Le 19 octobre dernier, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le « CRTC ») a publié deux décisions renforçant la portée de la Loi canadienne anti-pourriel (la « LCAP »).
Dans un billet de blogue précédent, nous avons traité de la première décision du CRTC qui sanctionnait les violations de CompuFinder à plusieurs principes énoncés dans la LCAP.
Dans ce bulletin, nous passerons en revue la deuxième décision rendue par le CRTC qui vient asseoir la constitutionnalité de la LCAP. En effet, après la signification du procès-verbal de violation par le CRTC à CompuFinder, cette dernière a présenté des observations en contestation de la constitutionnalité de la LCAP.
CompuFinder soutenait entre autres que :
- Plusieurs dispositions de la LCAP ainsi que des règlements connexes seraient inconstitutionnelles, incluant notamment la définition de « message électronique commercial » (« MEC »), l’objet même de la LCAP, les dispositions relatives à l’interdiction d’envoi de MEC non sollicités ou encore les dispositions relatives au consentement tacite et exprès;
- La LCAP n’a pas été validement adoptée, car elle ne serait pas intra vires des pouvoirs législatifs du Parlement fédéral en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867;
- La LCAP contreviendrait à la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte ») notamment parce qu’elle porterait atteinte à la liberté d’expression et qu’elle permettrait au CRTC d’imposer des sanctions pénales sans offrir des garanties procédurales nécessaires.
Le caractère intra vires des pouvoirs législatifs du Parlement fédéral
Le CRTC a conclu que la LCAP est valide en ce qu’elle est intra vires des pouvoirs du Parlement fédéral en matière de trafic et de commerce en vertu de l’article 91 (2) de la Charte.
En outre, après avoir procédé à l’analyse des critères énoncés par la Cour suprême du Canada pour déterminer la validité constitutionnelle dans le cadre d’une analyse de la division des pouvoirs, le CRTC a déterminé l’intention essentielle de la LCAP et a déterminé que celle-ci relève du chef de compétence générale en matière de trafic et de commerce.
L’intention essentielle de la LCAP. Le CRTC a conclu que l’intention essentielle de la Loi est de réglementer un certain nombre de menaces électroniques dont les MEC non sollicités pouvant faire office de véhicule à de nombreuses autres menaces électroniques dont les attaques d’hameçonnages. En outre, l’effet direct de la Loi est la mise en œuvre d’un régime réglementaire fédéral axé sur certains aspects précis de l’économie numérique du Canada.
L’intérêt national de la LCAP. Le CRTC est arrivé à la conclusion que les questions visées par la LCAP ne sont pas d’intérêt purement local, mais plutôt d’une importance capitale pour l’économie canadienne. En effet, la LCAP concerne un vaste domaine ayant des conséquences pour l’économie dans son ensemble, les effets néfastes dépassent de ce fait les limites provinciales. Par ailleurs, le CRTC rappelle qu’avant l’entrée en vigueur de la Loi, aucune province n’avait réglementé ou pour projet de réglementer l’envoi de MEC.
Une atteinte à la liberté d’expression justifiée dans une société libre et démocratique
Le CRTC reconnaît qu’il est évident que les MEC servent à transmettre un message et sont de ce fait protégés. Ainsi, l’interdiction imposée par la LCAP relativement à l’envoi de MEC sans consentement, de même que les dispositions connexes, restreignent, de par leur objet et leur effet, la capacité de CompuFinder de transmettre ce message. Toutefois, cette atteinte est, selon le CRTC, justifiée par l’article 1 de la Charte.
La justification de l’atteinte à la liberté d’expression à l’aune du test de Oakes
i) Une restriction prescrite par une règle de droit
CompuFinder estimait que cette violation ne se justifiait pas en vertu de l’article premier de la Charte en ce que la LCAP n’établirait pas une norme juridique intelligible. CompuFinder arguait du fait que la Loi manquerait de précision sur certains concepts. À cet égard, l’organisation soutenait notamment que la définition de MEC serait « tellement vague que le public ne peut pas savoir avec certitude à quoi elle s’applique ». Toutefois, le CRTC a conclu que bien qu’elle soit vaste, non seulement la définition de MEC demeure précise au sens pertinent, mais qu’en plus, il convient de lire les définitions de la Loi dans le contexte global du régime de réglementation dont elle fait partie.
