compte et uniquement dans les emplacements géographiques où nous offrons notre service et où nous détenons les droits correspondant à ce film ou cette émission de télévision. Le contenu disponible pour le visionnement variera selon l’emplacement géographique. Netflix utilisera certaines technologies pour vérifier votre emplacement géographique.»

À qui la faute ?

Au Canada, c’est la Loi sur le droit d’auteur (ci-après « L.d.a. ») qui encadre les questions liées aux droits d’auteur sur les œuvres cinématographiques diffusées par Netflix. Or, l’article 41.1 de la L.d.a. dispose que «[N]ul ne peut : a) contourner une mesure technique de protection au sens de l’alinéa a) de la définition de ce terme à l’article 41.». Cet article entend par « contourner » les définitions suivantes :

  • «a) S’agissant de la mesure technique de protection au sens de l’alinéa a) de la définition de ce terme, éviter, supprimer, désactiver ou entraver la mesure — notamment décoder ou déchiffrer l’oeuvre protégée par la mesure — sans l’autorisation du titulaire du droit d’auteur;
  • b) s’agissant de la mesure technique de protection au sens de l’alinéa b) de la définition de ce terme, éviter, supprimer, désactiver ou entraver la mesure.»

Jusqu’à maintenant, aucun tribunal canadien n’a confirmé que l’utilisation d’un VPN pour « contourner » une mesure de géoblocage comme celle utilisée par Netflix était une violation de la L.d.a. Michael Geist, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit d’Internet et du commerce électronique, partageait son avis à ce sujet dans un article publié récemment : «Subscribers can often circumvent geographic blocks by using a virtual private network that makes it appear as if they are located in the U.S. Accessing the service may violate the terms of service, but would not result in a legal notification from the rights holder».

En effet, ce dernier se montre rassurant en rappelant que le site en question a obtenu la permission de rendre ce contenu disponible et peut de la même façon le retirer.  En somme, si un flou juridique entoure l’utilisation du VPN par les utilisateurs, il n’en reste pas moins que c’est Netflix qui risque d’avoir des problèmes avec les ayants droit. En effet, si l’entreprise ne met pas en place les mesures adéquates pour restreindre géographiquement l’accès aux plateformes destinées aux autres pays, il viole fort probablement les restrictions posées par les ayants droit dans leur licence de diffusion.

Dans un billet publié le 3 janvier, le blogue torrentfreak.com suggérait que ce serait plutôt les ayants droit qui feraient pression sur Netflix : «Blocking VPN and proxy “pirates” has become a priority for the movie studios as streaming services have failed to introduce proper countermeasures». Ainsi, si Netflix souhaite mettre fin à l’accès au contenu américain pour ses utilisateurs canadien pour honorer ses ententes avec les ayants droit et éviter d’éventuelles poursuites de ceux-ci, il devra plutôt se tourner vers des solutions technologiques pour vérifier l’emplacement géographique de l’utilisateur. Selon un article du blogue torrentfreak.com, Netflix aurait déjà plusieurs options : «Netflix is reportedly testing a variety of blocking methods. From querying the user’s time zone through the web browser or mobile device GPS and comparing it to the timezone of their IP-address, to forcing Google’s DNS services in the Android app.» Enfin, si ces prévisions se concrétisent ou si Netflix commence à bloquer l’utilisation de VPN, il y fort à parier que nous assisterons à une levée de boucliers de certains utilisateurs qui argumenteront que ces méthodes portent atteinte à leur vie privée.

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