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L’application Dubsmash viole-t-elle les droits d’auteur?

Étudiante dans le cadre du cours DRT6929O
12 mars 2015
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Le 18 novembre 2014 dernier, une startup allemande a lancé l’application Dubsmash, une application qui permet de se filmer en playback sur des bandes sonores populaires allant de répliques de blockbusters américains à des bruits d’animaux. Les utilisateurs peuvent créer des vidéos d’eux-mêmes en faisant du lip-sync sur des extraits audios originaux, qu’ils partagent ensuite sur les réseaux sociaux.

L’application a connu un succès instantané. Elle a été téléchargée des milliers de fois en France et en Allemagne dans les premières semaines suivant son lancement. Elle est aujourd’hui disponible dans 29 pays, dont le Canada. Dubsmash soulève toutefois des préoccupations importantes, qui ont déjà fait couler beaucoup d’encre en France, notamment en ce qui a trait aux droits d’auteur.

L’application héberge des bandes sonores dont elle ne possèderait pas les droits de diffusion. Elle permet le téléversement d’extraits qui sont aussitôt mis à la disposition des autres utilisateurs de la plateforme. Elle ne donne toutefois aucune mise en garde contre la violation des droits d’auteur lors du téléversement des extraits. Cette pratique constituerait-elle de la contrefaçon?

La responsabilité du fournisseur de service

Afin de limiter sa responsabilité, les conditions d’utilisations de Dubsmash spécifient que l’application n’agit qu’à titre d’hébergeur de contenu : « You acknowledge and agree that we are merely a passive conduit and hosting service for User Content and that we play no active role in the distribution or presentation of User Content. » Selon l’article 22 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (LCCJTI) :

Le prestataire de services qui agit à titre d’intermédiaire pour offrir des services de conservation de documents technologiques sur un réseau de communication n’est pas responsable des activités accomplies par l’utilisateur du service au moyen des documents remisés par ce dernier ou à la demande de celui-ci.

La loi dispose que l’hébergeur, en tant qu’intermédiaire technique, n’engage sa responsabilité qu’au moment où il prend connaissance des activités illicites et qu’il n’agit pas rapidement pour les retirer.

Cependant, il se peut que Dubsmash ne puisse se prévaloir d’une diminution de sa responsabilité si le but même de la technologie offerte est de porter atteinte aux droits d’auteur. Au Canada, les droits d’auteur sont encadrés par la Loi sur le droit d’auteur (LDA). L’application pourrait contrevenir à l’article 27(2.3) LDA en « fourni[ssant] un service sur Internet ou tout autre réseau numérique principalement en vue de faciliter l’accomplissement d’actes qui constituent une violation du droit d’auteur. » Malgré le fait que l’application Dubsmash tente de s’exonèrer de sa responsabilité face au contenu possiblement illicite qu’elle héberge sur sa plateforme, elle pourrait subir des accusations de contrefaçon par fourniture de services et de moyens.

La responsabilité des utilisateurs

Les utilisateurs engageraient leur responsabilité si les activités qu’ils réalisent sur Dubsmash sont considérées comme illégales, car se sont eux qui téléversent, modifient et partagent les extraits. Toutefois, la Loi sur le droit d’auteur (LDA) prévoit quelques exceptions qui pourraient les protéger de tous recours.

L’exception de la courte citation

L’article 3(1) LDA protège les droits d’auteur de nature économiques qui donnent l’exclusivité à leurs titulaires de distribuer, de vendre, de diffuser et de reproduire l’œuvre en question. Or, cet article dispose que « la totalité ou une partie importante de l’œuvre » doit être reproduite. Dans le cas de Dubsmash, il ne s’agit que de courtes séquences qui durent entre 3 et 10 secondes. Il n’y a donc pas de reproduction d’une « partie importante de l’œuvre » au sens de la loi.

L’exception de la parodie

Pour se protéger des recours, les utilisateurs pourraient aussi invoquer une nouvelle exception aux droits d’auteur qui est entrée en vigueur en 2012. Cette exception vise l’utilisation équitable d’une œuvre aux fins de parodie ou de satire, tel qu’en dispose l’article 29 LDA.

Seule la Cour peut juger d’une telle équité. Toutefois, la Cour suprême du Canada dans l’affaire CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, nous a donné certains critères pris en compte pour déterminer le caractère « équitable » de l’utilisation des œuvres :

  •   La « nature de l’utilisation » serait considérée équitable, car elle n’a pas de finalité économique pour les utilisateurs. Les séquences créées sont souvent diffusées largement sur les médias sociaux dans le seul but de divertir.
  •   L’ « ampleur de l’utilisation » est minime, ce qui ne violerait pas les droits d’auteur.
  •   L’ « effet de l’utilisation » ne concurrencerait pas l’œuvre originale, car elle est destinée à un public différent.

Au regard de ces critères, Dubsmash ferait vraisemblablement une utilisation équitable des œuvres. Quant à la nouvelle exception de la parodie prévu à l’article 29 LDA, elle n’a pas encore été étudiée par les tribunaux canadiens. Pour bénéficier de cette exception, on se contentera pour l’instant de se baser sur les critères retenus dans d’autres pays :

1.L’œuvre est une parodie 

Il s’agit bien de parodies, car l’intention des utilisateurs est de faire rire, sans intention de nuire aux œuvres originales.

2. L’œuvre ne concurrence pas la première

Il n’y a pas de concurrence entre les œuvres, car les parodies ne sont pas destinées au même public et n’ont aucune finalité économique.

3. Il n’y a pas de confusion entre l’œuvre et la parodie

Il est certain que les extraits créés par Dubsmash ne seront pas confondus avec les œuvres originales, car ils ne reprennent que les bandes sonores. Les contenus vidéos sont créés par les utilisateurs, ce qui les rend très différents des œuvres originales.

En somme, Dubsmash pourrait probablement se voir accorder l’étiquette de « parodie » devant un juge, étant donné que la finalité principale des vidéos créées est l’humour, qu’elles ne concurrencent pas les œuvres originales et qu’un consommateur moyen ne serait pas confus entre l’œuvre originale et la parodie. Les utilisateurs canadiens de Dubsmash n’ont donc pas à s’inquiéter que l’utilisation de l’application constitue de la contrefaçon et peuvent ainsi continuer à partager leurs selfies-vidéos de leur talents musicaux.

 

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