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Assurance auto, preuve électronique

5 octobre 2020
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La plupart des entreprises adoptent de plus en plus la politique du paperless. Des documents officiels tels que des factures, des relevés bancaires et même les avis de cotisation émanant des autorités fiscales peuvent faire l’objet d’un envoi par courriel ou via une boîte de messagerie sécurisée. Depuis plusieurs années, on peut constater qu’il s’agit là d’une solution idéale pour toute sorte de raisons. Tout récemment je recevais par courriel de la compagnie d’assurance qui assure mon véhicule un message m’indiquant que le renouvellement de mon contrat d’assurance auto est présentement disponible, et en toute lettre il était indiqué :

« Vous devez imprimer vos cartes d’assurance auto ou conserver votre preuve d’assurance électronique. »

Étant bien au fait que le code de la sécurité routière prévoit que

«  La personne qui conduit un véhicule routier ou qui en a la garde ou le contrôle doit avoir avec elle le certificat d’immatriculation du véhicule ou une copie de celui-ci, sauf dans les 10 jours de l’immatriculation, ainsi que l’attestation d’assurance prévue par la Loi sur l’assurance automobile (chapitre A-25). » (Code de la sécurité routière, chapitre C-24.2, http://legisquebec.gouv.qc.ca/fr/showdoc/cs/c-24.2).

J’étais donc curieuse de savoir quel était l’encadrement juridique d’une telle mention.

Dans une affaire de 2019, Ville de Saint-Eustache c. Lehoux, 2019 QCCM 39, un homme est intercepté par un policier et doit remettre à ce dernier son certificat d’immatriculation ainsi que son attestation d’assurance. (Aux fins des présentes, le motif de l’arrestation n’est pas pertinent) Or, il se trouve que l’homme n’a, suivant son témoignage à la cour, jamais reçu par la poste ladite attestation d’assurance et s’est donc servi du document électronique qu’il avait alors reçu par courriel de l’assureur en 2017, soit la note de couverture contenant les informations exigées par Loi sur l’assurance automobile, tel que notamment :

« 1.   le nom et l’adresse de l’assureur;

2.   le nom et l’adresse du propriétaire de l’automobile et, le cas échéant, de la personne assurée;

3.   le numéro de la police et la période de validité de cette dernière; […]

6.   toute autre mention déterminée par règlement du gouvernement. » (Loi sur l’assurance automobile, RLRQ c A-2, art. 97)

Parmi les articles de loi ayant fait l’objet de l’analyse par la Cour se trouvaient non seulement le Code de la sécurité routière  et la Loi sur l’assurance automobile précités, mais également la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (« LCCJTI »),  laquelle, soit dit en passant, fêtera bientôt ses 20 ans d’existence et fait actuellement l’objet de nombreuses critiques par la communauté juridique.

Les questions soulevées dans la décision précitée étaient les suivantes :

«[ 3]   Est-ce qu’à l’article 35 du Code de la sécurité routière, lorsqu’il est question que le conducteur doit avoir avec lui l’attestation d’assurance, cela permet la possession d’une copie ?;

 [4]   Si oui, la copie électronique respecte-t-elle les exigences du législateur ? »

À la première question le Juge en vient à la conclusion que non. Suite à son analyse des articles à l’étude, seule la copie du certificat d’immatriculation est permise, quant à l’attestation d’assurance, seule la copie avec la mention « duplicata » est acceptée pour les motifs invoqués dans le jugement. (lire les paragraphes 19 à 23 de la décision).

