Importante nouvelle dans le monde de la propriété intellectuelle au Canada à la fin du mois de janvier : 5 traités importants ont été déposés devant le Parlement, ce qui est la première étape en vue de leur ratification au Canada.
La nouvelle est importante parce qu’en matière d’adhésion aux systèmes internationaux de propriété intellectuelle (en marques de commerce à tout le moins), le Canada a fait jusqu’à maintenant cavalier seul en étant un des seuls pays industrialisé (sinon le seul) à être ni membre de l’Arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques (Classification de Nice) ni membre du Protocole relatif à l’Arrangement de Madrid concernant l’enregistrement international des marques (Protocole de Madrid). Comme le dit la chanson du célèbre manège de Disney, « There’s so much that we share, that it’s time we’re aware. It’s a small world after all! »
On suspectait depuis quelques mois que la nouvelle s’en venait tôt ou tard. Certaines des modernisations à la Loi sur les marques de commerce mises en place dans le Projet de Loi C-56 (réintroduit comme Projet de Loi C-8) avaient clairement pour but de mettre la table à l’harmonisation de la Loi avec certains traités internationaux, en particulier le Traité de Singapour sur le droit des marques.
Encore plus clair : Le résumé technique de l’Accord Économique et Commercial Global (AECG ou CETA, selon l’acronyme anglais) négocié entre le Canada et l’Union européenne mentionne que si le Canada n’a pas pris d’engagement ferme à ratifier les traités internationaux sur la PI, il a au moins pris « un engagement à consentir tous les efforts possibles pour se conformer aux normes et accords internationaux, afin de favoriser la mise en place de procédures plus efficaces en matière de marques commerciales, de dessins et de modèles ».
À cet égard, l’AECG mentionne explicitement le Protocole de Madrid (lequel ne peut être mis en place sans également adopter la Classification de Nice).
Madrid et Nice sont des noms qui font rêver, en cet hiver de vortex polaire, aux plages de galet et au soleil andalou, mais qu’en est-il pour les propriétaires de marques canadiennes?
It’s A World of Hope…
La bonne nouvelle est que ces deux traités mettent en place un système international d’enregistrement de marques de commerce. Une compagnie canadienne pourra donc se fonder sur une demande d’enregistrement déposée au Bureau des marques de commerce du Canada (BMCC) ou sur un enregistrement existant pour demander un enregistrement international.
Si une telle demande d’enregistrement international est présentée, le BMCC sera responsable de transmettre la demande au Bureau international (BI) en charge de la gestion des demandes internationales. Le BI aura alors pour mission de transmettre la demande internationale aux autres pays membres (les Parties contractantes) qu’aura désignés le déposant canadien. Les Parties contractantes auront jusqu’à 18 mois pour informer le déposant canadien du refus provisoire de la demande, auquel cas la demande fera alors l’objet de procédures supplémentaires dans les Parties contractantes où le déposant fait face à un tel refus. En l’absence de refus, l’enregistrement international aura force équivalente à un enregistrement national dans les Parties contractantes désignées.
Il s’agit donc d’un système par lequel il serait possible, pour une demande simple ne faisant pas face à des problèmes lors de l’examen dans les Parties contractantes, d’obtenir un enregistrement de marque de commerce quasi-mondial sans même retenir d’agent de marque de commerce ailleurs qu’au Canada (ou de ne devoir retenir un agent local que dans les juridictions où la demande fait face à des embuches). Que c’est beau!
Dans différentes publications au sujet du Protocole de Madrid, on note aussi les avantages suivants :
- Coûts moindres : Par exemple, pour une marque désignant 10 pays en vertu du Protocole, l’INTA estime que les coûts seraient d’environ 5,800$ au lieu d’environ 15,000$;
- Une gestion centralisée des changements de noms et d’adresse du propriétaire : Au lieu de faire affaire avec les offices nationaux et de payer des milliers de dollars en frais (en plus de gérer ce qui est souvent un épouvantable casse-tête) on peut déposer un amendement à une demande auprès du BI pour des frais de 100$.
