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Numérisation et indexation: Google et la Doctrine Américaine du «Fair Use»

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Michael Chevalier est étudiant dans le cadre du cours DRT 6903 (UdeM)
15 novembre 2013
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«Google Books» est le service de librairie en ligne offert par Google. La numérisation de textes s’est amorcée dès 2004 avec la mise en place de deux programmes, le «Partner Program» et le «Library Program». Alors que le premier implique la diffusion de contenu fourni par les auteurs, le deuxième est un service qui permettait de consulter les documents «scannés» en provenance de grandes bibliothèques et universités. Ces deux programmes composent le service «Google Books». Avec un volume de livres numérisés dépassant les 20 millions, cette bibliothèque en ligne est définitivement la plus grande en son genre.

Notons qu’il y a une différence fondamentale entre les deux programmes. D’abord, le «Partner Program» implique que le partenaire fournit le document à Google avec son consentement ainsi que les modalités de diffusion. À l’inverse, le «Library Program» est le résultat d’ententes bilatérales entre Google et une bibliothèque, qui n’implique pas nécessairement le consentement de l’auteur. De façon générale, ces ententes se résument à la numérisation d’ouvrages par Google contre la possibilité de télécharger cette copie numérisée pour les bibliothèques. À titre illustratif,  le «Partner Program» est composé d’environ 2.5 millions de livres, alors que le «Library Program» est composé de plus de 20 millions de livres.

Cette bibliothèque est donc constituée d’une grande majorité de livres, souvent protégés par le droit d’auteur, dont les ayants-droits n’ont pas fourni le consentement à la copie et à la diffusion. Pour tempérer cette absence de consentement, Google s’est assuré de limiter la consultation des ouvrages du «Library Program» par divers moyens techniques. Ces moyens inclus notamment un affichage sélectif en fonction des termes de recherche utilisés, des sections de titres «black-listed» (qui ne seront pas affichées sans égards aux termes de recherche utilisés) et un résumé du livre associé à une référence aux vendeurs et/ou bibliothèques où le livre est disponible.

C’est en raison de cette utilisation sans le consentement de l’auteur qu’une procédure en justice, sous forme de recours collectif, est introduite aux États-Unis dès 2005. Sans pouvoir arriver à un règlement hors cour en 2011, un juge américain a rendu, cette semaine, une décision fortement en faveur de Google.

Résumé

Le juge établit qu’il y a, à première vue, une violation du droit d’auteur lorsque Google reproduit, conserve et diffuse les textes, sans le consentement de l’auteur. (17 U.S.C. § 106(1),(3) et (5)). Toutefois, on permet à Google de faire valoir une défense de «fair use». (17 U.S.C. § 107)

Le concept de «fair use» en droit américain est une exception au droit d’auteur lorsque l’utilisation de l’oeuvre protégée permet de remplir les mêmes objectifs que le droit d’auteur tente d’atteindre. Cet objectif consiste notamment à promouvoir les arts et les sciences, tout en assurant une protection suffisante des auteurs et de la créativité.  À cet effet, le juge cite la Cour Suprême des États-Unis en expliquant : « [f]rom the infancy of copyright protection, some opportunity for fair use of copyrighted materials has been thought necessary to fulfill copyright’s very purpose.« » (à la page 16 de la décision)

Pour se prévaloir de cette défense, Google avait à démontrer que selon le contexte, l’utilisation était équitable. Le contexte peut être établie à l’aide de certains facteurs :  (1) les fins de l’utilisation étaient éducatives ou commerciales, (2) la nature de l’oeuvre, (3) l’ampleur de l’utilisation et (4) les effets de l’utilisation sur le marché potentiel de l’oeuvre protégée.

Puisque Google ne tire aucun profit direct de la diffusion des oeuvres (aucune publicité et aucune vente de scans), le juge reconnait que le «Library Program» constitue un outil fort utile en matière de recherche et d’éducation. Il explique ensuite que selon le droit américain, la nature (oeuvre autre que fiction et publiée) milite également en faveur de la défense de «fair use». En ce qui concerne l’ampleur, on admet que c’est le document intégral qui est copié, mais en rappelant que seulement une partie du texte sera diffusé. Ce troisième facteur «weighs slightly against a finding of fair use» (à la page 24 de la décision). Pour ce qui est des effets sur le marché potentiel, le juge est catégorique et rejette les arguments du plaignant et donne raison à Google quant au fait que cette utilisation augmentera les ventes, élargira l’audience pour l’écrivain et est un outil fort utile pour les bibliothèques et librairies.

En pondérant ces facteurs, le juge atteint la conclusion que le service «Google Books» produit des bénéfices significatifs pour le public en avançant les arts et les sciences tout en maintenant une considération respectueuse envers le droit d’auteur.

Fair Use vs. Fair Dealing

Il existe également au Canada une doctrine du type «fair use», connue sous le nom de «fair dealing» (ou d’«utilisation équitable» en français). Cette exception au droit d’auteur est codifiée aux articles 29 et suivants de la Loi sur le droit d’auteur.

L’arrêt CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada est la référence canadienne lors de l’interprétation de l’exception de «fair dealing». La Cour suprême a estimé que cette exception au droit d’auteur est en fait un droit des utilisateurs, et qu’elle devrait faire l’objet d’une interprétation contextuelle.

Pour pouvoir bénéficier de ce droit des utilisateurs, la personne l’invoquant aura à prouver que l’utilisation de l’oeuvre est à des fins d’étude privée ou de recherche et qu’elle est équitable. Puisqu’aucune définition de ce qui est équitable n’est fournie par la loi, la jurisprudence a développé une liste de facteurs devant être pris en compte : «(1) le but de l’utilisation; (2) la nature de l’utilisation; (3) l’ampleur de l’utilisation; (4) les solutions de rechange à l’utilisation; (5) la nature de l’œuvre; (6) l’effet de l’utilisation sur l’œuvre» (CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, par. 53). Peu s’en faut pour constater que ces facteurs ont été inspirés de la doctrine américaine du «fair use».

La différence principale entre la doctrine américaine et canadienne se situe au niveau de la nomination expresse de certains facteurs lors de l’évaluation. Toutefois, bien que ces facteurs soient codifiés dans la loi américaine, cette dernière précise qu’ils sont importants, mais pas exhaustifs. Enfin, lorsqu’on compare le processus d’évaluation du «fair use» et du «fair dealing», on constate que les deux analyses sont fortement semblables et que si Google avait été une compagnie canadienne, les tribunaux auraient, en bout de ligne, considéré les mêmes facteurs pour arriver à leur décision.

Cela dit, la situation n’est pas encore réglée pour Google et sa défense «fair use», puisque les plaignants, The Authors Guild, ont annoncé qu’ils planifiaient porter la décision en appel.

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