ii) Un objectif législatif urgent et réel
Le CRTC a affirmé que l’objectif visé par la LCAP est urgent et réel. Les statistiques, documents et nombreuses analyses prouvent l’existence des pourriels et d’autres menaces électroniques ainsi que les répercussions qu’ils engendrent pour les entreprises et les consommateurs Canadiens. Dans ce contexte, le CRTC a reconnu qu’il est nécessaire d’adopter des lois pour contrer ces menaces à travers le monde.
iii) Une restriction proportionnelle aux objectifs visés par la LCAP
CompuFinder soutenait que seuls les organisations et individus Canadiens sont assujettis à la LCAP. De ce fait, cette Loi créerait des atteintes à l’activité commerciale et ne protégerait pas efficacement les Canadiens en ce sens que des pourriels peuvent émaner de l’étranger. Le CRTC a affirmé qu’il est raisonnable de restreindre une activité qui présente des risques afin de les réduire. Le CRTC a par ailleurs rappelé que d’une part les MEC constituent des menaces à la sécurité, mais qu’en plus, ils peuvent entrainer des coûts pour les Canadiens. En outre, les effets bénéfiques de la LCAP ont été prouvés depuis son entrée en vigueur.
iv) Des atteintes minimales
CompuFinder déplorait entre autres que la LCAP interdise tous les MEC, même ceux qui seraient envoyés dans le but d’obtenir un consentement. L’organisation contestait le fait que l’interdiction d’envoi de MEC s’applique sans aucune exemption de minimis à la Loi. Néanmoins, le CRTC est arrivé à la conclusion que la LCAP est raisonnablement adaptée à l’objectif de gérer les menaces électroniques pesant sur l’économie numérique canadienne et de ce fait, respecte l’exigence de l’atteinte minimale.
v) L’existence d’une proportionnalité globale entre les effets bénéfiques des dispositions contestées et les effets préjudiciables de la mesure restrictive
Le CRTC a souligné que la LCAP occupe une place importante auprès des Canadiens en ce sens que non seulement la population est consciente de l’existence de cette Loi, mais qu’en plus les Canadiens sont enclins à formuler des plaintes formelles à la réception de MEC non sollicités. De même, bien que le CRTC a reconnu que les MEC ne proviennent pas systématiquement d’expéditeurs malveillants, il n’en demeure pas moins que ces messages ont toujours une composante économique ou commerciale. En ce sens, même si les MEC sont une forme d’expression commerciale reconnue comme une grande valeur par la Cour suprême du Canada, ce type d’expression ne s’inscrit pas dans les valeurs fondamentales de la liberté d’expression . Ainsi, toutes les expressions ne méritent pas la même protection. Par ailleurs, le CRTC a insisté sur le fait que la LCAP n’interdit pas l’envoi de tous les MEC. En effet, il existe une seule condition préalable à respecter, à savoir celle d’obtenir un consentement préalable du destinataire ainsi que l’expéditeur s’identifie correctement et qu’un mécanisme d’exclusion adéquat soit inclus au message. Ainsi, les effets préjudiciables ne l’emportent pas suffisamment sur les avantages des dispositions pour le bien public.
L’inexistence d’une violation des articles 11, 7 et 8 de la Charte
Cet article énonce plusieurs droits automatiquement octroyés à toute personne inculpée dans les affaires criminelle et pénale afin d’assurer des garanties procédurales nécessaires. Toutefois, selon CompuFinder, l’organisation n’aurait pas bénéficié des garanties procédurales octroyées par la Charte telles que le droit d’être présumée innocente jusqu’à preuve du contraire ou encore le droit à un procès équitable devant un arbitre impartial et indépendant. Cependant, le CRTC a conclu que malgré le fait que d’importantes sanctions administratives pécuniaires puissent être imposées en vertu de la LCAP, la Loi n’impose pas pour autant de sanctions pénales. Pour arriver à cette conclusion, le CRTC a notamment rappelé que l’objet de la LCAP est de nature réglementaire et ne se fonde pas sur une approche pénale. De la même manière et pour les mêmes raisons, puisque les procédures en vertu de la LCAP sont de nature administrative et non pénale, l’existence d’une violation de l’article 7 et 8 de la Charte n’est également pas établie.
Conclusion
Le CRTC a donc confirmé la constitutionnalité de la LCAP et est venu asseoir la portée et la nécessité de ladite Loi. Il reste désormais à voir si CompuFinder décidera de se conformer aux deux décisions rendues ce 19 octobre ou décidera d’interjeter appel de celles-ci.
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