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Les services 2.0 n’ont pas d’obligation de surveillance des contenus illicites

8 juillet 2013
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Dans un arrêt du 21 juin 2013 (SPPF c. YouTube) la Cour d’appel de Paris a franchi un nouveau pas jurisprudentiel allant vers la coopération entre hébergeurs et ayants-droit.

Le 28 avril 2011, un jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris, dans une affaire SPPF c/ Google, reprochait déjà à la SPPF (Société Civile des Producteurs de Phonogrammes en France), à propos de la réintroduction de contenus illicites préalablement notifiés sur la plateforme YouTube, de ne pas avoir donné suite à la proposition de Google, société détentrice de la plateforme, d’utiliser gratuitement son système de « Content ID » pour éviter une telle réintroduction.
Le Tribunal décidait que :

Dès lors que la société Youtube ne pouvait procéder à la réalisation et la conservation des empreintes de vidéomusiques déjà notifiées, elle ne disposait plus de moyens techniques lui permettant de détecter de nouvelles mises en ligne illicites.

De ce fait, les demandes de la SPPF étaient rejetées face à la firme américaine.

Dans cette continuité, les arrêts de cassation du 12 juillet 2012 (n° 11-15.165 ; 11-13.666 ; 11-13.669) refusaient de faire supporter aux hébergeurs une obligation générale de surveillance :

Qu’en se prononçant ainsi, quand la prévention et l’interdiction imposées à la société Aufeminin.com, en tant qu’hébergeur, et aux sociétés Google, en tant que prestataires de services de référencement, pour empêcher toute nouvelle mise en ligne de l’image contrefaisante, sans même qu’elles en aient été avisées par une autre notification régulière pourtant requise pour qu’elles aient effectivement connaissance de son caractère illicite et soient alors tenues d’agir promptement pour la retirer ou en rendre l’accès impossible, aboutit à les soumettre, au-delà de la seule faculté d’ordonner une mesure propre à prévenir ou à faire cesser le dommage lié au contenu actuel du site en cause, à une obligation générale de surveillance des images qu’elles stockent et de recherche des reproductions illicites et à leur prescrire, de manière disproportionnée par rapport au but poursuivi, la mise en place d’un dispositif de blocage sans limitation dans le temps, la cour d’appel a violé les dispositions susvisées[.]

Depuis lors, on sait que l’hébergeur n’est pas tenu d’empêcher la réapparition de contenus illicites notifiés. De ce fait, les ayants-droit se doivent théoriquement de faire une nouvelle notification à chaque réapparition.

Cependant, en marge de ces décisions de cassation, il est possible de constater que les plateformes de vidéos, tels YouTube ou DailyMotion, mettent en avant l’existence d’un système d’empreintes permettant pour les ayants droit de revendiquer les vidéos litigieuses et d’en empêcher une réintroduction illicite. Ce faisant, à défaut de contrainte juridique, c’est la voie de la coopération entre titulaires de droits et plateformes d’hébergement qui doit être privilégiée.

L’arrêt rendu ce 21 juin 2013 par la Cour d’appel de Paris, dans une affaire SPPF c. / YouTube, s’inscrit dans le prolongement des deux précédents ci-dessus. En l’espèce, la SPPF envoie une mise en demeure à YouTube pour demander la suppression de videoclips diffusés illicitement sur leur plateforme. YouTube, dont le statut d’hébergeur  n’est pas contesté dans cette affaire, retire promptement les contenus dans les conditions prévues par la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN). Quelques mois plus tard, la SPPF constate la réapparition des mêmes vidéoclips. La société de gestion assigne Google au titre de l’atteinte portée aux intérêts individuels et collectifs des producteurs du fait de cette diffusion illicite.

Le Tribunal de Grande Instance de Paris rejette les demandes de la SPPF. Cette dernière fait appel devant la Cour d’appel de Paris.

Sur la recevabilité de la SPPF à agir en appel, il est relevé par la défense que certains producteurs avaient signés avec Google un contrat de gestion et de partenariat. En leur qualité de partenaire de Google, lesdits producteurs avaient la possibilité de gérer la diffusion de leurs contenus directement avec YouTube. Du fait de cette relation contractuelle, la SPPF n’avait pas la possibilité de les représenter dans l’instance.

La Cour accueille cet argumentation et relève qu’

[i]l résulte de l’ensemble de ces éléments que les moyens d’irrecevabilité partielle tels que soulevés par les sociétés intimés doivent être accueillis, de la même façon qu’elles doivent être suivies lorsqu’elles demandent que la SPPF soit déclarée irrecevable à solliciter une interdiction pour l’avenir pour le compte des douze producteurs précités, désormais responsables de la gestion de la diffusion de leurs contenus sur la plateforme Youtube ;

Cette décision radicale semble indiquer que l’ayant-droit qui contracte avec Google est désormais dans l’obligation de gérer en direct les problématiques liées à la diffusion de ses contenus sur la plateforme YouTube. Cette mesure est paradoxale puisqu’elle freine les actions groupées des producteurs, réunis par la voix unique d’une société représentative.

Sur le fond du dossier, la SPPF arguait que la notification de contenus entraine pour l’hébergeur un certain nombre d’obligations dont celle d’en prévenir la réapparition par le biais notamment de son mécanisme d’empreinte. L’appelante prenait soin de préciser, pour éviter de tomber sous le coup de la l’obligation de surveillance générale prohibée par les arrêts de cassation précités, que l’hébergeur est tenu de délimiter de manière raisonnable, dans le temps et dans son champ d’application, le blocage des contenus suivant le dispositif qu’il a conçu et mis en place. La SPPF souhaitait donc imposer à YouTube une obligation de surveillance temporaire et ciblée.

La Cour refuse cette possibilité :

Les règles européennes et nationales visées par les intimées réservent à la seule autorité judiciaire le pouvoir d’imposer aux hébergeurs une obligation de surveillance temporaire et ciblée et qu’en l’absence de texte le prévoyant expressément la responsabilité d’un retrait lors de la réitération d’un contenu illicite ne saurait échoir à l’hébergeur.

Aussi, un hébergeur n’est pas tenu à une obligation générale de surveillance, même temporaire. Seul un juge peut prononcer une telle mesure. Néanmoins, la juridiction constate la mise en place d’outils (empreintes) par Google, qui permettent d’empêcher la réapparition de contenus illicites, auxquels la SPPF n’a pas voulu souscrire. Se faisant, cette abstention est considérée par la Cour comme fautive.

Encore une fois, la jurisprudence souhaite que le mécanisme résultant du principe américain de « stay down » passe, non par la voie judiciaire, mais par une coopération entre ayants-droit et hébergeurs.

De ce fait, l’intérêt de cet arrêt est double. D’une part, il vient préciser qu’au-delà d’une durée absolue de surveillance, c’est l’obligation de surveillance extra-judiciaire en elle-même que refuse la jurisprudence. Seul le pouvoir judiciaire peut prononcer une telle mesure. D’autre part, la non-coopération des ayants-droit est maintenant fautive. Ces derniers sont donc contraints de coopérer avec ces acteurs de l’internet… ou de laisser sans protection leurs contenus sur Internet.

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