… And A World Of Fears
La difficulté, c’est que le système d’enregistrement des marques de commerce au Canada aura besoin de beaucoup d’ajustements.
Je souligne en particulier le fait que pour l’instant une demande d’enregistrement de marque de commerce au Canada peut contenir autant de marchandises et services qu’on le désire sans que cela n’influence les taxes pour la poursuite de la demande devant le BMCC. Avec l’adoption de la Classification de Nice cependant (un système de classification où tous les marchandises et services imaginables sont classés en 45 différentes classes), il faut s’attendre à ce que la pratique canadienne soit ajustée pour faire en sorte qu’au-delà d’un certain nombre de classes de marchandises ou services (probablement 3, puisque c’est ce que prévoit l’article 8(2) du Protocole), un déposant devra payer des frais supplémentaires (comme c’est le cas aux États-Unis).
L’OMPI a mis en place un outil en ligne pour aider au calcul des frais pour une demande internationale en vertu du Protocole de Madrid.
Plus généralement, en vertu du Protocole de Madrid, il y a beaucoup de nouvelles responsabilités qui tombent sur le BMCC. Celui-ci devient en effet responsable de la coordination et des communications avec le BI. Or, les délais devant le BI en vertu du Protocole sont plus serrés que ce à quoi on a l’habitude au Canada.
Par exemple, si le BI constate qu’il y a une erreur dans la classification des marchandises ou services, la Règle 13 du Règlement prévoit que l’Office d’origine (dans le cas d’un déposant canadien, le BMCC), doit remédier aux irrégularités dans les 3 mois. On parle ici de 3 mois pour permettre au BMCC de: (1) recevoir, classer et « docketer » l’avis du BI avisant de l’irrégularité (2) transmettre l’avis au déposant pour commentaires (3) recueillir les commentaires du déposant (4) vérifier les commentaires du déposant (5) transmettre une réponse au BI. Or, présentement, le BMCC peine à respecter ses propres « Normes de services à la clientèle », notamment son « engagement » à émettre un premier rapport officiel dans les 6 mois du dépôt d’une demande. On peut donc s’attendre à ce que le BMCC doive considérablement réorganiser ses pratiques et augmenter ses ressources afin de faire face à la musique suite à la ratification du Protocole de Madrid.
Au surplus, le BMCC aura le nouveau rôle de devoir traiter les demandes internationales désignant le Canada comme un pays où un déposant étranger souhaite étendre sa protection. On sait que le Canada est une juridiction particulièrement méticuleuse, voir tatillonne, dans sa façon d’exiger que les marchandises et services contenus dans une demande soient définis de façon très précises. Jusqu’à maintenant, un déposant étranger devait toujours faire affaire avec un agent canadien qui pouvait s’assurer que la demande initiale canadienne remplissait (au moins à peu près) les exigences canadiennes. Avec le Procotole de Madrid, le BMCC recevra probablement bon nombre de demandes sans avoir le bénéfice que ces demandes soient passées entre les mains d’un agent canadien avant leur dépôt au Canada.
Enfin, un des grands défis du BMCC viendra du fait que selon le Procotole de Madrid, le BMCC devra compléter l’examen des demandes internationales désignant le Canada dans les 18 mois de leur réception. Compte tenu des délais actuels de l’examen auprès du BMCC, cela prendra un sérieux coup de barre (tant auprès du BMCC que chez les professionnels) puisque je suspecte que la poursuite de la majorité des demandes déposées au Canada prend plus que 18 mois.
Ce n’est pas demain que tous ces beaux changements entrerons en vigueur, mais j’espère vous avoir donné un certain avant-goût d’un futur qui n’est pas si lointain, en espérant pouvoir y chanter avec vous cette jolie (ou insupportable, selon les goûts) ritournelle… It’s a world of laughter, a world of tears. It’s a world of hopes and a world of fears. There’s so much that we share that it’s time we’re aware. It’s a small world after all!
En guise de complément d’information, on peut se référer au document « Les incidences juridiques et techniques de l’adhésion du Canada au protocole de Madrid » sur le site de l’OPIC.