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La remise en cause du « Notice and stay down » par la Cour de cassation

BrionV

Patrick Sault est étudiant du Master 2 "Droit des créations numériques" des Universités Paris 1 et Paris 11.
21 mars 2013
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Dans un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de Cassation le 12 juillet 2012, il était question d’une photographie rendue accessible sur le site internet Auféminin.com et reprise par le moteur de recherche Google Images sans autorisation. Après avoir notamment notifié Google et engagé une procédure en référé contre ce dernier, les demandeurs l’ont fait assigner aux fins de voir constater la contrefaçon de la photographie en cause. Google et Auféminin.com avaient été condamnés par les juges du fond faute d’avoir retiré le contenu promptement et d’avoir accompli les diligences nécessaires en vue de rendre impossible la remise en ligne de la photographie litigieuse.

Sur le prompt retrait et le régime du service Google Images

Google fait valoir qu’elle est soumise au régime de responsabilité des personnes réalisant des activités de stockages temporaires, « caching », en sa qualité de moteur de recherche et qu’ainsi la procédure de notification n’a pas d’incidence sur sa responsabilité. Pour rappel ce régime est prévu par l’article L.32-3-4 du Code des postes et des communications électroniques :

Toute personne assurant dans le seul but de rendre plus efficace leur transmission ultérieure, une activité de stockage automatique, intermédiaire et temporaire des contenus qu’un prestataire transmet ne peut voir sa responsabilité civile ou pénale engagée à raison de ces contenus que dans l’un des cas suivants :
1° Elle a modifié ces contenus, ne s’est pas conformée à leurs conditions d’accès et aux règles usuelles concernant leur mise à jour ou a entravé l’utilisation licite et usuelle de la technologie utilisée pour obtenir des données ;
2° Elle n’a pas agi avec promptitude pour retirer les contenus qu’elle a stockés ou pour en rendre l’accès impossible, dès qu’elle a effectivement eu connaissance, soit du fait que les contenus transmis initialement ont été retirés du réseau, soit du fait que l’accès aux contenus transmis initialement a été rendu impossible, soit du fait que les autorités judiciaires ont ordonné de retirer du réseau les contenus transmis initialement ou d’en rendre l’accès impossible.

Google reproche en outre aux notifications de ne pas avoir été suffisamment précises.

La Cour de cassation refuse à Google la qualité de service de « caching » au motif que les photographies demeuraient sur le site de Google et pouvaient notamment faire l’objet d’un agrandissement « au-delà et indépendamment des strictes nécessités d’une transmission ». Elle reproche également à Google ses contradictions entre la procédure au fond durant laquelle Google arguait du retrait effectif des contenus après notification et sa position présente par laquelle elle conteste la conformité des notifications. Elle en déduit qu’elles ont été suffisamment précises.

Sur le caractère accessoire des photographies sur Google Images

Google fait valoir la théorie de l’accessoire pour la reproduction des vignettes sur le service Google Images. Elle estime que la présentation de chaque vignette litigieuse indexée est accessoire par rapport à l’objet du service Google Images, à savoir le référencement « aussi exhaustif que possible d’images disponibles sur Internet et répondant aux requêtes des internautes » et donc que son inclusion au sein des pages de résultats serait fortuite. Elle soutient également que cette reproduction serait strictement nécessaire au fonctionnement d’un moteur de recherche.

La haute Cour rappelle à Google que « l’inclusion fortuite dans un autre produit » de la Directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, doit s’entendre comme une représentation accessoire et involontaire par rapport au sujet traité ou représenté, ce qui n’était pas le cas de la réduction de la photo sous forme de vignette, et non par rapport à une activité ou à une prestation de services.

Sur le principe du “Notice and stay down

Les juges du fond ont retenu la responsabilité de Google en tant que prestataire de service de référencement au motif que, informé des droits sur la photographie, Google n’a pas pris les mesures utiles de nature à prévenir de nouvelles mises en ligne:

Il importe peu que cette photographie soit accessible à partir d’une adresse différente de celle portée [dans le constat initial] dès lors qu’il incombe au prestataire de service d’hébergement ayant reçu notification de l’œuvre à laquelle il est porté atteinte et des droit de propriété intellectuelle qui la protègent de prendre les mesures nécessaires pour empêcher qu’elle soit à nouveau mise en ligne.

La décision des juges du fond est cassée au motif que Google aurait du être avisé par une autre notification régulière pour avoir effectivement connaissance du caractère illicite de la reproduction sur Google Images et soit tenu d’agir promptement pour la retirer ou en rendre l’accès impossible. La Cour de cassation estime qu’obliger Google à empêcher toute nouvelle mise en ligne de la photographie contrefaisante reviendrait à la soumettre à une obligation générale de surveillance des images qu’elle stocke et de recherche des reproductions illicites et à leur prescrire, de manière disproportionnée par rapport au but poursuivi, la mise en place d’un dispositif de blocage sans limitation de temps.

Le dispositif n’est pas sans rappeler les décisions récentes de la Cour de Justice de l’Union dans les affaires Scarlet c. SABAM et Netlog c. SABAM. Ces dernières interdisaient de pouvoir enjoindre à des intermédiaires de pratiquer un filtrage généralisé des réseaux, dans une volonté de rééquilibrage entre la protection de la propriété intellectuelle d’un côté et celle des libertés individuelles et de la vie privée d’un autre. Cependant, cette décision vient s’opposer frontalement aux efforts menés dans l’ordre juridique national concernant la non réitération des actes de contrefaçon en ligne, consacrée « notice and stay down », et qui avait mené à la mise en place de partenariats entre les ayants droit et les intermédiaires du web 2.0, notamment par l’implémentation d’empreintes numériques sur les contenus protégés (Content ID sur Youtube, Signature entre l’INA et Dailymotion). Délestés de cette obligation, et si la décision de la Cour de Cassation tendait à se confirmer, il reste à savoir si les hébergeurs seront autant enclins à coopérer pour assurer le maintien hors des circuits des contenus manifestement contrefaisants.

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