La semaine dernière, avec l’élection de Justin Trudeau comme premier ministre, Bruno Guglielminetti, se posait une question de circonstance : Est-ce que Stephen Harper remettra son compte Twitter, @premierministre, à Justin Trudeau?
C’est la règle du premier arrivé, premier servi, qui régit l’attribution des noms des comptes des utilisateurs Twitter. Tout dernier venu chez Twitter s’est frotté à cette règle. Stephen Harper, lui, a de toute évidence été le premier a ouvrir un compte au nom de @premierministre. N’étant plus premier ministre, on peut présumer que M. Harper supprimera son compte.
Mais s’il ne le fait pas? Justin Trudeau peut-il l’y contraindre?
En cas d’usurpation d’identité, le compte peut être suspendu par Twitter (voir à cet égard la politique en matière d’usurpation d’identité de Twitter). Pour Twitter, l’usurpation d’identité consiste à « l’activité des comptes Twitter se faisant passer pour une autre personne dans le but de semer la confusion ou d’induire en erreur ». Il faudrait donc qu’il y ait de l’activité dans le compte de @premierministre et que ces activités soient du type à semer la confusion parmi les lecteurs – ce qui, présentement, n’est pas le cas. De plus, la fonction, aussi unique et prestigieuse soit-elle, n’est pas synonyme d’identité : ce n’est pas un renseignement personnel rattaché à un individu particulier.
Une solution pour Justin Trudeau serait de signaler le compte comme étant inactif, conformément à la politique relative aux comptes inactifs de Twitter. Encore faudra-t-il être patient puisque la politique stipule qu’un compte ne sera pas inactif si l’utilisateur s’y connecte dans les six mois de la dernière mise à jour :
« Pour que votre compte reste actif, veillez à vous connecter et à Twitter (c’est-à-dire à publier une mise à jour) dans les six mois suivant votre dernière mise à jour. »
Suspendu ou inactif, un compte n’est pas transférable par Twitter. En effet, Twitter ne prévoit pas de mécanisme de transfert de noms d’utilisateur et l’achat est prohibé. À la question « Puis-je réclamer un nom d’utilisateur spécifique? », Twitter répond :
« Nous ne sommes actuellement pas en mesure de prendre en charge les demandes individuelles relatives à des noms d’utilisateur inactifs ou suspendus. Nous pourrons rendre tous les noms d’utilisateur inactifs et/ou suspendus accessibles ultérieurement, mais nous n’avons pas encore défini de date précise à laquelle cela sera fait. »
Les recours, pour une personne physique, afin de récupérer un compte d’utilisateur déjà utilisé sont donc limités.
Il en va par contre autrement pour les personnes morales. En effet, dans les cas où il y a violation de la politique en matière de marques déposées sur Twitter, le nom d’utilisateur pourra être rendu disponible pour le détenteur de la marque déposée correspondante. Il y a violation de la politique lorsqu’un
« nom d’une entreprise ou d’une société, son logo ou d’autres contenus protégés en rapport avec une marque déposée (est utilisé) d’une façon pouvant induire en erreur ou tromper d’autres personnes quant à l’affiliation de l’entreprise ou de la marque. »
Le traitement que fait Twitter des comptes d’utilisateur qui utilisent des marques de commerce déposées par un tiers s’inscrit dans le sens des Principes directeurs pour un règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine adoptés en 1999 par l’ ICANN. Ces principes, fondés sur le droit en matière de marques de commerce, régissent la résolution des litiges en ligne obligatoire portant sur les noms de domaine. Ils ont été adoptés par la communauté internationale afin de résoudre certaines contradictions entre l’attribution de marques de commerce et celle de noms de domaine. Il nous semble que l’importance de plus en plus grande de Twitter comme outil de promotion et de marketing par les entreprises, pourrait aussi conduire à l’adoption d’un régime de résolution de litiges en ligne un peu plus formel que ce que propose présentement Twitter, comme ce fut le cas, il y a de cela vingt ans pour les noms de domaine.
D’ailleurs, les tribunaux reconnaissent la valeur des comptes Twitter et Facebook dans la stratégie de protection de marques de commerce. Par exemple, dans l’arrêt Media Group Corp. c. Black Press Group, la Cour fédérale, donnant raison au demandeur propriétaire de la marque déposée « New Home Living », a ordonné au défendeur de cesser d’utiliser cette marque et de transférer au demandeur non seulement le nom de domaine mais aussi la page Facebook et le compte Twitter contenant l’expression « New Home Living ».
Mais pour revenir à la question posée par Bruno Guglielminetti, n’étant pas une marque de commerce et ne désignant pas un individu particulier, le compte @premierministre appartient tout à fait légitimement à un ancien premier ministre. À noter que le compte @ancienpremierministre est toujours disponible…