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Retour sur le Forum mondial des sciences sociales 2013 : L’émergence des communs et des communautés

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Émilie Mouchard est candidate au LL.D à l'université de Montréal
24 octobre 2013
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Le 15 octobre 2013 dernier, se tenait le Forum mondial des sciences sociales sur le thème Transformation sociales et ère numérique. Dans le cadre de cet évènement, le panel sur « la production et la production ouverte des connaissances : stratégies, enjeux et mode de fonctionnement« , exposait les différents aspects de la production des connaissances dans le cadre d’un contexte global. Dans ce panel, Mélanie Clément-Fontaine a abordé la question de l’émergence des communs et des communautés dans le cadre de l’internet.

Cette conférence avait pour but de faire ressortir les difficultés rencontrées par les juristes pour qualifier la propriété des communs résultant de la production de connaissance d’une communauté. Avant de dégager les différents types de qualification pouvant être envisagés, Mélanie Clément-Fontaine présente la particularité de ces communautés (ses recherches font également l’objet d’un article paru à la Revue internationale du droit d’auteur (n°235, 01/2013) sous le titre « Les communautés épistémiques en ligne : un nouveau paradigme de la création »).

Les communautés : une structure flexible et dynamique

L’auteure évoque le fait que la communauté représente un « regroupement de personnes autour d’un projet commun de production et d’accès aux connaissances », pour cela elle fait référence au modelé le plus connu de communauté en ligne, la plateforme collaborative Wikipédia dont le développement se fonde sur la participation des individus dans le but de rendre les informations accessibles à tous. Ainsi la communauté se fonde sur deux éléments que sont un regroupement de personnes et un projet commun.

Sur le sujet du regroupement de personnes, elle identifie la possibilité de voir collaborer à la fois des personnes morales (fondations, associations ou entreprises) mais aussi des personnes physiques. Elle mentionne que ces personnes peuvent avoir un rôle actif ou non dans la production des connaissances, ce rôle pouvant-être matériel (ex : hébergement du site, codage …) ou intellectuel (ex : pour la plateforme Wikipédia cela consiste dans la rédaction du contenu des pages) ; le tout sans jamais être noyé dans la communauté tant l’identification et l’individualisation représentent des valeurs capitales, la participation étant parfois portée par le « capital d’occupation » c’est-à-dire la recherche de reconnaissance, du savoir et de la faculté à participer à un projet commun.

De même, l’interaction entre les membres étant à la base du fonctionnement de la communauté, il apparaît alors essentiel d’assurer un mécanisme d’identification des personnes (identification civile ou par pseudonyme).

Sur le projet commun, l’auteure mentionne l’idée d’une « conscience sociale commune c’est-à-dire la conscience qu’ont ces personnes de participer à un objectif commun ». L’idée de projet commun est essentielle car il ne s’agit pas de regrouper les individus par le biais d’un lien géographique ou professionnel, mais bien par le biais d’un « élan », d’une force portant chaque membre de la communauté vers l’objectif commun.

Les communautés ouvertes dégagent plusieurs caractéristiques. Elles sont poreuses (l’adhésion à la communauté se fait sur la base de la liberté des parties qui peuvent entrer ou sortir de celle-ci en fonction de leur ressenti quant à la conscience sociale ou au sentiment d’appartenance à la communauté), et leurs contours sont flexibles (on y trouve ainsi trois cercles : les fondateurs de la plateforme, les producteurs de connaissances et les utilisateurs qui participent à la production par leurs commentaires). Ces caractéristiques peinent à s’accorder avec les caractéristiques juridiques de la personne morale car il n’existe pas de rapport aux biens, l’entrée et la sortie sont libres, les contours de la communauté ne sont pas déterminables, et le rôle de chacun des membres dépend de la volonté de ces derniers. Cette flexibilité conduit à ne pas avoir recours au modèle juridique disponible pour définir le fonctionnement du groupe de personnes, ce qui engendre des difficultés car, comme il n’existe pas de moyen de représentativité qui englobe l’ensemble des membres du groupe l’auteure pose la question de la représentativité de la communauté vis-à-vis des tiers.

Cette flexibilité se retrouve également dans les règles de fonctionnement de la communauté qui doit créer ses propres règles. Cela permet une adaptation de la communauté à son évolution et à celle de son objet commun, et participe à son dynamisme. Les règles de fonctionnement sont gouvernées par des principes qui vont régir le projet commun. Une fois que ces règles sont fixées, on parle de contrat communautaire auquel adhèrent nécessairement les membres de la communauté.  Cela se traduit sous forme de contrat, de charte rédigée en amont. Le fonctionnement interne des ces communautés est quant à lui garanti le plus souvent par les usages.

La qualification des communautés : faut-il trancher ?

Ces questions permettent de définir le fonctionnement interne de ces communautés mais de cela découle ensuite une autre question : quel est le statut des connaissances qui découlent de la communauté ?

Dans ces communautés, c’est la participation de chacun qui permet la réalisation de l’objectif commun. Il y a acte de création, cependant cet acte ne correspond pas au modele de l’auteur tel qu’il est appréhendé dans la propriété intellectuelle, il y a alors une pluralité de qualification possible. L’auteure mentionne que le projet des communautés est l’accès et la jouissance d’une production commune donc il n’y a pas d’exclusivité individuelle dans le rapport des membres de la communauté aux connaissances produites. Il n’existe pas de rapport étroit entre la chose et la personne qui caractérise la propriété ; le bien n’est pas lié à un membre de la cté, il y a une absence de partage des richesses, une absence de rapport privilégié au bien mais également une cohabitation des intérêts individuels et des intérêts collectifs et sociaux. L’évolution constante des communautés, et par là même celle des biens, induit également une absence de temporalité rendant le lien impossible. L’auteure en arrive alors à la conclusion que l’articulation des communautés peut faire l’objet de deux schémas :

  • Le premier prend le parti de la distinction : les différences étant tellement importantes que l’on ne peut alors plus parler de propriété mais de bien commun. Si l’on considère que les biens communs entrent dans la théorie de la propriété on obtient alors d’une part, une propriété individuelle définissant une relation entre personne et bien avec une finalité individuelle et d’autre part, une propriété collective qui décrit une relation entre personnes qui a une finalité sociale collective. Or l’évolution de la propriété intellectuelle entraine toute une gradation possible dans la distinction, source de nombreuses complications.
  • Le second schéma se place davantage dans une logique englobante : il s’agit de faire évoluer la notion de propriété en prenant en compte la notion telle qu’on la connaît, et en y ajoutant une propriété collective. La propriété collective est multiforme, elle varie en fonction du projet collectif, de l’objet. Le régime primaire de la propriété intellectuelle (partage des connaissances, de la production) et un régime conventionnel, or ici rien n’est résolu car dire qu’il y a partage retombe sur toute la distinction des notions comme bien ouvert, liberté, ouverture et créé finalement une ambiguïté qui conduit à une insécurité juridique et à pervertir des projet qu’était celui de produire ensemble et de transmettre ces productions.

Cette ambiguïté pose alors la question de savoir si le partage des productions se trouve dans la sphère marchande ou non marchande.

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