À la seconde question entre en scène la LCCJTI, plus particulièrement la notion d’équivalence fonctionnelle. Mentionnons tout d’abord que La LCCJTI a pour objet d’assurer « l’équivalence fonctionnelle des documents et leur valeur juridique, quels que soient les supports des documents, ainsi que l’interchangeabilité des supports et des technologies qui les portent » et précise au deuxième paragraphe de son article premier ce qui suit, tel que cité par la cour :

’ « À moins que la loi n’exige l’emploi exclusif d’un support ou d’une technologie spécifique, chacun peut utiliser le support ou la technologie de son choix, dans la mesure où ce choix respecte les règles de droit, notamment celles prévues au Code civil

Ainsi, les supports qui portent l’information du document sont interchangeables et, l’exigence d’un écrit n’emporte pas l’obligation d’utiliser un support ou une technologie spécifique. »

Dans son analyse, le juge conclu que le document électronique qui était en la possession du défendeur ne pouvait être utilisé puisqu’au regard des articles du Code de la sécurité routière, il lui apparaissait clair que l’utilisation du mot « attestation » par le législateur visait à assurer « une authenticité du document et de son support’ ». Il cite par ailleurs l’article 71 de la LCCJTI, qui, suivant ses conclusions « n’inclut pas spécifiquement le terme « attestation » dans la notion de document prévue par la loi.

Des enjeux de charte des droits et libertés ont également été mis en cause, en évoquant entre autres qu’ «il n’est pas  fonctionnel » qu’un policier qui intercepte un individu sur le bord d’une route ait accès au cellulaire de cet individu.

Pour tous les motifs invoqués dont je n’ai pas fait une liste exhaustive, le tribunal conclut qu’il n’était pas de l’intention du législateur de permettre dans ce cas une preuve par support électronique.

Dans un avis adressé aux assureurs par l’Autorité des marchés financiers le 31 octobre 2019, cette dernière informait les assureurs que la preuve électronique d’assurance automobile était acceptée par les autorités. Elle leur rappelait par ailleurs que suivant la LCCJTI, que c’est à l’assuré que revenait le choix du support sur lequel il souhaitait recevoir des documents d’assurance. L’AMF recommandait également aux assureurs de mettre à la disposition des assurés des

« applications sécuritaires, faisant en sorte que les responsables de l’application de la loi (p. ex. les policiers) aient accès aux renseignements nécessaires à l’exercice de leurs fonctions, sans pour autant leur permettre d’accéder à d’autres renseignements ou à d’autres contenus qui se retrouvent dans les appareils électroniques utilisés pour fournir la PÉAA »..  

À la lecture des articles portant sur l’équivalence fonctionnelle de la LCCJTI, il m’apparaît plutôt, et en tout respect avec la décision du Juge, que ce sont les articles portant sur la valeur juridique et l’intégrité des documents électroniques qui auraient dû faire l’objet d’une analyse. Autrement dit, peut-être aurait-il fallu considérer s’attarder plutôt aux enjeux portant sur l’intégrité du document présenté, plutôt que sur l’équivalence fonctionnelle dudit document. Suivant l’extrait de l’article 1er de la LCCJTI précitée invoqué par le tribunal, la note de couverture sur support électronique aurait pu se substituer à l’attestation d’assurance format papier.

En effet, l’article 5 de la LCCJTI, prévoit que ce qui suit :

 « La valeur juridique d’un document, notamment le fait qu’il puisse produire des effets juridiques et être admis en preuve, n’est ni augmentée ni diminuée pour la seule raison qu’un support ou une technologie spécifique a été choisi.

Le document dont l’intégrité est assurée a la même valeur juridique, qu’il soit sur support papier ou sur un autre support, dans la mesure où, s’il s’agit d’un document technologique, il respecte par ailleurs les mêmes règles de droit. »

Voilà là deux exemples parfaits de points de vue contradictoires. Compte tenu du fait que nous serons de plus en plus confrontés à cette réalité vu le virage vert que comptent adopter de plus en plus les entreprises, les décideurs devront ainsi se familiariser avec les différentes technologies et les lois applicables de sorte que les citoyens ne soient pas pénalisés injustement par les décisions rendues. La LCCJTI, n’étant pas parfaite aux yeux de plusieurs, elle demeure tout de même on bon outil de référence. À preuve, une instance de régulation de l’importance l’AMF a su y faire référence à juste titre.

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