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Les paroles s’envolent mais les écrits restent…

Marie-Claude Goupil est avocate et étudiante dans le cadre du cours DRT 6903 A2012 (prof. Vincent Gautrais)
10 novembre 2012
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Nous continuons d’être menottés par une législation de 1975 qui date du temps des téléphones à cadran rotatifs. » — Jim Chu, président de l’Association canadienne des chefs de police

FacebookTwitter, messages textes, courriels sont autant de façons de communiquer à l’aube du XXIe siècle. De plus en plus, nous privilégions un monde mobile et sans fil. Véritable révolution à tous les points de vue, l’internet a assurément facilité notre quotidien. Les avantages sont innombrables… Mais comme toute bonne chose, cette cyber-communication comporte également son lot d’inconvénients. Quant à elle, la législation tente tant bien que mal à s’adapter aux nouvelles technologies qui, on le constate, évoluent beaucoup plus rapidement !

L’intimidation n’est pas quelque chose de nouveau, et existait probablement aux balbutiements de la communication. Cependant, avec l’arrivée des médias sociaux, et l’internet en général, ce comportement a pris un tout autre sens. Toute forme d’intimidation qui utilise les nouvelles technologies de communication est désignée comme étant de la cyberintimidation. À la différence de l’intimidation dit plus traditionnel, la cyberintimidation, lorsqu’elle est commise, procure un certain sentiment d’anonymat, permettant ainsi de faire des choses que l’on ne ferait pas dans la « réalité ». Les conséquences néfastes de la cyberintimidation prennent d’ailleurs une ampleur alarmante et rien n’indique que les choses vont changer, malheureusement. Les dommages peuvent, quant à eux être très graves, voire même perpétuels. Quand on sait que des multinationales comme Google ou Facebook conservent et vendent nos données personnelles, que YouTube contient des extraits vidéo d’à peu près n’importe quoi, il est facile de s’imaginer que les actes d’intimidation pourront demeurer accessibles aux milliards d’utilisateurs pendant très très longtemps…

Le Code criminel, bien qu’il contienne quelques articles pour contrer l’intimidation, le harcèlement et la diffamation, se fait malgré tout plutôt discret en ce qui a précisément trait à l’intimidation sur internet. La formulation des articles déjà existants n’est de toute évidence pas adaptée à la réalité du web. On s’en convainc facilement à la lecture de l’article 372 (1) C.cr. qui traite des faux messages :

Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans quiconque, avec l’intention de nuire à̀ quelqu’un ou de l’alarmer, transmet ou fait en sorte ou obtient que soit transmis, par lettre, télégramme, téléphone, câble, radio ou autrement, des renseignements qu’il sait être faux.

Le mois dernier, une jeune britanno-colombienne, Amanda Todd, s’est enlevé la vie après avoir subi de l’intimidation pendant trois ans sur son compte Facebook. Elle avait également diffusé une vidéooù elle appelle à l’aide et dénonce l’intimidation à laquelle elle fait face. La nouvelle n’a pas mis de temps à faire le tour de la planète et faire vibrer la toile. Tous s’étendent pour dire qu’il faut mettre fin à l’intimidation, la dénoncer et réagir avant qu’un drame comme celui d’Amanda ne survienne à nouveau. Même le mythique groupe Anonymous a tenu à donner son opinion sur le sujet. Fidèle à ses habitudes, ne faisant pas dans la dentelle lorsque vient le temps d’exprimer ses idées, le groupe a décidé de publier, deux fois plutôt qu’une, l’identité du présumé harceleur. Mais voilà que ce dernier fait à son tour face à de l’intimidation, toujours sur le net. Quelques jours plus tard, dans une autre affaire cette fois, la police ontarienne procédait à l’arrestation de huit adolescentes pour harcèlement et intimidation, notamment sur internet.

Il semble cependant que ces événements, de plus en plus présents, aient non seulement eu des échos dans les médias sociaux, mais également auprès des instances gouvernementales. En effet, la première ministre de la Colombie-Britannique, Christy Clark, n’a pas tardé pour mettre en ligne une vidéo dénonçant à son tour l’intimidation.

Le 1er novembre dernier, la Presse Canadienne nous apprenait que « les ministres de la Justice et de la Sécurité publique du Canada ont annoncé mercredi qu’ils travaillaient de concert pour voir ce qu’ils pouvaient faire de plus pour contrer l’intimidation sur Internet ». Selon Shirley Bond, ministre de la justice en Colombie-Britannique,

« les ministres se sont mis d’accord pour former un groupe de travail qui vérifiera s’il y a des lacunes dans le Code criminel concernant cette question ».

Il est également possible de croire (d’espérer) que les choses pourraient être sur le point de changer. En effet, le 14 février 2012, le projet de loi C-30 était présenté à la Chambre des communes en vue de l’adoption de la loi sur la protection des enfants contre les cyberprédateurs. Sur le site internet de Sécurité Publique Canada on peut notamment lire que ce projet de loi obligerait les fournisseurs de services internet et de télécommunication à :

  • mettre en place et à maintenir des systèmes dotés d’une capacité d’interception pour appuyer les services de police et le SCRS ayant obtenu une autorisation légale d’intercepter le contenu des communications ;
  • fournir des renseignements de base sur les abonnés de façon uniforme et rapide, et ce, à la demande des membres désignés de la police, du SCRS et du Bureau de la concurrence (seulement le nom, l’adresse, le numéro de téléphone, l’adresse courriel, le numéro de Protocole Internet de l’abonné, et le nom du télécommunicateur).

Ainsi, selon le gouvernement fédéral, la Loi sur la protection des enfants contre les cyberprédateurs :

  • simplifiera le processus de demande de mandat ou d’ordonnance lorsqu’une enquête nécessite des interceptions ;
  • mettra à jour certaines infractions du Code criminel pour tenir compte des nouvelles façons de commettre des crimes ;
  • créera de nouveaux outils d’enquête, soigneusement adaptés, comme les ordonnances de préservation et de communication, dans le Code criminel et la Loi sur la concurrence ;
  • habilitera le Canada à ratifier la Convention sur la cybercriminalité et son Protocole additionnel relatif à l’incrimination d’actes de nature raciste et xénophobe ; et
  • ajoutera des mesures de protection en matière de notification et de rapports pour les interceptions effectuées dans des circonstances exceptionnelles.

Le projet de loi n’a toutefois pas fait l’objet de débat depuis, ayant été laissé aux oubliettes suite aux commentaires faits par les défenseurs de la vie privée. Mais les choses pourraient changer. C’est du moins ce que l’association canadienne des chefs de police réclame en pressant le gouvernement d’adopter au plus vite le projet de loi C-30. Dans l’intervalle, la cyberintimidation continue de faire des victimes et, à défaut d’avoir des règles claires, certains s’aventurent à demander des peines d’emprisonnement.

En attendant de voir la Loi sur la protection des enfants contre les cyberprédateurs être adoptée, le Code criminel amendé, des outils offerts aux policiers pour démasquer ces cybercriminels « anonymes », il est temps de prévenir… avant de devoir guérir, si guérison il y a. En effet, l’heure est sonnée de dénoncer ceux qui empoisonnent la vie d’autrui par des mots, lourds de sens et de conséquences, laissés sur la toile.

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